Lauréate de plusieurs prix prestigieux à la RHS (Royal Horticultural Society) à Londres, Julie AH-FA est aujourd’hui l’une des artistes botaniques françaises les plus reconnues à l’international. Installée à Johannesburg, elle mène un parcours dense et singulier, à la croisée de l’art, de l’entrepreneuriat et des échanges culturels.


Propos recueillis par Philippe Petit – Photos : Julie AH-FA
C’est à l’occasion d’une superbe exposition d’art botanique à la Villa Arcadia de Johannesburg que nous avions rencontré Julie AH-FA en juin 2025.
Ses œuvres exposées avaient conquis les visiteurs et des professionnels renommés de Johannesburg.
Lepetitjournal.com l’a rencontrée à nouveau récemment. Au cours de cet entretien, elle a dévoilé son parcours aux multiples facettes, mêlant art de haut niveau et entreprenariat.
Lepetitjournal.com : Lors de notre premier entretien, vous nous aviez fait découvrir l’art botanique, une discipline artistique très exigeante. Vous étiez en train de mettre la dernière main à vos préparatifs pour une exposition internationale à Londres
Julie AH-FA: L’art botanique est pour moi une véritable passion. Et j’y consacre beaucoup de temps et d’énergie créatrice.
Cette discipline artistique qui consiste à reproduire des végétaux, des plantes, des fleurs, des fruits, au plus près de la réalité, nécessite beaucoup de finesse, de la précision, du réalisme.
Mon parcours de vie est varié, riche et atypique. L’art botanique est ce dont je suis la plus fière
Les expositions, comme celle de Johannesburg organisée en juin 2025 par la Botanical Artists Association of Southern Africa (BAASA), sont l’occasion de présenter mes œuvres, de promouvoir et faire découvrir cet art très minutieux.

Je suis effectivement allée exposer à Londres. J’ai travaillé cinq ans sur la série que j’ai présentée à la Royal Horticultural Society. La RHS est une organisation emblématique du Royaume Uni, qui organise chaque année le « RHS Botanical Art & Photography Show ».
Cet évènement rassemble des dizaines de photographes et d’artistes botaniques, de renommée mondiale. Des prix basés sur l'esthétique, l'exactitude scientifique et la compétence technique sont attribués par un panel d'experts. Les visiteurs et le public en ligne attribuent également un prix pour leur œuvre préférée.
Lpj: Vos œuvres, présentées à l’exposition RHS, mettent en valeur les plantes endémiques et menacées de l’île de la Réunion, d’où vous êtes originaire. Pourquoi ce choix ?
JA : Pour cette exposition prestigieuse et mondialement reconnue, chaque artiste soigneusement sélectionné a présenté 6 œuvres qui apportent une contribution scientifique ou horticulturale.
J’ai cherché à mettre en lumière la flore fragile et menacée de La Réunion et d’Afrique australe. Mes peintures représentaient les mahots, fleurs endémiques de la Réunion.
Mes oeuvres, très épurées et que je souhaite les plus réalistes possible, ont emporté un vif succès lors de cette exposition internationale.
J’ai été lauréate de plusieurs prix, avec une immense fierté.
J’ai reçu la médaille d’or de l’exposition, le prix spécial du jury, et celui qui est le plus touchant, le prix du public.
La médaille d’or m’apporte une crédibilité accrue et une reconnaissance internationale. Le prix spécial du jury - constitué de professionnels - consacre la qualité technique de mes œuvres. Le prix du public accroît et renforce ma popularité et me donne une grande visibilité.
Ces prix sont le signe d’une reconnaissance unanime du travail accompli pendant toutes ces années.

« Pour moi, l’art botanique est plus qu’une représentation fidèle : c’est un engagement, une manière d’inviter chacun à regarder la nature autrement et à en prendre soin »
Lpj : Quel a été votre parcours artistique pour arriver à ce haut niveau de reconnaissance et obtenir ces prix ?
JA : J’ai toujours aimé dessiner, peindre, faire des œuvres au fusain.
J’ai appris l’art botanique en 2009 en suivant la formation délivrée par une artiste Sud-Africaine très renommée : Ann Harris.
La reconnaissance publique a commencé en 2013, avec une médaille de bronze dans une exposition à Kirstenbosch, à Cape Town.
J’ai récemment exposé trois peintures de mangues de La Réunion qui ont été acquises par la galerie Everard Read de Johannesburg.

J’ai aussi travaillé avec des botanistes et des entomologistes pour la réserve naturelle privée de Grootbos. J’ai contribué au « Florilegium », livre d’art et lieu d’exposition regroupant 124 œuvres de 40 artistes venus de divers horizons qui ont représenté des végétaux et des insectes rares, emblématiques et menacés, présents sur la propriété entourant les lodges.
Les œuvres originales sont exposées dans la galerie Hannarie Wenhold située au sein de la réserve. Une nouvelle série de peintures est en cours et je participe également à cette nouvelle édition.
L’objectif est de faire découvrir la flore et la faune du Royaume Floral du Cap, situé dans le fynbos et proche de la forêt de Milkwood.
Lpj: Vous vivez à Johannesburg depuis 17 ans. Quel a été votre cheminement jusqu’à votre installation en Afrique du Sud ?
JA : Je suis française, originaire de l’île de la Réunion où j’ai grandi. Mes ancêtres sont venus de Chine pour s’y établir. Je suis de la quatrième génération, et je garde un attachement à la culture de ce pays, même si je ne parle pas la langue chinoise, ni le dialecte de leur lieu d’origine.
J’ai visité la Chine et notamment l’endroit d’où vient ma famille. Mais leur village est devenu une ville de deux millions d’habitants et les forêts de buildings ont remplacé les champs et la campagne.
Enfant, je rêvais de devenir vétérinaire.
Mais mes souhaits ne se sont pas réalisés. J’ai finalement poursuivi mes études supérieures en France, dans une grande école de commerce, à Toulouse. Et je me suis spécialisée en marketing.
A la fin de mes études, en 1998, j’ai débuté ma carrière en marketing alimentaire à Paris.
Ce fut une expérience à la fois formatrice et stimulante sur le lancement de produits et la communication.
Lpj: Une carrière professionnelle à Paris, cela vous convenait-il?
JA : J’ai tenu quelques années. La vie parisienne ne me convenait pas, et j’ai eu envie de revenir à La Réunion.
Et j’ai trouvé un poste de cheffe de produit à La Réunion. Une chance car ce type de postes est rare sur l’île. Cette fois, c’était dans une brasserie qui produisait la fameuse bière Dodo, et qui distribuait la boisson Coca-Cola. J’avais des perspectives de carrière prometteuses, mais une fois de plus, les choses ne se sont pas passées comme prévu !
En 2008, lors d’un lancement de produit à La Réunion, j’ai rencontré Manu, réalisateur venu d’Afrique du Sud. Cette rencontre a changé le cours de ma vie et m’a amenée à Johannesburg.
Lpj : C’est ce qu’on appelle un coup de foudre ! Vous vous installez en Afrique du Sud, et vous poursuivez dans la filière alimentaire ?
JA : Non, j’ai tout quitté : mon île, mes proches, ma carrière… Mes parents n’ont pas compris tout de suite. Pourquoi laisser une aussi belle situation pleine d’avenir ?
Grâce à Manu, bien implanté en Afrique du Sud où il vivait depuis plus de dix ans et renommé dans son métier, j’ai trouvé très vite un emploi dans la production audiovisuelle.
Nous avons décidé de créer notre propre entreprise de production, en 2009, « Ginger Pictures » et nous nous sommes partagé les rôles. Manu à la création et à la réalisation. Et moi au marketing et à la production.
Nous étions complémentaires et avons tourné dans de nombreux pays d’Afrique, beaucoup voyagé et produit pour de multiples agences de publicité. Nous avons remporté de nombreux prix et travaillé sur des projets importants.

Et cela a bien fonctionné jusqu’à la période post-Covid, qui a profondément transformé la profession. L’apparition et le développement de l’IA ont ensuite modifié le rythme de nos activités, les annonceurs privilégiant ces nouveaux outils plus rapides et économiques. L’entreprise continue cependant d’exister, avec un marché différent et des budgets plus restreints.
Nous avons néanmoins choisi de nous diversifier et d’explorer de nouvelles pistes, tout en intégrant l’IA dans nos processus de production.
Nous avons cherché à renouveler nos activités. Liège, la ville d’origine de Manu et ses traditions gastronomiques nous ont inspirés. Nous avons lancé, à Johannesburg, la production et la commercialisation de gaufres, comme celles de Liège, en Belgique. Avec une différence de taille : les nôtres ont la même allure, la même texture, le même goût que les meilleures, mais elles sont totalement végan.
Lpj : Donc, pour vous, la production alimentaire est revenue sur le devant de la scène ?
JA : Avec Manu, nous avons lancé Waffle Revolution, une gamme de gaufres de Liège véganes, qui rencontre un succès croissant à Johannesburg. D’abord grâce au bouche-à- oreille et maintenant avec la vente en ligne sur notre site :

Lpj : Entre l’art botanique et la production de gaufres véganes, votre emploi du temps est bien rempli ?
JA : Ce n’est pas tout !
Je voudrais parler aussi d’une autre activité qui nous tient à cœur. Avec Manu, nous pratiquons les arts martiaux depuis longtemps. Il est sensei 4ème dan et moi 2ème dan.
Nous proposons aujourd’hui des formations au karaté pour les enfants et adultes, avec notre structure qui représente en Afrique du Sud le « Marudào », un style de karaté.

Et de nombreux adeptes de tous âges nous rejoignent pour des cours plusieurs fois par semaine, à la Cliffview Primary School.
Marudào est une fusion entre le karaté traditionnel japonais et le Wushu venu de Chine

Notre page Facebook présente tous les détails : Marudào
Lpj : L’Art Botanique reste votre activité phare. Auréolée de ces prix obtenus récemment, avez-vous prévu des évènements pour montrer vos œuvres au public d’Afrique du Sud ?
JA : Une exposition est prévue au jardin botanique de Stellenbosch, pour représenter la flore endémique locale menacée. Cette exposition commence le 13 septembre et va durer jusqu’au 16 janvier 2026.
Et pour mes proches, à la Réunion, la ville du Tampon a utilisé mes peintures pour l’affiche de la fête de la ville, « Les Florilèges », et une exposition y sera prochainement organisée.
L’un de mes projets actuels est une collaboration avec la James and Shirley Sherwood Foundation du Jardin botanique de Stellenbosch. Je travaille à la peinture d’une plante en danger critique d’extinction, dans la continuité de ma mission de sensibiliser et de contribuer à la protection des espèces menacées.
Ce qui est important pour moi, c’est qu’en tant qu'artiste botanique, je suis convaincue que ma mission à long-terme est de poursuivre la sensibilisation à la beauté fragile et unique des plantes, de transmettre leur histoire et de rappeler leur rôle essentiel dans notre monde.
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