Édition internationale

LOI D’AMNISTIE FISCALE – A-t-elle rapporté davantage à l’Etat espagnol ou aux évadés fiscaux ?

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 6 janvier 2018

Les journaux espagnols sont tristement remplis de cas de corruption et de fraudes fiscales inculpant des politiciens aillant occupés des postes importants au sein de la société espagnole, tous bords politiques confondus. Souvent, les arguments de la défense s'appuient sur l'utilisation de la mesure d'amnistie fiscale déployée en 2012 par le Gouvernement. Deux ans après la fin de l'amnistie, les revenus pour l'Etat sont là, mais les assouplissements accordés aux fraudeurs animent la critique. A qui cette mesure a-t-elle le plus bénéficié ?

(CC faltantornillos)
En 2012, le ministre des Finances Cristóbal Montoro a mis en place en plan de rigueur visant à faire économiser 27,3 milliards d'euros aux finances publiques, afin de sauver l'économie nationale et de se plier aux normes de l'Union Européenne (le déficit public ne doit pas dépasser 5,3% du PIB). Ce projet était porté par différentes mesures, notamment la mise en place d'une loi d'amnistie fiscale. A l'image de la proposition de loi du gouvernement français en 2013, cette mesure s'adressait aux contribuables ayant dissimulé au fisc une partie (ou l'intégralité) de leur fortune en la plaçant notamment dans des paradis fiscaux. L'Etat espagnol de fermer les yeux en permettant à ces mauvais élèves de régulariser leur situation et de déclarer les fonds détenus à l'étranger sans poursuite judiciaire. Et surtout à un taux d'imposition exceptionnel de 10%. L'objectif était de favoriser le retour des évadés fiscaux et de rapatrier les fonds en Espagne. L'Etat a donc élargi la mesure aux entreprises qui elles aussi ont pu déclarer les capitaux cachés à l'étranger à un taux d'imposition exceptionnel de 8%, et leurs dirigeants ont également bénéficié de l'impunité apportée par la mesure.

Rato et ses multiples scandales
Rodrigo Rato fut le vice-président du gouvernement de Jean-Marie Aznar de 1996 à 2004, promu Directeur du Fond Monétaire International de 2004 à 2007, et enfin président de la banque Bankia de 2010 à 2012, cet établissement espagnol qui a sollicité une aide publique de plus de 22 milliards d'euros un an après son entrée en Bourse. Dans le curriculum de Rodrigo Rato, on trouve ces trois fonctions prestigieuses, et trois scandales tout aussi célèbres. Le dernier éclate lorsque l'on apprend que l'ex-président de Bankia a profité de l'opportunité d'amnistie fiscale offerte par Cristóbal Montoro pour déclarer ses revenus à l'étranger, et qu'il est surtout mis en examen pour fraude fiscale et blanchissement de fond. Pas de quoi améliorer sa côte de popularité, quand des milliers de petits épargnants ont perdu leurs économies avec le naufrage de Bankia.
A cette époque déjà, Rodrigo Rato avait fait scandale et avait été inculpé pour escroquerie et faux et usage de faux. Lui qui était à l'origine du projet d'entrée en bourse de Bankia fut soupçonné d'avoir maquillé les comptes de la banque.
Sans oublier le scandale des cartes de crédit "black", ces cartes de complaisance qui auraient permis à des dirigeants de la banque d'utiliser des fonds de Bankia en démesure.  

De la régularisation au soupçon de fraude
Rato ne fut pas le seul politicien à utiliser l'amnistie fiscale pour régulariser une partie de ses biens détenus à l'étranger. A l'image de ce qui est arrivé à l'ex-président du FMI, les données récoltées lors des déclarations fournies par les contribuables régularisant leur situation patrimoniale ont débouché sur une enquête sur l'origine des capitaux déclarés. Ils ont été plusieurs à penser pouvoir se sauver avec cette amnistie, et qui ont cependant dans la foulée fait l'objet d'enquêtes judiciaires pour blanchiment d'argent. Si la mesure fiscale prévoyait ne pas poursuivre les contribuables qui mettaient à jour leur déclaration fiscale, elle a aussi levé de grandes interrogations sur l'origine et la provenance de ces montants. De fil en aiguille, les enquêtes ont révélé des cas sur lesquels les personnes impliquées doivent désormais s'expliquer.

Le bouclier de l'amnistie
Rato ne fut pas le seul à utiliser l'amnistie fiscale et il n'est pas non plus le seul à se protéger de la justice avec ce bouclier. Jordi Pujol par exemple, ancien président de la Generalitat, inculpé pour une affaire de fraude fiscale, se défend en mettant en avant l'amnistie fiscale de 2012. La mesure promettait l'impunité, c'est à dire l'exclusion d'une enquête judiciaire, à tout contribuable déclarant les capitaux cachés à l'étranger dans le cadre de la mesure d'amnistie.
Luis Bárcenas, l'ancien trésorier du Partido Popular actuellement au pouvoir, a quant à lui reconnu avoir régularisé 10 millions d'euros lors de l'amnistie fiscale, à travers l'une de ses sociétés. Le scandale sur l'origine de ces fonds a pris de l'ampleur lorsque Bárcenas a été accusé d'avoir perçu d'importantes rémunérations non déclarées.
Ainsi, l'indignation de l'opinion publique a grandi à mesure que d'autres noms célèbres sont venus s'ajouter à la liste des évadés fiscaux qui ont profité de cette mesure. On citera notamment Diego Torres, l'associé de Iñaki Urdangarin dans le très médiatisé cas de détournement de fond Nóos, qui déclara 160.000 euros « seulement », dans un compte détenu au Luxembourg.
José Ángel Fernández Villa, grand syndicaliste espagnol, a quant à lui régularisé 1.400.000 euros grâce à l'amnistie. Cet argent non déclaré lui a valu son expulsion de la CGT espagnole.

Des résultats critiqués
La campagne de déclaration ouverte par le ministère des Finances a pris fin le 30 novembre 2012. Peu de temps après, le ministre Montoro dressait le bilan. Au total se sont 1,19 milliard d'euros qui ont été récupérés grâce aux 40 milliards d'euros déclarés. 618 entreprises et plus de 29.000 personnes ont profité de la mesure, mais les revenus restent malgré tout en-dessous des 2,5 milliards de revenus que le ministère s'était fixé. Cet écart est la conséquence directe du choix fait par le gouvernement d'assouplir les conditions de cette amnistie, que les contribuables fortunés trouvaient trop contraignantes. Ainsi, au final c'est un impôt d'environ 3% qui a été prélevé sur les montants déclarés (et même moins dans certains cas), bien en-deçà des 10% annoncés initialement. Une décision très critiquée, tandis que les Espagnols connaissaient en même temps une hausse des impôts directs, comme la TVA ou l'IRPP.
Pour Cristóbal Montoro cependant, les informations remontées ont permis de mettre à jour des patrimoines occultés jusqu'à ce moment là, et qui viendront augmenter les collectes fiscales des exercices à venir.
Le patrimoine espagnol semble encore bien présent à l'étranger. Le Directeur des impôts, Santiago Menéndez, expliquait hier dans une déclaration auprès de la Commission des Finances que rien que pour la Suisse, le montant du patrimoine espagnol accueilli s'éleverait à 20 milliards d'euros déclarés (selon les données relatives à l'exercice fiscal 2013).

Les contribuables espagnols lassés
Les révélations sur les fonds possédés à l'étranger par Rodrigo Rato, ainsi que la suspicion de blanchiment de capitaux ont généré des réactions dans le monde politique tout comme dans l'opinion publique. Les contribuables espagnols sont lassés de voir un tel niveau de corruption chez les politiques, pendant que de nombreux foyers souffrent de la situation économique de l'Espagne.
Le leader du parti socialiste Pedro Sánchez, a rebondi sur ces scandales d'évasion fiscale pour demander la démission du ministre des Finance Cristóbal Montoro à l'origine de la mesure fiscale. L'opposition considère Montoro responsable d'avoir, via cette amnistie fiscale, fait un cadeau à ses amis corrompus. De son côté le Partido Popular se défend en soulignant que les faits prouvent l'impartialité du gouvernement de Rajoy. A l'heure de juger la corruption, les politiciens sont traités sans distinction, quelque soit leur parti.

Perrine LAFFON (lepetitjournal.com ? Espagne) Mercredi 22 avril 2015
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Publié le 21 avril 2015, mis à jour le 6 janvier 2018
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