Présent en Espagne depuis la fin des années 80, le "numéro 1 mondial de la Communication Extérieure" doit son succès dans le pays à des produits de communication inexistants avant son arrivée, à l'instar des fameuses colonnes parisiennes, dites colonnes Morris, mais aussi des "sucettes" et autres MUPIs (mobilier urbain pour l'information). Avec l'acquisition en novembre dernier de son principal concurrent, l'entreprise Cemusa, JCDecaux assoit son leadership dans le Péninsule, s'offrant au passage une présence de choix dans les aéroports. Jean Louis Paccalin, Directeur général commercial Espagne, nous décrypte les clefs d'un succès ibère.
Lepetitjournal.com : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le pays et la façon dont vous avez réussi à y développer l'activité de JCDecaux ?
Jean-Louis Paccalin (photo DR) : C'est M. Jean-Claude Decaux et M. Jean-Charles Decaux, alors DG de l'Espagne, qui m'ont envoyé dans ce pays en 1990. A l'époque j'étais, depuis 3 ans, le Directeur commercial régional sud-ouest basé à l'agence de Bordeaux. Lorsque nous sommes arrivés, nous nous sommes trouvés confrontés à un marché maîtrisé à 100% par un seul acteur, Cemusa, qui appartenait au groupe FCC, et qui avait le monopole des abribus dans presque toutes les villes. Nous avons profité du fait que n'étaient pas proposés d'autres mobiliers urbains, que nous savions très bien travailler sur nos autres marchés, comme la colonne Morris, les Seniors, les Vitrines ou le MUPI. C'est ce qui nous a permis de nous présenter à tous les appels publics dans toutes les villes et de remporter nos premiers marchés : en 1990 avec la ville de Saragosse, puis par la suite à Murcie, Oviedo, Gijón, León... On peut dire que JCDecaux a modifié le paysage urbain de l'Espagne, en apportant de nouveaux mobiliers et de nouvelles formes de communication. C'était excitant mais je garde aussi le souvenir de premières années difficiles, avec la sensation de devoir se débattre dans le "far west" espagnol... Nous avons fait nos preuves dans les petites villes jusqu'à ce que nous obtenions le marché de Madrid, en 1994. C'est à partir de ce moment que nous avons vraiment commencer à décoller et que les grands annonceurs nationaux ont commencé à s'intéresser à nous. En 1998, nous avons gagné le marché de la ville de Barcelone, et à partir de ce moment cela a été météorique... Nous sommes devenus numéro 1 de la publicité extérieure en Espagne.
Quel est votre modèle économique ?
La société JCDecaux propose aux villes et aux mairies des mobiliers urbains fournis gratuitement, en contrepartie du droit à l'exploitation des espaces publicitaires que représentent ces mêmes mobiliers. En clair, nous finançons leur fabrication, leur installation et leur entretien et nous nous rémunérons grâce aux annonceurs qui souhaitent utiliser ces espaces pour se faire connaître. L'abribus est le produit de base, sur lequel nous avons créé notre modèle (inventé en 1964 par M. Jean-Clause Decaux), mais depuis ont été développés d'autres supports, comme les colonnes Morris et les MUPIs donc, mais aussi les panneaux signalétiques directionnels, les sanitaires publics, les bornes de propreté, ou encore les systèmes de vélo en libre-service. En 2000, JCDecaux a racheté l'entreprise Avenir, spécialiste des panneaux grands formats (4x3 mètres en France, 8x3 mètres en Espagne) et qui appartenait au groupe Havas. C'est ainsi que nous sommes partis à la conquête des aéroports espagnols, puisque le groupe était alors présent de Bilbao à Malaga, sur toute la côte méditerranéenne
Puis en octobre le Tribunal de la concurrence a donné son accord pour le rachat de votre principal concurrent, Cemusa.
Oui, on peut désormais dire que la boucle est bouclée. Avec ce rachat, nous bénéficions de nouveaux emplacements, très complémentaires aux nôtres. Nous récupérons par ailleurs le contrat AENA, qui représente 41 aéroports dans le pays. Nous sommes en train de faire le tour de l'Espagne pour faire un audit des produits acquis, de leur qualité et de leurs emplacements. L'objectif est de pouvoir proposer à nos annonceurs des circuits toujours plus segmentés et "targetisés", avec des présences sur des emplacements qui sont valorisés au mieux.
Cela dit, on peut désormais dire que vous contrôlez l'essentiel du marché. Sans concurrence, quel intérêt de peaufiner votre offre ?
Attention, c'est faux. Avec nos offres de visibilité, nous devons être en mesure de convaincre des annonceurs dont les budgets de publicité sont répartis entre différents supports. Mes concurrents directs, ce sont surtout la télévision ou Internet. D'où l'importance de développer une offre toujours plus pertinente.
Quel est l'état des lieux de votre marché en Espagne ?
Tout d'abord, la crise a été durement ressentie par tout le secteur industriel. Entre 2008 et 2014, l'investissement en publicité a chuté de 45% en Espagne, passant de 7 milliards d'euros à un peu plus de 3,5 milliards. J'espère que l'Espagne reviendra prochainement dans le top 12 des 72 pays où JCDecaux est présent. Nous nous appuyons pour cela sur une offre toujours plus segmentée, comme je l'ai dit : en proposant des réseaux spécifiques pour chaque secteur d'activité : automobile, alimentaire, luxe etc. Nous nous battons également pour aller chercher de nouveaux annonceurs : nationaux, certes, mais aussi internationaux. Récemment nous avons fait venir notre directrice commerciale Asie, pour qu'elle puisse proposer nos produits dans les aéroports ibères à ses annonceurs asiatiques. Si le pays repart et si, en effet, notre marché reprend doucement, en dépit du taux de chômage qui constitue un véritable fléau pour l'économie, nous avons fait le choix d'aller aussi chercher les investissements étrangers.
Finalement, à quoi tient la réussite sur votre marché ?
La réussite, c'est capter tous les grands annonceurs dans les domaines clés, tels que le luxe, l'alimentaire, la cosmétique, le prêt-à-porter, la téléphonie ou l'automobile. Je me souviens qu'après avoir obtenu le marché de la ville de Madrid, j'ai soudain reçu un appel téléphonique du directeur marketing de Schweppes. Je n'avais jamais réussi à franchir le barrage de sa secrétaire. Ce jour-là, il m'a dit : "Jusque-là je n'avais pas besoin de toi. Maintenant que tu as les plus beaux emplacements de la capitale, on peut parler".
Pouvez-vous justement nous citer des emplacements dont vous êtes particulièrement fiers ?
A Madrid, sur la Castellana, nous avons installé une bâche publicitaire sur la tour BBVA, afin de masquer les travaux sur la façade du bâtiment. Cela représente une superficie publicitaire de 4.000 m2, sur la plus belle avenue de la capitale, que nous avons vendue à Samsung. Un autre très bel emplacement, c'est une vitrine que nous avons créée à l'angle des rues Maria de Molina, et Velazquez. Il s'agit d'un point de passage à plus de 700.000 véhicules hebdomadaires, que nous avons loué pour une période de trois mois à Pernod Ricard.
A Barcelone, nous cherchons encore des emplacements aussi prestigieux que ceux que je viens de citer, nous espérons pouvoir rapidement les concrétiser. En attendant, nous sommes très fiers d'installer nos premiers abribus digitaux sur le Paseo de Gracia et sur la Diagonal de Barcelone. Ils permettent de passer 4 publicités digitales l'une après l'autre. C'est donc très dynamique et ça attire l'attention. Ils rencontrent un très grand succès, surtout pendant les fêtes de fin d'année.
Vous n'êtes pas présent sur le marché du vélo en libre-service, ni à Madrid, ni à Barcelone. Pourquoi ?
Le système de location en libre-service est un véritable succès, comme le montre par exemple le Vélib' parisien, que nous avons mis en place. Nous sommes présents sur ce marché dans d'autres villes d'Espagne : à Cordoue, Séville, Valence, Gijon ou Santander notamment. Cela dit nous ne nous sommes pas présentés à l'appel d'offre de Madrid. Le cahier des charges aurait pu être meilleur. D'ailleurs, la société qui exploite aujourd'hui le système fait face à de gros soucis financiers ; c'est paru dans les média au mois de novembre.
En termes de supports, quelles sont les évolutions des solutions proposées ?
Les villes demandent toujours plus de technique et des services toujours plus importants et spécifiques, avec une claire orientation vers les solutions "vertes". Nous essayons de développer les produits adéquats, adaptés aux spécificités de chaque ville (climat, environnement, architecture etc...). Globalement, l'interactivité avec le passant et la connectivité sont au c?ur de nos développements. Nos abribus intelligents récemment installés à Paris permettent par exemple de recharger les smartphones, mais aussi d'obtenir des informations interactives sur le quartier ou sur la ville, via un écran tactile, tout en offrant une visibilité aux annonceurs. Notre objectif est d'améliorer la qualité de vie des citoyens, au travers de services qui n'existaient même pas il y a tout juste 10 ans. Nous sommes en pleine et constante évolution.
Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Lundi 11 janvier 2016
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