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Où est le "dictateur le plus cool du monde mondial", Nayib Bukele ?

Habitué à être au centre du débat, Nayib Bukele semble avoir disparu de la scène médiatique latino-américaine. Pourquoi ? On vous l'explique ici.

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@Jose Cabezas (REUTERS)
Écrit par Rodrigo Castillejo
Publié le 9 août 2024, mis à jour le 12 août 2024

Habitué à être la star du show, Nayib Bukele, président d’El Salvador depuis 2019, semble avoir été écarté des projecteurs de la sphère médiatique latino-américaine.

Cet événement est inédit, puisque depuis son irruption sur la scène politique, le "dictateur le plus cool du monde mondial"— expression qu'il a lui-même utilisée de manière ironique—avait toujours été au centre du débat. Ses méthodes autoritaires, sa politique de sécurité et son charisme indéniable lui ont permis de conquérir le cœur des électeurs salvadoriens et de susciter une grande admiration dans les pays voisins.

Néanmoins, après sa réélection en février dernier, il semble avoir perdu une partie de son aura médiatique. Les journaux et les programmes télévisés accordent désormais plus d'intérêt à d'autres sujets, et Bukele semble avoir des ambitions ailleurs. Nous tenterons donc d’analyser ce qui a fait son succès initial, de décrypter les raisons de ce changement et d’examiner les facteurs ayant contribué à ce déclin relatif de son influence.

 

L'attrait naturel et spontané de Nayib Bukele

 

El Salvador
@elestado.net

 

Contrairement à d'autres présidents de la région qui cherchent à se positionner comme des leaders régionaux, Bukele a toujours privilégié sa politique interne. Son discours et sa popularité reposent sur sa capacité à faire sentir aux Salvadoriens qu'ils sont au centre de ses préoccupations et qu'ils entretiennent un lien proche avec leur président.

Bien qu'il ait eu l'occasion de présenter le bilan "positif" de son gouvernement dans certains forums internationaux, il n’a jamais inspiré à développer une politique étrangère poussée. Il a rarement cherché à créer des conflits avec d’autres présidents de la région, à l'inverse de figures comme Javier Milei, et a même maintenu de bonnes relations avec des dirigeants très différents, comme le président du Guatemala, Bernardo Arévalo.

 

Mais si Bukele n’a jamais eu une volonté de façonner la politique hispano-américaine, comment expliquer son succès ?

 

Une grande partie de sa popularité réside dans le fait que ses sujets de prédilection, la sécurité et la corruption, sont parmi les préoccupations majeures des Latino-Américains.

Ses politiques controversées de "main de fer" et ses mesures anti-corruption, associées à sa manière innovante de faire de la politique, ont conduit les électeurs de la région à percevoir le modèle Bukele comme attractif. Il incarne un dirigeant moderne et dynamique, éloigné de « l'establishment » corrompu, ce qui est particulièrement efficace dans un contexte de déclin du paysage politique traditionnel.

 

Une perte de visibilité suite à une redéfinition de l’agenda

Lors de son discours d'investiture, Nayib Bukele a affirmé avoir « réglé le problème le plus urgent, à savoir la sécurité » et qu'il allait désormais se concentrer pleinement « sur les problèmes importants, à commencer par l'économie ».

Il a donc dégagé un message clair : la politique sécuritaire, ayant été un succès, allait passer au second plan, et l'économie deviendrait sa priorité. Cependant, cette métamorphose de sa stratégie politique ne semble pas avoir le même attrait en Amérique Latine.

Premièrement, cela se manifeste par les difficultés du chef d’État salvadorien à s'approprier pleinement le discours sur la croissance économique. Ce sujet a déjà un protagoniste principal : Javier Milei. Le président argentin s’est entièrement emparé de ce discours et façonne le débat autour de ce thème. Ainsi, comme cela a été auparavant le cas avec Bukele dans le domaine de la sécurité, dans le débat économique soit on est pour Milei, soit on est contre, mais le récit est toujours centré sur lui. Les médias et les journaux trouvent dans le caractère sensationnaliste du chef d’État argentin un acteur parfait pour leurs récits, laissant ainsi Bukele en retrait.

Deuxièmement, pour comprendre la perte de visibilité de Bukele, il est nécessaire d’analyser s’il a obtenu des résultats dans cette nouvelle étape.

La popularité de son modèle en matière de sécurité reposait non seulement sur le sujet lui-même, mais aussi sur le succès, bien que controversé, qu’il avait obtenu. Cependant, face à la montée de l'inflation, à la dette nationale et au blocage des négociations avec le FMI, les mesures économiques de Bukele semblent jusqu'à présent n'avoir eu qu’un effet limité. Pour l'instant, la gestion du président salvadorien n’a pas été à la hauteur pour faire face aux défis économiques d'une des économies les plus pauvres du continent.

 

 

Finalement, la personnalité autoritaire de Bukele, qui avait auparavant renforcé l’image internationale de son projet sécuritaire, semble aujourd'hui constituer un obstacle au développement économique de son pays.

De nombreux spécialistes ont critiqué une vidéo publiée par ce dernier sur son compte X, dans laquelle il menace les importateurs, distributeurs et commerçants de poursuites s’ils ne baissent pas immédiatement les prix des aliments. Il les accuse d’abus, affirme qu’« ils savent les délits qu’ils ont commis » et prévient que s’ils ne se conforment pas à ses demandes, ils « ne doivent pas se plaindre des conséquences après ».

Augusto Townsend, fondateur du Comité de Lectura, a commenté que ce genre d'attitudes inquiète le secteur privé, qui craint de ne pas voir respectée sa liberté d'entreprendre. Il a souligné que ces comportements pourraient finalement avoir un impact négatif sur l'investissement privé et étranger à El Salvador, qui est pourtant une des priorités du gouvernement.

Ainsi, son incapacité, jusqu’à présent, à améliorer la situation financière de son pays, sa difficulté à s'approprier le discours économique, et ses attitudes autoritaires ont contribué à diminuer son importance sur le continent.

 

L'impact des critiques inattendues sur la réputation de Bukele

Ces derniers mois, le président salvadorien a reçu des critiques inattendues de la part de leaders politiques avec lesquels il travaillait conjointement ou entretenait une apparente bonne relation. Ces attaques ont fortement détérioré son image internationale.

Le premier cas marquant est celui des déclarations de l’ancien président américain, Donald Trump, lors de la Convention Nationale Républicaine.

 

Trump a affirmé que, bien que Bukele “essaie de convaincre tout le monde qu’il fait un travail merveilleux (dans la lutte contre la criminalité)”, en réalité il n’envoie que ses “criminels, trafiquants et prisonniers aux États-Unis”.

 

Ces commentaires ont surpris une grande partie de l’opinion publique, d'autant plus que les relations entre eux avaient jusque-là été très bonnes. Ils avaient participé ensemble à la Conférence Politique d'Action Conservatrice (CPAC), et Bukele avait défendu Trump face à ses problèmes avec la justice américaine.

Cette critique a particulièrement terni l'image du président salvadorien, d’autant plus qu’elle émane d’un homme politique très influent dans le monde latino-américain, et surtout dans un secteur de l'opinion publique qui soutient régulièrement Bukele. C'est probablement pour cette raison que ce dernier a choisi de ne pas réagir de manière virulente, se contentant d'affirmer sur son compte X que son gouvernement suivait "le chemin correct".

Toutefois, ce n’est pas le seul conflit international dans lequel Bukele a été impliqué. Quelques semaines auparavant, il avait reçu de vives critiques de la part du président équatorien Daniel Noboa.

 

El Salvador
@Hugo Martínez

 

La relation entre ces deux dirigeants était initialement très positive, Noboa voyant dans le modèle salvadorien une solution potentielle aux graves problèmes de sécurité de son pays. En effet, il avait organisé de nombreuses visites au Salvador et tenu des réunions bilatérales avec Bukele pour mieux se familiariser avec sa stratégie de lutte contre les mafias ainsi que les projets de construction de prisons.

Cependant, cette relation a subi un revers majeur après que des commentaires du président équatorien aient été divulgués par le journaliste Jon Lee Anderson du média américain The New Yorker. En effet, Noboa aurait déclaré lors d'une conversation "familière et privée" avec Anderson que Bukele est un "type arrogant" qui "ne cherche qu'à contrôler le pouvoir pour lui-même et à enrichir sa famille".

 

De plus, en réponse à un commentaire d’Anderson selon lequel Bukele s’était décrit comme "le dictateur le plus cool du monde", le président équatorien a répondu de manière moqueuse : "Oui, mais dans un pays de la taille de Guayas (une province équatorienne)".

Ainsi, ces conflits internationaux ont fortement affecté l’image du président salvadorien dans la région, révélant que même ses plus proches alliés et collaborateurs avaient des opinions défavorables à son égard.

Pourtant, malgré ce moment de retrait, une chose est sûre : Bukele n'est pas fini, et tôt ou tard, ce "dictateur cool" qui a révolutionné la politique en Amérique latine retrouvera sa place dans la sphère médiatique latino-américaine.

RODRIGO
Publié le 9 août 2024, mis à jour le 12 août 2024

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