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HISTOIRE – Les Français célèbres aux Philippines (2)

Elvira Lesdesma ManahanElvira Lesdesma Manahan
Écrit par Pierre-Louis GOUJARD
Publié le 1 juillet 2018, mis à jour le 1 juillet 2018

Invitée surprise pour cette deuxième chronique consacré à l’histoire trop peu connue de la France aux Philippines : Elvira Ledesma Manahan, le fantôme de la résidence de France…

 

Mardi 14 octobre 1986…

 

La fine pluie qui tombe sur Manille annonce une triste journée. Les réjouissances qui ont suivie la révolution d’EDSA sont terminées et Cory Aquino a entamé sa présidence, semée d’embuches et de coups d’état. Il n’est pas si facile de répondre aux aspirations des deux millions de Philippins, lesquels par leur présence l’ont portée au pouvoir, et de tenter de réconcilier les factions opposées.

 

Dans sa belle maison d’Anahaw Street à Forbes, Elvira Ledesma Manahan feuillette ses dossiers en attendant son agent immobilier. Dans la résidence située de l’autre côté de la rue, son voisin astique sa Lamborghini Espada.

 

Elvira et son époux, le docteur Constancio « Tito » Manahan, ont vendu quelques jours auparavant leur résidence à la famille Puyat. C’est Ed Pujeda, le directeur de RGV Realty qui était chargé de la vente mais son agent Jaime Balahat s’est occupé de la transaction. Jaime avait déjà travaillé pour Elvira par le passé, ils étaient proches, peut être très proches.

 

Un destin hors du commun

 

Elvira Ledesma est originaire de Silay City (Negros occidental), son père se nommait Simeon Ledesma et sa mère Conchita Bermejo. Elvira ne restera que quelques années en province et elle sera ensuite élevée à Mandaluyong, dans le compound Kawilihan, par sa grand-mère Gertrude Montinola. Clin d’œil du destin, elle sera scolarisée au Holy Ghost Collège dans le quartier de Mendiola à Manille. Jeune fille, sa beauté attire déjà les regards des adolescents de l’université Ateneo et ils sont nombreux à venir guetter Elvira à la sortie de l’école, lorsqu’elle attend le car qui la ramènera chez sa grand-mère.

 

Alors que la guerre du Pacifique fait rage et que les Japonais occupent Manille, c’est pourtant un étudiant de La Salle, Mandy Eduque, qu’Elvira épousera à l’église San Marcelino. Quelques mois plus tard, un raid aérien obligera le couple à gagner un abri, Elvira est alors enceinte de son premier enfant. Inquiet pour son chien resté à l’extérieur, Mandy partira à sa recherche, il sera alors abattu. A la libération de Manille, Elvira n’a pas 18 ans, elle est veuve et enceinte.

 

Au cours de sa grossesse, Elvira va rencontrer le gynécologue Constancio « Tito » Manahan. Au début des hostilités, ce dernier se trouvait aux USA en tant qu’étudiant à l’hôpital John Hopkins de Baltimore et il avait rejoint le corps médical de l’armée des Etats-Unis. Il était revenu aux Philippines dans les troupes du Général Douglas MacArthur et s’était établi à Manille en tant que gynécologue. En 1969, il rejoindra d’ailleurs le Makati Med. C’est le coup de foudre immédiat entre la pétulante Elvira et le séduisant docteur, ils ne se quitteront plus, même si leur union a été souvent orageuse. La beauté de celle qui va devenir une grande dame de la télévision et une actrice connue, au sourire irrésistible, s’opposera au charme ténébreux du célèbre docteur. Si les hommes se pressent autour d’Elvira, ses patientes et les infirmières sont, elles, en admiration devant Tito. Le couple perdurera toutefois, à l’étonnement de leurs amis des premiers jours.

 

Dans les années 1960 et jusqu’à l’application de la loi martiale, Elvira va animer quotidiennement, sur la chaine ABS-CBN, son fameux talk-show « Two for the road » et elle reprendra ensuite ce concept, au début des années 80, pour le compte de GMA-7. Elle participera à des productions cinématographiques tant aux Philippines (Burgis) qu’aux USA (At the hop ; Reaching the hope) avec notamment Bob Hope, Sammy Davis Jr, Pat Bonne et Marlon Brando. Ce dernier nourrira une grande admiration pour Elvira qualifiant son sourire de « plus beau sourire féminin ».

 

Ce 14 octobre…

 

Lorsque Jaime Balahat arrive à la résidence d’Elvira, la discussion s’envenime. Jaime exige que sa commission sur le prix de la vente la maison, acquise par la famille Puyat, pour 8.5 millions de pesos, soit réévaluée. Elvira refuse, le ton monte très vite au point qu’elle quitte le salon et monte s’enfermer dans la chambre du premier étage. Jaime la poursuit, les employées de maison d’Elvira accourent. De sa poche, il sort son revolver et tire sur Teresita, qui mourra sur le coup, puis sur Sheila, cette dernière survivant à ses blessures. Jaime enfonce la porte de la chambre et fait feu, pratiquement à bout touchant, en direction d’Elvira qui est atteinte à la tête, la balle entrant dans le crane au niveau de l’oreille et sortant par le front. Le tueur dévale alors les escaliers, abattant la jeune Mandy qui se précipitait, elle aussi, au secours de sa maitresse.

 

Les voisins appellent les secours. A leur arrivée, Elvira est toujours en vie et consciente. Elle est conduite immédiatement au Makati Med. Les meilleurs chirurgiens de l’hôpital, le Dr Romeo Gustillo, le Dr Raul Fores, le Dr Benjamin Adapon, se précipitent au bloc opératoire. Tito Manahan arrive lui aussi et place un chapelet entre les mains de son épouse. Leurs efforts seront vains et à 18h55, le décès de l’actrice sera constaté officiellement.

 

Grâce au témoignage de Sheila, le meurtrier sera identifié, puis interpellé et placé en détention en attente de son jugement à la prison de Makati. Deux ans après le meurtre, Jaime Balatbat, alors âgé de 29 ans, sera abattu par un des gardes de la prison dans des circonstances si suspectes, et pourtant les prisons philippines en ont beaucoup vu, que le président de Napolcom, Cicero Campos, engagera alors une inspection générale des prisons.

 

Une maison hantée ?...

 

Résidence de France
A la suite de ces évènements, la famille Puyat va chercher à se débarrasser de la maison du drame. Ce n’est pas facile car, même bradée, les acquéreurs se font rares. Aucun Philippin ne veut habiter dans un tel endroit et du fait de la notoriété de la famille Manahan, personne n’ignore la tragédie qui s’est déroulée en ces lieux.

 

C’est finalement la France qui achètera la maison pour en faire la résidence de l’Ambassadeur. Des travaux de rénovation y seront entrepris pour effacer les traces des meurtres mais cela ne suffira pas. Les Philippins ne veulent pas mettre un pied dans la maison, que ce soit en visite ou même pour y travailler.

 

Il faudra faire appel au Cardinal Jaime Sin, le fameux archevêque de Manille dont le rôle a été déterminant dans la révolution d’EDSA, pour exorciser les lieux. Si présents dans la croyance populaire philippine, les fantômes des victimes ne pouvaient en effet manquer d’hanter la résidence.

 

Hasard, coïncidence, les épouses des premiers ambassadeurs qui occuperont les lieux n’y resteront que quelques semaines avant de quitter les Philippines et ne plus y revenir. Il n’en faudra pas plus pour accréditer dans l’imaginaire philippin la légende des fantômes de la résidence de France. Quelle femme pourrait accepter en effet de partager son époux avec la belle Elvira, même spectrale !

 

Bibliographie : Make my day,   Hilarion “Larry’’ Henares.

 

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Publié le 1 juillet 2018, mis à jour le 1 juillet 2018

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