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Maylis de Kerangal : "l'art de faire revenir ce qui n'est plus"

Maylis de KerangalMaylis de Kerangal
©Sylvie Ferreira
Écrit par Sylvie Ferreira
Publié le 13 novembre 2019, mis à jour le 13 novembre 2019

L'écrivaine française Maylis de Kerangal était présente en juin à Lisbonne, à l'occasion de la "Nuit de la littérature Européenne". Elle figurait parmi les 14 auteurs participants et a présenté son dernier roman: Un monde à portée de main, au cours de dix sessions de lecture à la Galeria Monumental. Un livre qui est, par ailleurs, disponible depuis le mois d´octobre, en version portugaise: Um Mundo ao Alcance da Mão. Maylis de Kerangal s'est confiée au Lepetitjournal.com lors de ce déplacement au Portugal.
 

Lepetitjournal.com : Comment est né ce roman ?
Maylis de Kerangal : Ce roman est né, au départ, d'un désir de préhistoire. Je désirais attraper la préhistoire dans une fiction. J'ai essayé de penser à un roman de préhistoire. Au moment où j'ai commencé à travailler, je me suis dit que j'allais essayer d'attraper la préhistoire par des fac-similés, qui sont en fait des répliques des grottes préhistoriques qui ont été construites en France. Puis, le livre a pris une tournure différente puisque je me suis vraiment intéressée à cet art de faire revenir, de refaire, de refabriquer, de représenter et de recopier. Donc, ce qui devait être le motif central et radiant du livre donc la préhistoire, est devenu vraiment le point d'aboutissement de la fiction.
 

Dans ce roman, vous évoquez le genre pictural du trompe l'œil, vous décrivez aussi la Grotte de Lascaux. Pourquoi s'être attaqué et s'être basé essentiellement sur l'art?
J'ai eu envie de parler de création, mais via les gestes, les produits, les pigments, les techniques, beaucoup plus que par le corps et la fatigue. Ça me tenait beaucoup à cœur de justement parler de peinture de manière prosaïque.

 
L'art occupe donc une place importante dans votre vie personnelle ?
Oui, je m'en nourris énormément. La peinture a pris de l´importance dans ma vie. Je  crois que ce livre dit quelque chose d'encore plus fort dans mon rapport à la peinture.

 
En quoi ce roman se distingue-t-il de vos autres livres ?
Il pourrait s'en distinguer dans le fait que les autres romans mettent en scène des collectifs, des groupes qui travaillent ensemble. Dans Un monde à portée de main, on regarde davantage une jeune femme, même si elle est rarement seule, car il y a plusieurs scènes où elle parle avec d'autres. Ça reste un livre où l'on regarde davantage une héroïne, on la singularise.
 
 
Avez-vous mené des recherches pour écrire ce livre ?
J´ai consulté de la documentation mais ce sont plutôt des éléments que je vais mobiliser, que j'essaie de trouver, au fur et à mesure, que j'avance dans le texte et finalement c'est le texte qui nous les indique. J'avance pas à pas, les choses ne sont pas décidées d'avance. C'est ce qui explique aussi que l'écriture du livre a été assez lente. C'est un livre que j'ai porté assez longtemps, je l'ai écrit sur deux ans.
 

Si vous deviez le qualifier que diriez-vous ?
Je dirais que c'est un roman d'initiation, d'imagination et de sensation.
Un roman d'initiation car on découvre, on invente, on vit les choses pour la première fois. Puis, d´imagination, parce qu'il s'agit de mobiliser un tas de choses qu'on a en soi et de les mettre en relation. Enfin, de sensation car c'est un roman proche de la matière, sur ce que c'est de voir, de s'émouvoir...
 

Lorsque vous écrivez, la jeunesse est-elle votre principale cible ?
Je me rends compte que certains romans parlent de la jeunesse. Ils mettent en scène des figures de la jeunesse. Dans le cas présent, c'est une jeune fille qui apprend dans une école d'art. Pour moi, c'est un âge que j'aime approcher par la fiction. C'est l'âge des métamorphoses, l'âge où on s'invente, on se réinvente, et c'est assez fort.
 

Qu´est-ce que signifie pour vous de voir un de vos romans publié en langue portugaise ?
C'est mon quatrième livre traduit. Je m'intéresse beaucoup à la question de la traduction et c'est magnifique d'être traduite dans une langue étrangère. Surtout que j'ai une tendresse particulière pour le Portugal. C'est un pays où je viens régulièrement, depuis longtemps. J'ai commencé à venir à Lisbonne quand j'avais entre 20 et 25 ans. J'ai un rapport intense avec cette ville. Et j´apprécie, particulièrement,  mon éditeur portugais, cela dépasse le simple fait de vendre des droits à l'étranger. Il y a quelque chose de beau qui se met en place et j'aime beaucoup aussi la littérature portugaise.

Avez-vous un autre roman en préparation ?
J'en prépare un, mais je ne peux pas encore trop en dire.

 
D´où vous viens l´inspiration ?
Je pense que les livres et les histoires, elles sont écrites pour finalement élaborer et formuler une question. Dans un livre, l'auteur fait état d'un questionnement, il s'interroge et finalement, c'est cette interrogation qui prend le visage d'une histoire inventée, d'une fiction. Dans ce dernier livre, je m'intéressais beaucoup à des formes de faux mais qui sont également des vraies auxquelles on croit.
 

Diriez-vous que plus un écrivain écrit et publie des romans, plus il lui est difficile de trouver des idées ?
Non, je ne dirais pas ça. Au contraire, plus on travaille, plus quelque chose s'auto-engendre. Je n'ai pas le sentiment que c'est plus difficile de se passionner pour quelque chose, un motif, un sujet, une situation. Au contraire, j'ai plus le sentiment que chaque livre ouvre sur une matière dense, abondante, une pluralité de situation. Dès que l'on s'intéresse aux choses de très près, j'ai l'impression que du coup tout est intéressant.

 
Vous dites que « l'écriture est une vraie dépense physique », pourquoi ?

Oui, et j'ai mis un certain temps à l'accepter. Lorsque j'ai commencé à écrire, je pensais que les écrivains étaient des êtres assez fatigués, et je trouvais qu'il n'y avait pas vraiment lieu d'être, il y a pire comme condition, comme  travailler  à la mine, par exemple. Mais, au final, j'ai vu qu'il y a une combustion de soi dans l'écriture, quelque chose qui se dépense. Une dépense physique. Ce sont des moments d'une grande intensité et la fin d'un livre nous laisse assez vidé. À la fin de la journée, il y a une forme d'exténuation, d'épuisement, et d'ailleurs c'est un état assez intéressant.

Le métier d'écrivain a-t-il toujours été une vocation ?
Non, du tout. Mais, je dirais qu'on ne souhaite pas être écrivain, on souhaite plutôt écrire des livres. J'ai d'abord été éditrice pour un guide de voyage et puis pour la jeunesse et ça me convenait très bien. J'ai passé le cap du premier roman assez tard, j'avais presque 30 ans. C'est vraiment l'histoire d'un passage à l'acte. Je suis arrivée un peu profil bas, j'avais des attentes simples. Je voulais raconter une histoire, je voulais que ce soit beau, intéressant et l'objectif était de raconter.

 
Quels sont les pouvoirs de la littérature ?
Pour moi, ils sont très forts. C'est un médium très puissant qui permet énormément de choses. C´est l´art de faire revenir ce qui n´est plus, de retrouver ce qui a disparu, de rebâtir ce qui a été détruit. La littérature est l'acte par lequel on peut se souvenir, on fait revenir des images, des situations, le sens des choses et ça me parait être assez fort.

 

Publié le 13 novembre 2019, mis à jour le 13 novembre 2019

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