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Une capsule de Paris à Lima : la pâtisserie Napoléon

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Écrit par Le Petit Journal LIMA
Publié le 22 décembre 2021, mis à jour le 23 décembre 2021

Jérôme Galiano, fondateur associé de la pâtisserie « Napoléon », récemment installée dans le quartier de Miraflores à Lima, nous présente ce projet de Haute Pâtisserie à la française.

 

Comment êtes-vous arrivés à Lima ?

Nous voulions aller à Hong Kong, c’est un long détour ! Plus sérieusement, nous n’avons pas de vente au public à Paris car dès le début du projet nous voulions un concept de pâtisserie parisienne pour l’international. Nous avons donc ab initio travaillé dans ce sens à Paris. La « vitrine » de Lima est notre premier point de vente au public. Mais l’aventure a commencé à Paris, et nous sommes quatre partenaires – trois Français et une Péruvienne – passionnés depuis toujours par le voyage et par la Haute Pâtisserie.

Nous n’avons cependant pas de formation ou diplôme en la matière ; je suis avocat d’affaire, Luciana a fait ses études en économie et finance à Lima et à Sciences po Paris, et les deux autres sont dans la finance. Fin 2019, nous avons commencé à essayer de faire de notre rêve une réalité et avons, pour ce faire, installé un laboratoire de pâtisserie dans le 8e arrondissement de Paris, suivant un modèle que je connaissais de par mon amitié avec la fille d’un des fondateurs de Pierre Hermé. Pendant plusieurs mois, trois chefs se sont donc réunis, trois fois par semaine, dans ce laboratoire, pour élaborer les recettes et les fiches techniques, avec les contraintes que nous imaginions être celles de Hong Kong – en particulier l’humidité et aussi l’absence de produits de qualité en Asie que nous pouvions anticiper, comme le beurre, les crèmes etc.

 

Mais cela n’a pas été Hong Kong. Grâce à votre partenaire péruvienne ?

Oui et non. En fait je devais partir à Cusco pour un an et demi pour accompagner un projet Hôtelier, et nous en avons profité pour faire, avec Luciana et des étudiants péruviens, une étude de marché. L’étude étant concluante, puisque Lima est une ville de haute gastronomie qui manque cependant cruellement de haute pâtisserie, nous avons décidé d’en faire la ville pilote pour notre projet. En outre, nos réflexions autour de l’humidité et de la basse qualité du beurre notamment valaient dans la capitale du Pérou, au taux d’humidité fort élevé. Et j’ajoute en ce qui concerne notre actuel labo, constant toute l’année, car il se trouve, géographiquement, tout proche de l’océan.

Fin 2019, nous avons donc installé à Lima un premier laboratoire, qui est aujourd’hui notre vitrine de vente, et avons continué le travail en partenariat, et par vidéoconférence, avec le laboratoire de Paris qui avait déjà mis au point 14 desserts. L’intérêt que présente aussi Lima, c’est l’existence, à Miraflores même, d’un institut Cordon Bleu, qui forme des chefs pâtissiers et fait intervenir de nombreux chefs français.

 

Une capsule de Paris à Lima : la pâtisserie Napoléon

 

Mais en mars 2020 est arrivé le covid…

Nous avions décidé de faire de la vente au public en avril 2020. Mais nos plans ont été légèrement altérés ! Nous avons dû fermer le lab pendant 4 ou 5 mois, puis avons essayé de faire de la vente en livraison, cela demandait beaucoup de logistique, et une deuxième quarantaine nous a contraint à fermer à nouveau 2 mois. Nous avons réduit au maximum les coûts de fonctionnement et avons réussi à tenir, pour enfin ouvrir la vitrine fin avril 2021.

 

Vous n’avez pas du tout communiqué auprès de la communauté française, pourquoi ?

Non, c’était un de nos dadas. Nous voulions vivre d’un marché local qui ne nous connaissait pas, convaincre une clientèle locale, gagner les palais péruviens, tout en résistant à la tentation de nous adapter au goût péruvien. Pour le définir rapidement, des gâteaux « légèrement ! » plus sucrés et avec certains produits typiques comme la « lucuma ». Nous avons résisté à cette facilité : l’idée était d’offrir aux gens une expérience de haute pâtisserie, comme s’ils étaient à Paris. Et cela n’a pas été facile. Cependant on peut dire, après 6 mois, que nous sommes fiers d’avoir conquis cette clientèle de quartier et au-delà – et maintenant les Français viennent aussi. L’enjeu aussi était de proposer des gâteaux de la plus haute qualité pour un coût abordable, pour mettre fin à une certaine association entre gastronomie française et prix exorbitants.

 

Une capsule de Paris à Lima : la pâtisserie Napoléon

 

La phase d’adaptation a-t-elle été facile ?

Non, nous avons eu besoin de nombreux ajustements, et nous sommes toujours dans une période d’exploration et d’essais. Je prends quelques exemples, qui montrent aussi notre désir de travailler, dans la mesure du possible, avec des produits locaux. Le beurre : pour le moment nous faisons notre propre beurre à partir de crème que nous faisons venir de producteurs proches de Lima. La farine : nous n’avons pas réussi à trouver une farine qui garde un niveau de qualité constant, un niveau d’humidité constant, et passons donc par un grand intermédiaire agroalimentaire, Alicorp, dont une ligne correspond à des standards internationaux, c’est-à-dire essentiellement la constance et aussi la traçabilité des dates de production. Ici, beaucoup de produits sont non scellés, ce qui nous conduit parfois à devoir nous tourner vers des produits d’importation. Pour le chocolat, ce qui est triste et paradoxal pour un pays comme le Pérou, nous utilisons un chocolat belge, au grain fin. Mais nous n’avons pas renoncé à trouver la pâte qui nous convienne : comme je l’ai dit, nous sommes dans une phase de prospection.

Au début, je passais des heures dans le marché voisin à parler avec les commerçants, à apprendre et comprendre « la saisonnalité » et à m’inspirer. L’humidité aussi nous a joué des tours : normalement la pâte à choux sèche environ 40 minutes ; il nous faut la laisser sécher presque le double, pour qu’elle puisse tenir 6 ou 7 heures sans se détremper. Petit à petit, nous avons mis en place des pratiques singulières, pour résoudre des tas de problèmes au quotidien.

Et il y a aussi eu des bonnes surprises : par exemple le citron vert péruvien, qui est d’une banalité totale pour le consommateur péruvien, a une saveur très particulière, qui intéresse beaucoup les chefs. Il en va de même du fruit de la passion. Nous sommes enfin sur la piste d’un producteur de vanille qui, à la différence de ce qui se passe pour la plupart des producteurs dans le monde aujourd’hui, produit selon un processus complètement naturel, sans effectuer la pollinisation à la main. Jusque-là, nous apportions les gousses de vanille, qu’elles soient de Madagascar ou de Tahiti, dans nos valises : nous n’avons encore aucune expérience des douanes péruviennes… !

 

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Devant le succès évident de votre entreprise, avez-vous l’idée de passer à une échelle plus industrielle ?

Non, nous ne visons pas une industrialisation de la production. L’essence même de ce que nous faisons réside dans son caractère artisanal. Et si nous devons augmenter les volumes de production dans le futur nous savons que cette étape ne dénaturera pas notre caractère artisanal. Et notre objectif est de vivre et de faire connaître notre passion. Visant à offrir une expérience exclusive et de qualité avec un cadre et un caractère très parisien, sans toutefois être trop exclusif par nos prix. Le Pérou a été une très bonne surprise, et le bon accueil du projet sur place, qui a su garder tout son caractère et sa nature, montre que notre pâtisserie nationale est capable de séduire même dans un pays, aussi riche par son raffinement gastronomique que par la diversité de ses coutumes.

 

Une capsule de Paris à Lima : la pâtisserie Napoléon

 

Propos recueillis par Sylvie Taussig, écrivaine et chercheuse au CNRS. Dernières publications : Richelieu (Gallimard, Collection Folio biographies, 2017) ; Sous le nopal (Jingwei éditions, 2017) ; Le Système du complotisme (Bouquins, 2021).

 

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