

Plus tendue qu’en Belgique, plus complexe qu’en Suisse, la problématique de la langue est au cœur de la construction de la société sud-africaine. Face à cet obstacle fondamental pour communiquer et se mêler les uns aux autres, comment envisager l’intégration culturelle ? La polémique récente sur les écoles en afrikaans soulève la question : la multiplicité des langues maintient t’elle la ségrégation plus qu’elle n’encourage la diversité ?

Mémoriser la liste des onze langues officielles est déjà un défi ! Les voici. Selon le recensement de 2011, le isiZulu est la langue maternelle la plus utilisée. Elle concerne près de 23% de la population. Parlée par un Sud-africain sur deux, elle joue le rôle de lingua franca parmi les langues indigènes. Le isiXhosa (ainsi dénommée en version originale) arrive ensuite et concerne 16% des personnes. Puis l’afrikaans pour 13% de la population, avec une répartition géographique fortement marquée dans la région du Cap. L’anglais arrive en quatrième position, avec moins d’une personne sur dix qui le parle à la maison. Puis le sepedi, le setswana, le sesotho, le sitsonga, le siSwati, le tshivenda et enfin le isiNdebele pour un peu plus d’un million de personnes. Cette dernière langue, ainsi que le zulu, le xhosa, et le swazi sont des langues bantu qui ont emprunté aux Khoisan les fameux clics spécifiques à la région.
Avec la constitution de 1997, l’Afrique du Sud est passée de deux langues officielles (anglais et afrikaans) à onze. Ce choix est inhabituel parmi les pays d’Afrique décolonisés. Dans la plupart d’entre eux, la langue européenne est restée la langue officielle, accompagnée ou non d’une langue africaine dominante – bien que ce soit le Zimbabwe qui détienne le record international avec 16 idiomes. Nelson Mandela, alors président, avait insisté pour garder l’afrikaans contre l’avis de ceux qui voulaient abandonner la langue des Boers, et avait ajouté neuf langues parmi les plus importantes que compte le pays afin de leur offrir un traitement consistant. Le droit à l’éducation dans la langue maternelle est ainsi garanti par la constitution. Près de 20 ans après, Jacob Zuma déclarait il y a quelques mois lors des débats sur la transformation des universités enseignant en afrikaans, que celle-ci est « aussi africaine que les autres langues officielles du pays ». L’afrikaans est elle-même un ‘melting pot’: le néerlandais dont il est issu a été influencé par les peuples d’Afrique, mais aussi par l’anglais et le malais, par l’intermédiaire de la communauté d’esclaves ‘importés’ au Cap.
Les difficultés du bilinguisme
Comme pour les francophones qui habitent en Afrique du Sud, l’enseignement plurilingue est un casse-tête à l’école sud-africaine. En fonction des zones d’habitation, les classes de grade 1 à 3 (CP à CE2) se font théoriquement dans la langue choisie par les parents à l’inscription à l’école. A partir du CM1, l’instituteur explique son cours dans la langue maternelle, mais les manuels remis aux élèves sont en anglais, et les devoirs sont écrits en anglais. Dans ces conditions, il est difficile d’installer une langue ‘maternelle’ qui soit maitrisée par l’enfant d’une façon qui lui permette de manipuler des concepts complexes. D’autant que l’enfant grandit dans un environnement où il y a souvent plus d’une langue autre que l’anglais. De plus, pour préparer les élèves au mieux, les enseignants sont tentés d’utiliser l’anglais avant même l’entrée au grade 4, sa maitrise étant considérée comme le sésame pour décrocher un travail ou accéder à des études supérieures. Mais la langue maternelle n’étant pas assez forte, à l’opposé de l’effet recherché, il devient très difficile pour nombre d’élèves d’ajouter l’anglais à leur répertoire. On peut se demander si cette diversité de la langue ne renforce pas la ségrégation géographique: comment enseigner le tswana dans une environnement où le xhosa est dominant ? Au final nombre de parents préfèrent que leur enfant fasse son cursus scolaire en anglais.
Le mois dernier, Panyaza Lesufi, ministre de l’éducation pour la province de Gauteng a gagné une procédure judiciaire à la Cour constitutionnelle lui concédant le dernier mot sur les admissions d’élèves dans les écoles publiques. Les écoles afrikaans se retrouvent ainsi avec des inscriptions d’élèves qui ne parlent pas la langue, et pour lesquels un cursus en anglais doit être mis en place. L’organisation Afriforum, qui défend les droits des Afrikaners s’est insurgée contre cette pratique. Lesufi dénonce l’exclusion qu’exercent les écoles afrikaans qui cherchent à « se reproduire socialement et ethniquement» et déplore qu’elles refusent de participer à des tournois sportifs nationaux, fermant leurs portes à la mixité. « Vous ne défendez pas une langue, vous défendez votre territoire en définitive, » a accusé le ministre. La langue n’est qu’une excuse selon lui pour maintenir les privilèges en vase clos. Pour ses détracteurs de l’Afriforum, contraindre à enseigner alternativement en anglais dans les écoles afrikaans, est le premier pas vers l’abandon de leur culture, et à terme de leur identité.
Selon les mots de Mandela, qui disait affectionner la langue de ses geôliers, « si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, le message atteindra sa tête, si vous lui parlez dans sa langue, le message atteindra son cœur». La question de la langue touche bien l’âme de l’Afrique du Sud, une âme meurtrie qui a du mal à s’énoncer.
Lisa Binet (www.lepetitjournal.com/Johannesbourg) Mercredi 8 juin 2016
Leave afrikaans schools alone (News 24)
Save Afrikaans schools (Sunday Times)
South African languages
Grammaire zulu
Crédit photo : Entrée de la Cour Constitutionnelle à Johannesburg, déclinées en 11 langues, Violaine Royer.
Restez connecté
Ecrivez nous
Abonnez-vous à la newsletter
Aimez notre page Facebook
Suivez notre compte Twitter
Retrouvez tous nos articles sur notre site



