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Quel futur pour les énergies renouvelables en Espagne, en France et en Europe?

Que retenir de la passionnante conférence "Énergies renouvelables et sobriété énergétique" organisée il y a quelques jours par l’Institut français de Madrid?

drapeau Europe et éoliennesdrapeau Europe et éoliennes
Écrit par Lucas Bonnière
Publié le 29 mai 2024, mis à jour le 30 mai 2024

Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre “Énergie et climat“ de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Lara Lázaro Touza, co-directrice du groupe de recherche “Climat et Énergie“ du “Real Instituto Elcano“ et Victor Marcos Morell, directeur du secteur “Énergies renouvelables et Marché électrique“ à l’Institut pour la Diversification de l’Économie de l’Énergie (IDAE) étaient les invités de la conférence "Énergies renouvelables et sobriété énergétique" organisée par l’Institut français de Madrid. Voici ce que l’on a retenu de leur échange.

Un point de départ et des objectifs différents pour la France et l’Espagne

Question : Où en sommes-nous en matière de transition écologique et d’implémentation des énergies renouvelables en Espagne, en France et plus généralement en Europe ?

Marc-Antoine Eyl-Mazzega: "Il reste encore beaucoup à faire, parce qu’il y a eu un manque d’investissements au cours des dix dernières années dans la production d’électricité, le réseau électrique et les outils de flexibilité. Mais nous sommes sur la bonne voie. En France, il faut comprendre que les énergies renouvelables sont aussi importantes que le nucléaire, et en Espagne, qu’il est utile de conserver un peu de nucléaire".

Victor Marcos Morell : “Je pense que l’Espagne fait du bon travail“  En 2023, plus de 50% de l’électricité consommée en Espagne provenait de sources d’énergies renouvelables, principalement de l’énergie éolienne. La production d’électricité d’origine nucléaire est restée stable par rapport aux années précédentes avec 20% de la consommation totale sur l’année. Les centrales à gaz ont quant à elle produit 17,2% de l’électricité consommée dans le pays en 2023. Si on compare avec la France, les objectifs seraient donc différents : “La France a des objectifs très clairs de réduction des émissions. Chaque tonne de Co2 coûte un peu plus cher {pour l’Espagne} car la France a le soutien de l’industrie nucléaire. La France excelle davantage dans la réduction du Co2 et l’Espagne dans la pénétration des énergies renouvelables

Un écart persistant entre préoccupation et action

Question : Observez-vous une acceptation des politiques publiques en faveur de la transition écologique de la part des citoyens ?

Marc-Antoine Eyl-Mazzega : “En France, nous avons les conservateurs et l’extrême droite qui sont contre un certain nombre de technologies, comme les éoliennes, et qui pensent que le nucléaire peut tout résoudre, avec l’argument du 'si le reste du monde ne fait rien, ce n’est pas à nous d’en faire plus'.“ 

De l’autre côté, “la grande majorité {des citoyens} est consciente du problème mais n’est pas prête à payer davantage, que ce soit par les impôts ou la consommation. Cela soulève la question d’une justice sociale et climatique. Si nous ne répondons pas à ces préoccupations, nous ne cesserons pas d’avoir des tensions sociales et sociétales {sur ces sujets}."

Lara Lázaro Touza : "Ce que l’on observe, c’est un écart persistant entre préoccupation, intensité et action. Ce que nous voyons dans les données de notre dernière enquête, c’est qu’il y a toujours un soutien très large au déploiement des énergies renouvelables {en Espagne}. Pourtant de l’autre côté, le négationnisme climatique, tout en restant à un niveau assez faible, a triplé depuis 2019 et la durée de vie des centrales nucléaires a été multipliée par deux. Lorsque nous avons demandé {aux citoyens espagnols} s’ils avaient changé leurs comportements au cours des trois dernières années, 25% des personnes interrogées ont répondu positivement, et parmi eux, seulement ¼ déclarent l’avoir fait pour des raisons écologiques".

Est-il possible d’atteindre les objectifs fixés par la communauté internationale en termes de décarbonisation ?

Victor Marcos Morell : "Dans la loi sur le changement climatique de l’Espagne, il y a deux grands objectifs, la neutralité climatique {en 2050} et une réduction significative des émissions d’ici 2030. Il est vrai que l’Espagne est assez ambitieuse dans ces objectifs, mais la politique européenne de compromis, via la régulation, via la loi, est bonne".

Lara Lázaro Touza : Au niveau mondial, nous sommes loin d’atteindre l’objectif, devenu de facto plus strict depuis Glasgow {COP 26, Novembre 2021}, qui est de limiter la hausse des températures à 1,5°C en moyenne globale par rapport à l’ère préindustrielle. Les prévisions les plus optimistes n’aboutiraient en aucun cas à limiter cette augmentation des températures {sous la barre des} 1,5 degrés. Ce que la science nous dit, c’est que nous devons plier la courbe".                             .

Pour la première fois, la COP28 de Dubaï s’est engagée à dépasser les énergies fossiles.“ Signée par 200 pays, l’accord adopté le 13 décembre 2023 mentionne en effet 'une transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques {…} afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050'. Un point à noter toutefois, le gaz est ici considéré comme une énergie "de transition" qui n’est donc pas concerné par ce traité. “Nous devons renforcer notre financement international pour le climat {au niveau européen}. Nous devons aligner les flux financiers sur les objectifs climatiques et sur un développement à faible émission.“

Quelle place pour le nucléaire ?

Question : Pendant un certain temps, nous avons remarqué une volonté de réduire la part du nucléaire dans les mix énergétiques, mais certains pays se tournent à nouveau vers cette énergie. Quel avenir pour les énergies renouvelables dans ce contexte ?

Marc-Antoine Eyl-Mazzega :“Je crois que les gouvernements en Europe n’ont pas compris en quoi consistait cette transformation du système électrique. On a dit aux gens que les énergies renouvelables étaient bon marché  et que le nucléaire coûtait très cher. Or derrière l’énergie électrique, il y a les réseaux, le stockage, les investissements qui sont très chers. Pour de nombreux pays, le nucléaire coûte cher mais est indispensable car il produit une électricité à faible émission de carbone. Certaines centrales à gaz peuvent également être nécessaires. Oui, il faut investir dans les énergies renouvelables mais plutôt sur l’éolien qui offre un meilleur rendement énergétique que le solaire.

Victor Marcos-Morell : En Espagne, nous avons un plan de fermeture convenu entre les entreprises propriétaires des centrales nucléaires et le gouvernement. Je pense qu’il y a un problème de conception du marché dans les énergies renouvelables, un marché qui rétribue le court terme là où nous avons besoin d’une rétribution à long terme. Aujourd’hui, nous avons besoin d’investissement avec de faibles coûts variables.  Les énergies renouvelables ont un coût variable pratiquement nul et le nucléaire a un coût variable contrôlé et pas très élevé“.

La dépendance énergétique de l’Union Européenne

Question : Avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie, l’Union Européenne s’est rendue compte qu’elle devait procéder à des changements importants dans le secteur de l’énergie afin de ne plus dépendre autant de pays tiers. Quelles sont les stratégies mises en œuvre dans ce sens ?
 

Marc-Antoine Eyl-Mazzega :Nous ne serons jamais indépendants, mais nous devons être résilients.
“Aujourd’hui, avec l’invasion de l’Ukraine, la question de politique industrielle de défense passe avant celle des technologies à faible émission de carbone. Jusqu’à présent, nous avons vécu une transition énergétique low-cost, avec beaucoup d’équipements chinois. {En 2023, la Chine contrôlait 75 à 97% de l’industrie photovoltaïque mondiale et produisait 60% de l’énergie éolienne utilisée dans le monde} Si nous nous enfermons en laissant les investissements chinois de côté, les coûts vont augmenter, c’est pourquoi il faut trouver un juste équilibre entre ces équipements et les nouveaux acteurs étrangers {qui vont investir en Europe}.“                        

lucas bonniere
Publié le 29 mai 2024, mis à jour le 30 mai 2024

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