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JACQUES VIENNE – “Dans l’immobilier, il s’est fait n’importe quoi et il y avait toujours quelqu’un pour financer”

Écrit par lepetitjournal.com Madrid
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 21 novembre 2012

Arrivé en Espagne en 1992, il a participé au montage de Decathlon dans le pays, avant de travailler pour Bouygues Immobilier, en plein âge d'or du secteur de la construction. Depuis 2001, il est responsable de la filiale espagnole du groupe Frey, important promoteur de parcs commerciaux en France et de ce côté-ci des Pyrénées. Regard lucide sur la crise espagnole de l'immobilier et sur la santé de la grande distribution sur le territoire

(Photo lepetitjournal.com)

Lepetitjournal.com : Pouvez vous revenir sur l'implantation du groupe Frey en Espagne ?
Jacques Vienne :
Le groupe Frey se développe en Espagne via sa filiale Frey Invest, que nous avons créée en 2001. Nous nous dédions en Espagne exclusivement à la promotion de parcs et de centres commerciaux, ce qui ne représente qu'une partie des activités du groupe en France, qui est également actif en tant que foncière immobilière et fonds d'investissement. En dépit de notre installation sur le territoire il y a plus de 10 ans de cela, nous avons mis un certain temps pour monter nos premières opérations : nous sommes arrivés en plein boom immobilier, avec des prix qui ne correspondaient pas, à notre sens, à la réalité de ce marché.

Pouvez vous nous en dire plus ?

A l'époque, la philosophie du secteur en Espagne, était : "On achète tout type de terrain, on ne sait pas ce que l'on va y faire, mais on a tout à gagner". Notre idée de ce business n'a jamais été basée sur ce type d'opérations purement spéculatives. Pour Frey, lorsque l'on achète un terrain, c'est parce qu'on sait ce que l'on souhaite y faire, comment, avec qui, sur quelle base budgétaire. En d'autres termes, l'achat d'un terrain a toujours été lié à un projet concret et chiffré, ce qui nous a toujours permis de valoriser la valeur dudit terrain en fonction de l'opération que l'on projetait d'y monter et non l'inverse, où l'on achète à n'importe quel prix un terrain sans avoir une idée précise du projet à y développer.

La dérive immobilière était donc à l'époque déjà perceptible ?

Bien sûr. Nous avons vécu à 100% les folies de l'Espagne. Nous étions en prise directe avec ce marché et totalement conscients qu'il pouvait se développer n'importe quel projet, il y avait toujours une banque pour financer, peu importe la faisabilité derrière, ou pire, en dépit d'hypothèses de rentabilité totalement utopistes.

Dans ce contexte, comment vous êtes vous développés ?

Prudemment. En 2004, nous avons débuté notre première opération, qui a vu le jour en 2007, à Talavera de la Reina, avec un centre commercial de 22.000 m². Puis en 2008 nous avons monté un centre de 36.000 m² sur Almeria et un autre de 11.000 m² près de Murcia. En 2009, nous avons créé un parc commercial à Parla, au sud de Madrid, que nous allons agrandir en 2013.

Et depuis l'arrivée de la crise, le marché s'est il compliqué ?

De notre côté, nous avons toujours été prudents et nous allons rester prudents. Il y a de beaux terrains pour qui est capable de les payer cash et il y aurait des beaux coups à faire. Cela dit, les terrains restent globalement surévalués. Les banques espagnoles ont tardé à dégrader leurs bilans : il y a deux ans j'essayais encore de leur acheter du foncier, mais même avec une décote de 50%, ils restaient 3 fois trop chers.
De toutes façons, aujourd'hui, il y a un véritable problème de financement des opérations de cette envergure en Espagne. Le montant des fonds propres à apporter est passé de 20 à 45%, les taux d'intérêt sont très élevés et il est très compliqué d'obtenir des prêts de la part des banques, comme tout le monde le sait.

La banque française n'est pas disposée à financer des projets de ce côté-ci des Pyrénées ?
Pas vraiment, non. La banque française a subi de plein fouet la crise immobilière espagnole entre 93 et 95. Elle a perdu beaucoup et est devenue frileuse.

Quels sont les opérateurs de la grande distribution qui tirent leur épingle du jeu ? Qui continuent à se développer ?
Dans la grande distribution, les opérateurs s'orientent surtout vers la proximité : on se rend compte qu'avec la crise, les foyers n'ont plus vraiment les moyens de faire des grandes courses, et qu'ils préfèrent dépenser un peu tous les jours, en se rendant chez leur supermarché du coin. Il s'ouvre encore quelques grands hypers, mais c'est plutôt par inertie, ce sont des projets qui avaient été lancés avant la crise et qui voient le jour aujourd'hui. Le hard discount alimentaire fonctionne fort, bien sûr.
Un autre secteur en plein développement est celui du bricolage : jusqu'à présent les Espagnols faisaient appel à la main d'oeuvre externe pour réaliser les moindres travaux chez eux, aujourd'hui ils font tout eux mêmes : des enseignes comme Bricomart, Bauhaus ou Brico Dépôt sont en plein essor. A l'inverse, le secteur de la décoration souffre : on dépense plus soi-même pour les travaux, certes, mais on dépense moins dans le superflu. Le textile et l'équipement de la personne est plutôt au ralenti, l'équipement de la maison (lignes blanches et lignes marrons) a énormément de mal. Globalement, je pense que cette crise va apporter beaucoup de maturité au niveau de la consommation des Espagnols : auparavant ils dépensaient plutôt sans compter ni comparer, aujourd'hui ils ont conscience du niveau de prix du marché et du rapport qualité prix.

Et vous ?
Nous avons un gros avantage, nous n'avons pas de terrain sur les bras. Nous ne nous sommes pas retrouvés, comme beaucoup de promoteurs, avec des fonciers achetés à des prix exorbitants, sans savoir comment s'en débarrasser. Aujourd'hui la crise a un côté positif : tous les groupes qui faisaient de l'immobilier n'importe comment ont disparu. En réalité, ce "n'importe quoi, n'importe comment" freinait plutôt notre développement, basé sur une philosophie plus prudente. Cela dit notre activité, la promotion de centres commerciaux, est basée sur la consommation des ménages. Si la crise continue, nous allons véritablement rentrer dans un cercle vicieux qui risque de durer longtemps. Aujourd'hui, Frey Invest, ce sont 4 personnes gérées depuis l'Espagne... dont une installée au Brésil, où nous sommes actifs depuis 2010 et où nous continuerons à nous développer.

Propos recueillis par Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com  Espagne) Jeudi 1er novembre 2012

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Publié le 1 novembre 2012, mis à jour le 21 novembre 2012
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