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LITTERATURE – Dany Laferrière au Portugal

Écrit par Lepetitjournal Lisbonne
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 mai 2016

L'écrivain aux multiples nationalités Dany Laferrière est venu à Lisbonne quelques jours en mars. L'auteur, élu à l'Académie française en 2013, était invité dans la capitale portugaise par l'ambassade du Canada au Portugal à l'occasion de la fête de la francophonie. Il en a profité pour parler de son dernier livre "Mythologies américaines". Lepetitjournal a été écouté cet écrivain qui n´hésite pas à utiliser la provocation si celle-ci conduit à la réflexion.

"Je suis avant tout un écrivain de ma bibliothèque". La voix puissante, le regard droit. L'écrivain haïtien-québecois Dany Laferrière, s'est prêté au jeu des questions  posées par Laure Leroy, directrice générale des éditions Zulma alors qu´il parlait de son ?uvre.

Invité par l'ambassade du Canada au Portugal en mars dans le cadre de la fête de la francophonie au Portugal,  l'auteur a rencontré  ses lecteurs pour leur parler de son dernier livre "Mythologies américaines". Il a été accueilli par l'ambassadeur du Canada, Jeffrey Marder : "Pour célébrer ce jour de la francophonie qui a pour thème le pouvoir des mots, la visite de Dany Laferrière ne pouvait pas mieux tomber." a-t-il déclaré. Non seulement écrivain mais aussi journaliste, Dany Laferrière a abordé les thèmes de la littérature, de la langue française, d'Haïti et du changement d'identité. Il est le premier Haïtien et Québécois à avoir été élu à l'Académie française, ceci en décembre 2013.

La bibliothèque, reflet de la personnalité
"Je voulais savoir quel type d'écrivain j'étais. La réponse je l'ai trouvée à une question qu'un journaliste m'a posée. « Êtes-vous un écrivain américain, êtes-vous écrivain haïtien, êtes-vous un écrivain canadien, êtes-vous un écrivain québécois, noir, caribéen ?» Je suis tout ça mais je suis surtout un écrivain de ma bibliothèque. Si on veut connaître l'origine et la  formation d'un écrivain, c'est à sa bibliothèque qu'il faut aller." déclare Dany Lafferière. Pour lui, la manière même de ranger sa bibliothèque dit beaucoup de choses de son propriétaire. Il poursuit "Les livres ont des pieds ils marchent. Dans la bibliothèque elle-même, proprement dite nous mettons des livres de façon à ce que les gens qui viennent vous visiter vous prennent pour de grands lecteurs, il y les ?uvres de Proust, les livres grecs et latins bien rangés. Puis il y a  des espaces plus intimes comme la chambre ou nous mettons les livres que nous lisons vraiment, c'est ce que j'appelle les livres amis"
Dany Laferrière juge que sa seule vraie bibliothèque est composée de livres qui le consolent du monde.

La magie du livre
 L'académicien révèle à l'assistance captivée, qu'il considère les livres comme des objets magiques :  "Je crois que c'est la seule magie qui existe. On dit que le vaudou par exemple, c'est la capacité à parler avec des gens morts,  mais les livres c'est encore plus, ce sont des morts qui nous parlent et que nous écoutons en silence. Il y a quelque chose d'extrêmement vivant dans le fait du livre, c'est pourquoi j'espère trouver mon identité vraiment entre les pages de livres que j'ai écrits  et que j'ai  aimés". Dany Laferrière ajoute que l'alphabet a permis à l'homme de ne pas sombrer dans la folie. "Les lettres de l'alphabet obligent l'être humain à faire silence en les lisant et en les écrivant. Sans elles, imaginez le bruit qu'il y aurait dans le monde.  Voyez ce que nous devons a l'alphabet c'est quelque chose de si précieux ce silence que nous impose l'écrivain, que j'espère être né de ce silence."

Devenir quelqu'un d'autre


L'éditrice demande alors à l'auteur de parler de son premier livre, écrit il y a trente ans, "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer". Le roman dénonçait dans un humour décapant, les clichés racistes et était présenté comme une joyeuse description d'une vie de bohème.
"C'est vrai qu'il est difficile de changer d'être. Ce n'est donné qu'aux plus démunis, qui ont connu l'exil dans la condition d'infériorité. C'est la seule façon de connaître une autre culture.  Il a fallu que je passe plus de 30 ans au Québec pour que j'aie l'idée d'aller à Miami, en pleine chaleur. J'avais tant chaud, que je me suis dit que la seule chose qui pourrait m'aider à supporter cette chaleur c'est de chercher dans ma mémoire un -20 degrés que j'ai connu à  Montréal. C'est là que j'ai compris que la glace s'était infiltrée dans mes veines et que j'étais devenu un enfant du Nord. Ce n'est pas très facile de changer de condition humaine, de métabolisme. Je me suis dit que c'était la plus grande aventure humaine, devenir quelqu'un d'autre ! Par la force des choses mais aussi par choix."

L'auteur s'adresse alors directement à son public : "Si vous vous trouvez dans une autre culture comment allez-vous vous comporter ?  Allez-vous essayer de vous fondre, de partager, de rester vous-même en faisant des concessions ? Cette question n'est pas encore posée de façon directe aux puissants. Mais elle se posera, car c'est la chose la plus intéressante au monde, la possibilité de devenir quelqu'un d'autre. Se trouver dans une autre culture , s'y infiltrer à tel point qu'on se pose une question sur sa propre nature. Sortir de Port-au-Prince et arriver à l'académie française par exemple."

La Remington 22
Laure Leroy rappelle à l'assistance que Dany Laferrière n'est pas un auteur comme les autres. En effet, ce dernier a tapé une dizaine de ses romans avec une machine à écrire Remington 22, qu'il s'était procurée chez un brocanteur, trente ans en arrière.
Il raconte : "Je l'ai acheté sans savoir taper à la machine, et trente ans plus tard, je tape toujours avec un seul doigt. Je l'ai achetée parce que je voulais être un écrivain américain, seule la machine m'a permis de sortir de l'influence littéraire du XIXème siècle dans laquelle je me trouvais. Je me suis dit que si j'écrivais à la main, toutes les influences littéraires allaient circuler par mes veines. Car la main est trop proche du c?ur et de la mémoire. La machine me permettait d'être face à ce que j'allais écrire et d'avoir le tambour, et d'entendre un bruit qui est différent. Et je me suis dit que c'est comme ça que je voulais commencer un livre sans que ce soit une phrase littéraire."

Dany Laferrière souhaitait se distinguer des autres écrivains et écrire un livre sans commencer par le commencement. Et c'est ce qu'il a fait dans son livre : "Pas croyable, c'est la cinquième fois que je mets ce disque de Charlie Parker".
"En écrivant cela, le lecteur a l'impression de monter dans le train en marche et d'arriver dans une histoire qui a déjà commencé bien avant lui." justifie-t-il.

La soirée se poursuit  en partenariat avec l´Alliance-Française de Lisbonne. Au programme, séance de lecture autour d'un vin d'honneur offert par l'ambassade du Canada. Lecture de passages tirés de l'énigme du retour, récompensé du prix Médicis et qui sont lus à haute voix puis commentés avec émotion par l'écrivain, en particulier quand il évoque sa mère. Après ce moment de partage fort en émotion, la traditionnelle tertúlia de l'Alliance française est servie aux habitués de ces soirées francophones ainsi qu'à quelques nouveaux.

Custódia Domingues et Iris Bertin (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mercredi 11 mai 2016

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Publié le 10 mai 2016, mis à jour le 13 mai 2016

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