Édition internationale

L'émouvant retour de Roger BOURGAREL à Johannesburg, 54 ans plus tard

En juin 1971, Roger BOURGAREL a participé avec l’Équipe de France de rugby à une tournée historique en Afrique du Sud. Il est revenu sur place à l’occasion du tournage d’un documentaire de Jérémie MAGAR qui retrace son histoire singulière.

Roger Bourgarel à l'Alliance Française de JohannesburgRoger Bourgarel à l'Alliance Française de Johannesburg
Roger BOURGAREL à l'Alliance Française de Johannesburg - Photo Philippe PETIT
Écrit par Philippe Petit
Publié le 4 novembre 2025, mis à jour le 7 novembre 2025

Le rugby, par hasard

Un jeune garçon court sur la piste d’un stade, dans les années 1960.  Comme à l’accoutumée, il passe la ligne d’arrivée devant tous les autres concurrents. 10’’5 au 100 mètres, cela lui semble naturel, et il fête cependant sa nouvelle victoire avec modestie. Son objectif dans la vie est simplement de devenir professeur d’éducation physique.

Mais cela se passait à Toulouse, le terroir du ballon ovale en France. Ce jour-là, un entraineur de rugby remarque le jeune homme, l’aborde et le félicite pour sa performance. Puis il lui propose de rejoindre son équipe. Il accepte la proposition et, dès son premier match, il marque dix essais ! Puis quatre autres essais au match suivant.

 

Cela m’a ouvert les yeux; j’ai commencé à jouer sérieusement au rugby - Roger BOURGAREL

Devenir joueur de rugby, c’était un pur hasard, mais ces premiers pas fulgurants l’ont poussé à poursuivre dans ce sport. Non seulement il court très vite, mais il possède d’incroyables qualités d’évitement de l’adversaire. Il se retrouve très vite dans l’équipe nationale junior. À cette époque, le rugby n’était pas un sport professionnel. Les joueurs, même dans les meilleures équipes, exerçaient un métier et jouaient le week-end.

Paul BLANC, entraîneur du Stade Toulousain, le repère ensuite et lui propose de rejoindre son équipe de haut niveau.

Ce jeune homme s’appelle Roger BOURGAREL. Il est né à Toulouse, de père Guadeloupéen et de mère d’origine Italienne. Ce qui explique sa couleur de peau plus foncée que celle des autres. Les non-blancs qui jouaient au rugby en France n’étaient alors pas très nombreux.

 

Roger Bourgarel

 

 

Joueur à Toulouse et en Équipe de France

Sa vitesse, son potentiel, son intelligence du jeu le propulsent dans l’équipe première où il devient ailier. Avec Pierre VILLEPREUX pour capitaine, il a joué la finale du championnat national en 1969. Et à peine deux ans après son arrivée dans le club, il a été sélectionné en équipe de France. Entre 1969 et 1971, il a cumulé 9 sélections.

A cette époque, il se trouvait au sommet de son art. Il a marqué les esprits par sa rapidité, son élégance et son sens du placement sur le terrain. On l’appelait « la Flèche Noire » car il était connu pour laisser ses adversaires sur place. Sa qualité de jeu rapide, c’est ce qu’il voudrait que l’on retienne.

Une vilaine blessure au genou a stoppé net sa carrière de haut niveau en 1973. Mais il a continué à jouer jusqu’à 52 ans dans divers clubs.

 

Roger BOURGAREL, à L'Alliance Française de Johannesburg
Roger BOURGAREL à l'Alliance Française de Johannesburg - Photo Philippe PETIT

 

Roger Bourgarel en Afrique du Sud

Il y a quelques jours, fin octobre 2025, Roger BOURGAREL est revenu en Afrique du Sud, là où il avait joué dans cette tournée mémorable de l’Équipe de France il y a 54 ans. Même si pour lui ce n’est qu’un épisode d’une brillante carrière sportive, ce pays a marqué sa propre histoire et l’histoire en général.

 

L'Equipe de France de rugby en tournée en Afrique du Sud, 1971

 

Il est aujourd’hui le personnage principal d’un documentaire sur sa vie, en cours de tournage sous la direction de Jérémie MAGAR, qui reviendra notamment sur sa venue en Afrique du Sud, en juin 1971. Le documentaire sera diffusé sur France 3 au printemps 2026.

Ils sont venus présenter leur travail en cours et échanger avec les spectateurs devant un auditoire passionné à l’Alliance Française de Johannesburg, à l'initiative de l'Institut Français d'Afrique du Sud (IFAS).

 

Affiche IFAS/AFJ

 

L’équipe de France de rugby était venue faire cette tournée pour jouer contre l’équipe d’Afrique du Sud, les Springboks. Une équipe au jeu de très haut niveau, très solide et physique, peut-être même trop musclé.

Mais au départ, Roger BOURGAREL n’avait pas été sélectionné  pour cette tournée.

 J’étais très déçu de ne pas avoir été sélectionné,  pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le sport  -  Roger BOURGAREL

L’Afrique du Sud, en plein régime d’apartheid, en vigueur dans le pays entre 1948 et 1991, refusait qu’il joue, simplement à cause de sa couleur. Le gouvernement sud-africain imposait alors une séparation totale entre les populations blanches et non-blanches. Les équipes sportives étaient exclusivement composées de joueurs blancs. Les stades, les transports, et même les tribunes, étaient strictement séparés selon la couleur de peau.

Ce n’est qu’après de longues négociations que le président de la fédération française de rugby, Albert FERASSE, a obtenu l’accord de son homologue Danny CRAVEN et du gouvernement Sud-Africain pour sélectionner Roger BOURGAREL pour les matchs de cette tournée. Les autorités sud-africaines ont dû faire une exception, sous peine de voir la tournée annulée, ce qui aurait isolé encore davantage le pays sur la scène internationale.

Pour moi, faire une tournée avec l’Équipe de France était l’aboutissement d’une très bonne saison. Je voulais absolument y aller, tenir ma place sur le terrain - Roger BOURGAREL

Le Match France Afrique du Sud du 19 juin 1971

 

Roger BOURGAREL fut ainsi le premier joueur non-blanc à participer à un match international en Afrique du Sud. Il n’a manqué qu’un seul match de la tournée, à cause d’une blessure à la tête au cours de l’un des matchs. Il se souvient encore aujourd’hui de l’accueil plus qu’amical des spectateurs noirs Sud-Africains dans tous les stades. Et il se remémore aussi leur explosion de joie lorsqu’il a marqué un essai. Il a d'ailleurs rencontré un spectateur noir, Lester, qui était dans les tribunes du Ellis Park Stadium lorsqu'il a marqué cet essai juste devant la tribune des personnes noires. Lester lui a raconté comment il se souvenait de lui et combien il l'avait inspiré.

 

Des souvenirs marquants      

De cette tournée, il garde encore aujourd’hui des souvenirs marquants.

Il avait reçu des menaces et subi des actes discriminatoires pendant la tournée, sa présence était perçue comme une provocation de la part des dirigeants blancs du pays. Alors qu'il n’était venu là que pour jouer simplement au rugby, il était très loin d’imaginer que sa présence sur le terrain allait alimenter autant de polémiques.

Pendant cette tournée, il avait été profondément choqué de voir comment ce pays traitait les noirs. Il s’est lui-même fait bloquer à la porte d’un club réservé aux blancs quand il est venu avec ses coéquipiers lors d’une soirée d’après-match.

 

Entrée Musée de l'Apartheid à Johannesburg
Entrée du musée de l'Apartheid à Johannesburg

 

 C’est en venant en Afrique du Sud que j’ai réalisé que j’étais noir - Roger BOURGAREL

Il est donc devenu bien malgré lui le symbole de la lutte contre l’apartheid. Le point culminant de cet épisode a été cette salve d’applaudissements nourris venus de la tribune des spectateurs sud-africains noirs quand il a marqué un essai pour la France au Ellis Park Stadium. 

On ne se souvient plus vraiment du score du match du 19 juin 1971 entre la France et l’Afrique du Sud. C’était pourtant un honorable partage des points. Mais on se rappelle l’excès d’engagement dans ce match qui a vu de nombreux joueurs français sortir sur blessures.  

On se souvient surtout de la polémique créée par la présence d’un joueur noir dans un sport réservé aux blancs.

Ma venue avait fait toute un esclandre du fait de ma couleur, mais cela n’a rien changé ici, la vie a continué comme avant, pendant plus de 20 ans - Roger BOURGAREL

Un retour émouvant en Afrique du Sud pour retrouver les gens et les lieux

Roger BOURGAREL et Jérémie MAGAR sont donc venus en Afrique du Sud pour retrouver les gens et les lieux où ils ont tourné des épisodes de leur reportage. Le joueur, devenu maire de son village en France, a ressenti comme une décharge électrique quand il a remis le pied sur la pelouse du terrain de l’Ellis Park Stadium.

 

Retour de Roger BOURGAREL au Ellis Park Stadium
Roger BOURGAREL au Ellis Park Stadium - Photo Claire BARGELÈS

Il a arpenté les lieux de cette fameuse tournée, compulsé les archives de l’époque. Il a passé du temps avec des anciens Springbox ravis de le rencontrer - comme celui qui a été  capitaine de l'équipe, Wynand CLAASSEN -  et avec des jeunes joueurs et joueuses d’un club de SOWETO.

Et surtout il a rencontré celui qui était son plus farouche adversaire en 1971, Frik DU PREEZ, un colosse puissant et technicien redoutable, beaucoup plus imposant que lui. Mais il avait réussi à pousser en touche l'immense Sud Africain qui courrait vers l’essai. Cette fois ce fut une rencontre amicale !

 

Frick DE PREEZ et Roger BOURGAREL
Roger BOURGAREL avec Frik DU PREEZ  devant la photo souvenir de leur  première rencontre -  Photo Claire BARGELÈS

Gert MULLER, un autre joueur Sud-Africain avec qui il a échangé son maillot à la fin du match de 1971 a conservé le maillot de Roger BOURGAREL, comme un précieux trophée.

 

Avec Gert MULLER, ancien joueur Sringbox
Gert MULLER montrant le maillot de Roger BOURGAREL 

Roger BOURGAREL avait terminé cette tournée avec 9 points de sutures à la tête, auréolé du fait qu’il était le premier joueur noir dans un match international contre l’Afrique du Sud.

Aujourd’hui, c’est avec un esprit apaisé que les anciens joueurs, adversaires farouches à l’époque, se sont retrouvés. Ils ont regardé d’anciennes archives, ont échangé longuement leurs souvenirs. Mais ils ont surtout parlé de rugby et de sport, en ressentant une intense émotion.

 

 

 

 

 

Lepetitjournal.com

Pour vous abonner à la Newsletter : Newsletter

Pour nous suivre sur Facebook :  Lepetitjournal.com de Johannesburg

Pour l'actualité, bons plans et évènements :  https://lepetitjournal.com/johannesburg

Pour nous contacter :  philippe.petit@lepetitjournal.com

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos