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MARCHE AFRICAIN - Sur les traces de la médecine traditionnelle

Écrit par Lepetitjournal Johannesbourg
Publié le 23 juillet 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

La terre africaine recèle de nombreux mystères, des coutumes ancestrales et un ensemble de croyances parfois aux antipodes de la rationalité occidentale. Le Muti, médecine traditionnelle apparentée à de la sorcellerie et qui soigne près de 80% des sud-africains, fait partie de cette symbolique


La boutique de Kenny, médecin traditionnel (crédit photo : Julie Azémar)

" - Avez-vous des épines de porc-épic ?
- Juste une ?
- Non, je veux celles de l'animal entier''.

Cette requête, qui pourrait sembler incongrue dans une pharmacie, s'avère banale lorsqu'elle est prononcée ici. A l'intérieur du KwaZulu Muti, échoppe située dans le centre-ville de Johannesbourg1, les peaux de pythons remplacent les sirops contre la toux et les mixtures animales les antibiotiques. Bienvenue au pays du Muti, mot zoulou désignant à la fois la médecine aborigène sud-africaine et les poudres et potions qui y sont associées. Ce chercheur d'épines, qui ne souhaite pas dire son nom, est en quête d'un remède pour sa belle s?ur, victime d'un mauvais sort : "Des personnes diaboliques lui en veulent. On a trouvé des os enterrés dans son jardin. Depuis, elle est malade et tout un tas de problèmes lui tombe dessus. Elle a été voir son médecin qui lui a dit de ramener un porc-épic pour désenvoûter sa maison." Sans l'animal, il ne peut retourner dans sa famille. Et pour le trouver, il devra se rendre au Mai Mai market, le marché du Muti, à l'extrémité Est du centre-ville2.

L'Afrique du Sud compte plus de 200 000 médecins traditionnels

Plus qu'un simple marché où les vendeurs proposent leur marchandise sur des étals, le Mai Mai est un véritable quartier, constitué de maisons dans lesquelles vivent 199 familles. Les enfants jouent calmement devant des vitrines encombrées de squelettes de têtes de chevaux, d'hippopotames ou de vaches. Pas de cohue ni de précipitations dans ces quelques ruelles vertes et fleuries : la sérénité et le calme qui se dégage du lieu est à la hauteur de sa fonction curative et coutumière. Les techniques employées par les médecins traditionnels, dits '' inyangas '' ou '' witchdoctors '', sont définies par l'Organisation mondiale de la Santé comme ''l'ensemble des pratiques, des approches, des savoirs et des croyances qui utilisent des médicaments à base de plantes, d'animaux et de minéraux tout comme des thérapies spirituelles individuelles et de groupe dans le but de soigner, de diagnostiquer ou de prévenir des maladies''. Le marché reflète cette distinction entre le soin physique, pris en charge par le ''traditional healer '' et le traitement spirituel qui relève du pouvoir du ''sangoma''.

Le futur sangoma se doit de répondre à l'appel de ses ancêtres

A 45 ans, Cornelias possède enfin sa propre officine. Après deux ans d'internat de médecine traditionnelle dans le nord du pays et huit années d'apprentissage sous la coupe d'un aîné, il travaille désormais seul. Reconnu et inscrit dans le registre de l'association des médecins traditionnels sud-africains3, il vend quotidiennement du Muti, " le produit de la terre et des arbres, des racines jusqu'aux feuilles. Mais aussi des produits d'origine animale comme des oiseaux et ici cette fiole d'extrait de lion ", explique le praticien sur fond de musique reggae.

Kenny, "traditional healer" a été initié et formé par son père, au KwaZulu-Natal, région mère des sangomas où se déroulent les initiations

Cornelias est également un sangoma, qui, comme le veut la tradition, a été appelé : "Pour commencer, je suis tombé malade. Je travaillais dans une banque à l'époque et je m'endormais au bureau. Une lourde fatigue générale. J'ai donc été consulté une sangoma qui a jeté les ossements pour moi. Elle m'a dit que je devais devenir un soignant. " Cette orientation n'est pas un choix mais un devoir. E.S., comme elle s'appelle, assise confortablement sous le soleil dans une des rues du marché explicite cette sensation. Elle se rappelle de ses rêves incessants survenus il y a plus de vingt ans. "Je rêvais d'un ancêtre qui me parlait. Il me disait d'aller prier au bord de la rivière et d'allumer une bougie jaune. A ce moment là, une force vous pousse et vous devez le faire", se souvient la guérisseuse, originaire du Kwazulu-Natal. Possédant "tous les ancêtres dans son corps " elle a le pouvoir d'aider les personnes envoûtées  puisque le mauvais sort survient du courroux des générations précédentes qu'elle peut alors calmer.

Si les unes des journaux relatent des faits divers terrifiants sur la dangerosité des produits utilisés par les médecins traditionnels, le Muti reste pourtant la colonne vertébrale de la médecine sud-africaine. A tel point que le ministère de la Santé souhaite travailler avec ces soignants pour réguler leurs pratiques mais aussi intégrer leurs savoirs à la médecine occidentale, comme cela s'est fait en Inde, qui reconnaît et encadre la médecine indigène 4.

Julie Azémar - lepetitjournal.com/johannesbourg.html - vendredi 23 juillet 2010

1: KwaZulu Muti, 14 Diagonal Street, CBD. Ouvert en semaine de 7h30 à 17h00 et le samedi jusqu'à 13h00.

2 : Mai Mai Market, à l'angle des rues Anderson et Berea.

3: Traditional Healers Association of South Africa, NTHASA

4: Discours du Ministre de la santé lors de la signature d'un protocole d'accord entre les médecins indigènes du Kwazulu-Natal et l'école de médecine Nelson R Mandela de Durban, 2003 : http://www.doh.gov.za/docs/sp/2003/sp1022.html

Texte portant sur la reconnaissance et l'encadrement de la médecine traditionnelle :

http://www.southafrica.info/ess_info/sa_glance/health/traditional-healersbill.htm


 

lepetitjournal.com johannesbourg
Publié le 23 juillet 2010, mis à jour le 13 novembre 2012

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