Édition internationale

TEMOIGNAGE – Les mésaventures d'une Française dans le monde du travail espagnol

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 18 juin 2013

Entrée en vigueur depuis février 2012, la réforme du travail a profondément modifié les droits accordés aux salariés d'Espagne. Liée à son employeur par un contrat à durée indéterminée, Sandrine se pensait à l'abri des nombreuses dérives observées après l'adoption de cette réforme. Pourtant, un arrêt de travail suite à une opération va changer sa situation professionnelle, la faisant passer de travailleuse à chômeuse du jour au lendemain.

Espagne, ton univers impitoyable Sandrine Nicaise est arrivée en Espagne voilà 17 ans déjà. A l'époque, on ne parlait pas encore de crise et beaucoup de Français n'hésitaient pas à venir chercher une qualité de vie qu'on ne retrouve nulle part ailleurs en Europe. Après plusieurs expériences professionnelles en Andalousie, elle s'installe à Barcelone. Employée en contrat à durée indéterminée dans un bureau de tabac depuis 2008, tout laissait à croire qu'elle s'établirait en Catalogne pour de bon. Un beau jour de février, une douleur à la hanche, sans doute due à son passé dans la restauration, se réveille. Sandrine doit subir une opération pour retrouver pleine possession de ses moyens. Son employeur est bien évidemment avisé de l'indisponibilité à venir mais garde pour lui les intentions qu'il dévoilera plus tard. Alors en convalescence, Sandrine reçoit un coup de téléphone le 14 mai dernier lui indiquant qu'une lettre de licenciement arrivera au courrier le lendemain. Motif invoqué : baisse de productivité. "Ma première réaction a été de dire à mon patron qu'il n'avait pas le droit de faire ça". Désarçonnée par la nouvelle qu'elle vient apprendre, elle l'est d'autant plus lorsque son employeur lui précise que la réforme du travail de 2012 lui permet de la licencier malgré une incapacité de travail reconnue par le corps médical. "J'ai toujours eu en tête la possibilité de perdre mon emploi à cause de la crise mais jamais je n'aurais pu imaginer que cela puisse se faire de cette façon-là."

Parcours du combattant
Pour Sandrine, c'est le début d'un long chemin de croix pavé de formalités administratives et de rencontres avec les avocats. Une fois la nouvelle digérée, la surprise fait alors place à la colère. "Je trouve ça cruel", nous dit-elle. "Même en arrêt de travail, la baisse de productivité n'est pas prouvée. Ce licenciement est abusif". Les allocations chômage s'entrecroisent avec celles de la sécurité sociale. Difficile de s'y retrouver dans cet imbroglio administratif. Sandrine, malgré un arrêt de travail, est sur la liste des demandeurs d'emploi. La conciliation avec son employeur est prévue pour le 30 septembre. En attendant, elle est à la recherche d'un nouvel emploi, mais sa situation est délicate et la convalescence lui ferme des portes. "Qui voudrait employer une personne qui n'est pas encore remise à 100% d'une opération ?". Car son incapacité de travail court encore jusqu'à l'automne prochain. Ses amis espagnols ont beau lui témoigner de leur soutien, ils ne peuvent être que blasés de la mésaventure qui arrive à Sandrine et à tant d'autres dans le même cas. "L'Espagne n'a pas la même culture sociale et syndicale que la France". La protection des travailleurs est bien différente des deux côtés de la frontière et des entreprises en profitent pour faire du "nettoyage". "Certains employeurs abusent de cette loi en faisant traîner la procédure. Quand la date de conciliation arrive, la personne licenciée se trouve très souvent dans une situation de besoin et accepte par dépit un montant d'indemnités inférieur à celui qu'elle devrait normalement percevoir".

Ne rien lâcher
Sandrine garde le moral malgré tout et ne baisse pas les bras. En partageant son expérience sur les réseaux sociaux, elle s'est rendu compte que d'autres Français connaissaient pareilles péripéties. "Ça fait du bien de se sentir appuyée", dit-elle. Un retour en France ? "Difficile à envisager quand on est depuis 17 ans en Espagne et que sa vie est ici. Mais s'il n'y a pas d'autre choix?". A ceux qui se reconnaissent dans son témoignage ou qui seront amenés à vivre la même infortune, Sandrine leur dit de "n'avoir peur de rien et de continuer à se battre" pour obtenir réparation. En attendant l'issue de cette énième histoire sur la réforme de la loi du travail, elle propose des cours de français et des services de traduction en espagnol, catalan, anglais et allemand pour les cartes de restaurant. Française par le passeport mais Espagnole par le c?ur, Sandrine est déterminée à ne rien lâcher et nous confie avant de nous quitter qu'elle continue malgré tout à "croire en ce pays" qui lui a tant donné. Pour contacter Sandrine Nicaise carodelamare@hotmail.com

 

L'avis d'un expert

Miguel Morillon, avocat à Madrid, nous donne son éclairage sur le cas de Sandrine Nicaise.

1) Quels sont les recours possibles quand un salarié est licencié malgré une incapacité de travail reconnue ? Le salarié doit tout d'abord contester la décision de l'entreprise puis ensuite faire les démarches nécessaires à l'obtention de ses indemnités. Dans le cas de Sandrine, comme elle ne peut faire les démarches auprès de l'organisme des allocations chômage de par sa condition d'incapacité de travail, elle doit se rapprocher de la sécurité sociale ou de la mutuelle.

2) Les entreprises sont-elles dans leur droit quand elles licencient un salarié en arrêt de travail en invoquant le motif de baisse de productivité ? Ne pas se sentir menacé de perdre son emploi pour cause d'arrêt de travail est encore dans l'esprit de nombreuses personnes. Pourtant, depuis la réforme du travail de 1994, seuls les licenciements mettant en avant la discrimination sont considérés comme nuls. Selon les cas, la maladie n'est pas considérée comme une discrimination. Un renvoi motivé par un arrêt de travail n'est donc pas nécessairement abusif.

3) Y a-t-il une différence entre un contrat signé avant ou après la réforme du travail de 2012 ? La seule différence majeure est dans le calcul des indemnités suite à un licenciement non-fondé. Nous sommes en présence d'un contrat signé avant la réforme du travail de 2012, le calcul s'établit donc sur une base de 45 jours de salaire par année de service partagés au prorata avec les mois de travail intervenus après la réforme. Pour les personnes ayant signé un contrat après la réforme (12 février 2012), le montant sera de 33 jours de salaire par année de service avec un maximum de 24 mensualités.

4) Le licenciement peut intervenir seulement si l'entreprise affiche des pertes ? Dans le cas de Sandrine, nous sommes face à un licenciement dit "disciplinaire" et qui n'a rien à voir avec la situation économique de l'entreprise. Le renvoi disciplinaire est la fin d'un contrat de travail motivé par la décision unilatérale de l'employeur, basé sur le manquement aux tâches du travailleur.

Morillon Avocats accompagne les entreprises et particuliers au plan social. L'équipe dédiée assiste et défend les entreprises, dirigeants et particuliers en intervenant dans le domaine du conseil et du contentieux, devant toutes juridictions et administrations. Fondé en 1998, Morillon Avocats est un cabinet d'avocats d'affaires présent à Madrid, Barcelone et Malaga dont l'activité est principalement orientée vers les PME/PMI/ETI et particuliers français, exerçant dans tous types d'activités et dans des secteurs très divers.

Réponses rédigées par Miguel Morillon et Rosana Enguix (Directeur et Responsable Droit Social du Cabinet MORILLON AVOCATS)

Stéphane HODJA (www.lepetitjournal.com ? Espagne) Mardi 18 juin 2013
Inscrivez-vous à notre newsletter gratuite ! http://www.lepetitjournal.com/pages-annexes/279-la-newsletter-du-petit-journal.html

logo lepetitjournal madrid espagne
Publié le 17 juin 2013, mis à jour le 18 juin 2013
Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.