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Journalistes au Mexique : retiro o plomo

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Capture d'écran Youtube, @Sácalepunta producciones
Écrit par Adrien Filoche
Publié le 3 juin 2018, mis à jour le 18 octobre 2018

Au Mexique, depuis janvier 2018, six journalistes ont été tués en raison de leur profession. Une psychose qui révèle l’incapacité du président Enrique Peña Nieto à contenir l’impétuosité des narcotrafiquants. Le pays des cartels, 147e au classement RSF, glisse de plus en plus sur la pente de la violence. Retiro o plomo, la retraite ou le plomb, voilà le choix que doivent faire de plus en plus de professionnels de l’information. 

Le Mexique regorge de paysages insoupçonnés et de richesses culturelles ayant attiré près de 40 millions de touristes en 2017, un chiffre record. Malheureusement, le pays des cartels fait plus souvent parler de lui pour une chose tout autre : la violence, notamment des narcotrafiquants. 

Le début de l’année, teintée par le rouge du sang des professionnels disparus, compte déjà six journalistes assassinés.

‘’Le Mexique est l’un des pays les plus meurtriers du monde pour les médias. Lorsque les journalistes couvrent des sujets liés à la corruption de la classe politique (notamment locale) ou au crime organisé, ils sont visés par des intimidations, agressions, voire sont exécutés de sang-froid,’’ détaille un rapport de Reporters Sans Frontières. La presse est prise sous les feux croisés des forces policières, souvent corrompues, des politiques, toujours influents, et des cartels, en permanence belliqueux. ‘’Le Mexique est devenu une zone interdite pour toute personne suffisamment courageuse pour aborder des questions telles que le pouvoir grandissant du crime organisé et la collusion de ces groupes avec les autorités’’, dénonce Amnesty International.

 

2018, une année particulièrement sanglante

Plus d’une centaine de professionnels de l’information ont été tués au Mexique depuis 2000, selon les associations de défense de la liberté d'expression. Le pays s’est même vu offrir le triste titre de « pays parmi les plus dangereux pour exercer le métier ». Et si l’année 2016 est l’une des plus meurtrière, avec 11 journalistes assassinés et 426 agressés, 2018 semble tristement suivre la même logique sanglante.

Le dernier en date, Hector Gonzalez Antonio, a été retrouvé mort le 29 mai dans l'État de Tamaulipas. Avant lui, Alicia Díaz González, tuée le jeudi 24 mai, dans la ville de Monterrey (Etat de Nuevo León), Juan Carlos Huerta, le 15 mai, Leobardo Vázquez, le 21 mars, Pamika Montenegro le 5 février et enfin Carlos Domínguez Rodríguez le 13 janvier.  

 

Être journaliste au Mexique s’apparente davantage à une condamnation à mort qu’à une profession avait déclaré en 2017 Tania Reaneaum, directrice de la section Mexique d’Amnesty International. 

 

Plus que l’assassinat en lui-même et l’atteinte à la liberté d’expression, c’est la violence pure, calculée et animale qui peut choquer. ‘’Battu à mort’’, ‘’attrapé en sortant de son lieu de travail’’, ‘’disparu dans la nature, sans laisser de tracer’’, voilà ce qui arrive à des journalistes travaillant au Mexique. Tous les moyens sont bons pour faire taire ceux qui fouillent un peu trop. Car oui, ceux qui sont assassinés prennent des risques, dénoncent la violence, le crime organisé, la corruption, le mal-être du peuple mexicain.  

‘’Ils ont tué Miroslava pour sa langue bien pendue. Qu’ils nous tuent tous si c’est la condamnation à mort pour rapporter cet enfer. Non au silence !’’, écrivait le journaliste Javier Valdez, le 25 mars 2017, sur son compte Twitter, deux jours après l’exécution de sa collègue Miroslava Breach, correspondante de la Jornada. Le 15 mai 2017, un an jour pour jour avant l’assassinat de Juan Carlos Huerta, Javier Valdez est abattu. Le reporter mexicain était unanimement reconnu pour son travail d’investigation dans les cartels et les milieux corrompus. 

 

 

Impunité et protection insuffisante

Les reporters, qu’ils soient mexicains ou internationaux, sont assassinés en toute impunité. Seulement 0,25 % des crimes contre la presse sont élucidés au Mexique, selon Ana Cristina Ruelas, directrice de l’ONG Artículo 19, chargée de défendre la liberté d’expression et le droit à l’information. 

Manque de protection ? Un dispositif fédéral chargé de sécuriser l’exercice de la profession existe mais demeure très critiqué, faiblement financé donc peu efficace. En 2013, le gouvernement avait alloué 39 millions de pesos (2 millions de dollars) au mécanisme de protection des journalistes. En 2017, une coupe budgétaire porte l’enveloppe a seulement 18,4 millions de pesos (987.000 dollars). Dix ans plus tôt, en 2007, le gouvernement mexicain avait aussi créé un parquet spécialisé dans les délits contre la liberté d’expression. Une remarquable inefficacité puisque 90 % des journalistes ne font toujours pas confiance au système judiciaire, selon une enquête de l’université Iberoamericana.

Comment travailler avec cette épée de Damoclès ? Deux choix : Retiro o plomo, la retraite ou le plomb. Face à une situation intenable, de nombreux journaux n’ont eu d’autre choix que de fermer boutique. Début avril 2017, le quotidien régional Norte a fait ses adieux à ses lecteurs. Le motif de la fermeture : ‘’raisons de sécurité.’’ 

‘’Tout dans la vie a un début et une fin, un prix à payer. Si c’est comme ça, je ne suis pas prêt à ce qu'un autre de mes collaborateurs en paye le prix, et je ne le suis pas non plus’’, a souligné Oscar Cantú Murguía, rédacteur en chef, dans un éditorial d’adieu.

 

Tamaulipas, ‘’un trou noir pour la liberté de la presse’’

Dans certaines régions, voyager est parfois périlleux, tandis qu’informer est presque toujours mortel. Lorsque l’on recherche « Los Cabos » sur un moteur de recherche, on trouve des images d’une cité touristique paradisiaque. Pourtant, selon le Conseil citoyen pour la Sécurité Publique et la Justice Pénale, la municipalité est considérée comme la plus dangereuse du pays, avec plus de 100 homicides pour 100.000 habitants en 2017. Acapulco, autre vitrine touristique du Mexique, est aussi devenue l’une des villes les plus dangereuses du monde, avec des statistiques similaires. 

Baignant sur le littoral, l’État du Tamaulipas, ‘’est un trou noir pour la liberté de la presse’’ selon Balbina Flores, représentante de Reporters sans Frontières (RSF) au Mexique. C’est notamment dans cette région du Mexique qu’a été assassiné Hector Gonzalez Antonio. Dans le même registre, plus à l’ouest, Nuevo León n’offre pas toute l’hospitalité nécessaire à une bon exercice de la liberté d’expression et d’information. Monterrey, capitale de l’État, a récemment pleuré la mort d’Alicia Díaz González. Selon les États-Unis, les régions considérées comme les plus dangereuses bordent généralement le centre du Mexique. C’est le cas de Colima, Guerrero, Michoacán, ou encore Sinaloa. 

Tout n’est pas si noir au Mexique, et bon nombre d’endroits restent accessibles et sécurisés. Évidemment. La violence se concentre plutôt dans les zones tampon des affrontements entre cartels et forces de police. Il est aussi bon de rappeler que les journalistes ne sont pas les seules cibles. 

 

L’échec de Nieto à endiguer la violence 

Marqué par plusieurs scandales financiers et échecs politiques, économiques et sociaux, le bilan du président mexicain Enrique Peña Nieto est mitigé, voire très critiquable, à quelques semaines seulement des élections fédérales.  

Peña Nieto n’est pas parvenu à résoudre l’une des principales préoccupations de la société mexicaine : la violence.

Le pouvoir du président est ainsi tenu pour responsable de l’impunité des crimes qui ont frappé les médias, et la société en générale. Accusé d’avoir enlisé le pays dans un conflit désastreux, l’ex-gouverneur de Mexico saura difficilement se satisfaire d’un bilan gigantesque de plus 100.000 morts par la violence.
 

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Publié le 3 juin 2018, mis à jour le 18 octobre 2018

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