Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Morts de journalistes au Mexique: retour sur le projet Cartel de Forbidden Stories

Forbidden Stories Cartel Regina MartinezForbidden Stories Cartel Regina Martinez
L’assassinat de la journaliste Regina Martinez en 2012 a été un véritable virage dans le paysage médiatique mexicain
Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 20 février 2023

Onze journalistes ont été tués au Mexique en 2022, selon la Fédération Internationale des journalistes, le rendant deuxième pays le plus dangereux pour les journalistes derrière l’Ukraine. D’après le classement de liberté de la presse de RSF, le pays est 127e sur 180. L’assassinat de la journaliste Regina Martinez en 2012 a été un véritable virage dans le paysage médiatique mexicain qui a vu les attaques envers les journalistes se multiplier suite à sa mort. Le projet Cartel du consortium “Forbidden Stories” est revenu sur sa mort en 2020.

 

Regina Martinez se lance dans des études de journalisme dans les années 70. Avant son assassinat, elle était l’une des journalistes les plus connues du Veracruz, état mexicain à l’est du pays, faisant trembler les hommes politiques. Elle enquêtait sur toutes sortes d’affaires: le viol d’une indigène de 72 ans, la grippe H1N1 mais aussi et surtout le trafic de drogues très présent au Veracruz grâce à son littoral et son grand port.

 

Le projet Cartel “Ils ont tué le messager, ils ne tueront pas le message”

Le 28 avril 2012, Regina Martinez est assassinée à son domicile. Officiellement, à la suite d'un cambriolage. Mais ses proches sont convaincus que cet assassinat est lié à son travail d'enquête. Certains également que la mort de Regina Martinez n’est pas due à un simple cambriolage comme l’enquête l’a délibéré, 60 journalistes de 25 médias internationaux dont la RTS, Proceso ou encore die Zeit se sont réunis en mars 2020 pour tenter de rétablir la vérité. Leur réunion s’est faite dans le cadre du consortium journalistique, “Forbidden Stories”, connu pour finir les enquêtes des journalistes assassinés avant qu’ils n’aient pu révéler leurs travaux.

 

Regina Martinez, assassinée parce qu’elle exerçait son métier

Regina enquêtait énormément sur ce sujet, accusant surtout les dirigeants du Veracruz à l’époque: Fidel Herrera et Javier Duarte de collaborer avec les trafiquants de drogue et de corruption. Les deux hommes sont vus comme ayant fourni leur état aux fauves, les cartels. Les dirigeants ont rapidement été les ennemis numéro 1 des journalistes, jamais autant assassinés que pendant leurs mandats. 

 

Une liste du gouvernement avec des noms à particulièrement surveiller avait fuité en 2010. Le nom de la journaliste mexicaine y figurait. Elle n’était pas seule sur cette liste mais ils n’étaient pas nombreux: le projet Cartel rapporte environ 5 journalistes sur la liste noire et explique que Regina en était le “modèle”. 

 

Quelques mois avant son assassinat, Regina avait rapporté que quelqu’un s’était introduite chez elle. Trop méfiante envers la justice, elle n’a pas averti la police. Le 28 avril 2012, Regina est retrouvée morte dans sa baignoire. vraisemblablement rouée de coups et étranglée.  

 

Les journalistes du projet Cartel interrogent Laura Borbolla, procureure de la FEADLE (spécialisée dans la prévention des crimes commis contre la liberté d’expression) saisie pour aider les autorités du Veracruz à élucider cette affaire. Lors de l’interview, Laura revient sur toutes les erreures commises par la police mexicaine directement après l’assassinat. Les empreintes de la scène de crime ont été détériorées, des objets manquent: son foyer a été complètement altéré.

 

Bien qu’un homme ait été arrêté et accusé de cambriolage, celui-ci surnommé “El Silva” racontera avoir été torturé pour avouer les faits et clame son innocence en prison depuis. Laura Borbolla n’a jamais classé l’affaire, certaine qu’El Silva n’est pas le meurtrier de Regina. 

 

La poursuite de l’enquête par le projet Cartel

Afin d’honorer la mémoire de Regina et de ne pas laisser son enquête aux oubliettes, les 60 journalistes de Forbidden Stories ont décidé de relancer les recherches pour lesquelles Regina a sûrement été assassinée. Fidel Herrera et Javier Duarte ont successivement été à la tête du Veracruz pendant 12 ans. Duarte a d’ailleurs été accusé de blanchiment et détournement d’argent et a été condamné à 9 ans de prison en 2018. Duarte était impliqué plus que n’importe quel autre gouverneur dans le détournement de fonds et la violence. Il est connu de tous que la puissance des cartels au Mexique repose principalement sur une chose: le trafic de drogues dans lesquels sont souvent impliqués de nombreux politiques. 

 

L’enquête menée par le Projet Cartel a fait l’objet d’un film “Projet Cartel : Mexique, le silence ou la mort”. Son nom résume bien la situation: Regina, accusait Herrera et Duarte d’interférer dans le trafic de drogues et de soutenir la violence dans le pays. Elle dénonçait leur corruption et le fait qu’ils étaient complètement à la merci des cartels. Malheureusement, son enquête lui aura été fatale.

 

Les journalistes ont pendant 6 mois enquêté sur les drogues de synthèse et notamment le fentanyl, drogue puissante mais chimique et artificielle donc facile à fabriquer. On remarque très vite que les éléments nécessaires à la fabrication du fentanyl sont importés depuis la Chine ou l’Inde et qu’en 3-4 clics sur internet la commande est passée. Personne ne s’inquiète de la destination des matières premières du fentanyl qui pourtant sont à l’origine de tant de violence et de morts dans le pays. 

 

Les journalistes et la société civile se battent en la mémoire de Régina Martinez

 

L’enquête qui ne verra jamais le jour

Finalement, les journalistes de Forbidden Stories ont réussi à mettre le doigt sur la dernière enquête que Regina menaçait d’exposer au grand jour: celle des milliers de personnes disparues au Veracruz pendant les mandats d’Herrera et de Duarte. L’enquête de Regina, notamment sur les fosses communes du Veracruz remplies de cadavres aurait dû voir le jour peu après son assassinat. 

 

Au travers son investigation, le projet Cartel explique que Régina a sûrement été assassinée au motif de vouloir exposer le brouillard autour de tous les disparus. Le Mexique serait un cimetière à ciel ouvert si on en venait à déterrer tous les cadavres enfouis sous la terre. 

 

Quid de l’après projet Cartel?

L’enquête sur la mort de Regina Martinez a été officiellement close en 2015, la même année où Laura Borbolla a quitté son poste de procureur pour la FEADLE. 

 

Le président mexicain actuel, Andres Manuel Lopez Obrador (surnommé AMLO) est arrivé au pouvoir en 2018. En 2020, lors d’une conférence de presse, une journaliste lui demande ce qu’il en est de l’enquête du meurtre de Regina et si un jour cette affaire pourra être élucidée correctement. AMLO s’est alors engagé à rouvrir l’enquête durant son mandat. 

 

L’enquête n’a à ce jour toujours pas été rouverte malgré l’appel de plusieurs organisations de défense de la presse en mars 2021 telles que RSF, FPU et CPJ. 

 

En Janvier 2022, quatre journalistes ont été assassinés au Mexique. A la fin de l'année, un décompte de 12 journalistes tués a été enregistré par la FIJ rendant le Mexique, le deuxième pays le plus dangereux pour les journalistes après l’Ukraine. 

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions