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Découvrez l'histoire de la ville de Jepara sur la côte Nord de Java

Jepara fait souvent office de lieu de passage pour les visiteurs, mais elle est la capitale indonésienne du meuble en teck et de la sculpture. Beaucoup des meubles en teck que vous trouverez à Bali, en France, en Europe ou aux États-Unis, viennent en fait de Jepara.

Graveurs sur bois de Djapara en 1900Graveurs sur bois de Djapara en 1900
Graveurs sur bois de Djapara en 1900
Écrit par Jean-Marc Gilonne
Publié le 7 novembre 2023, mis à jour le 12 novembre 2023

A la découverte de Jepara

Si vous avez un peu de temps, après avoir découvert le Mont Muria, ses rizières, ses cascades et ses plantations de café, puis les nombreux villages spécialisés dans la sculpture ou le tissage, visitez le Musée Kartini dans le centre et promenez-vous dans les rues…

Vous y verrez nombre de showrooms et d'ateliers d’artisans disséminés le long des routes principales jusqu'au centre de la ville, ainsi que des monticules de troncs prêts à être travaillés ce qui donne à cette petite ville un charme unique..

Après avoir été pendant des siècles l’un des ports de commerce les plus puissants de Java, Jepara est aujourd’hui la capitale Indonésienne de la fabrication de meubles en teck et de la sculpture sur bois.

Elle exporte partout en Indonésie, notamment à Bali, et dans le monde entier car cette région est capable de produire aussi bien des meubles à très grande échelle que des œuvres d’art sculptées et s’est dotée d’outils performants pour assurer la formation et la professionnalisation de ses acteurs.

La fabrication de meubles et la sculpture sont devenues une activité quotidienne et constituent un moteur économique pour les habitants de cette ville. Les meubles et les sculptures de Jepara ont une longue histoire. Cette histoire commence par des légendes...

 

La légende de Prabangkara

On dit qu'il y a longtemps vivait un sculpteur et peintre à l'époque du roi Brawijaya du royaume de Majapahit, à l'est de Java. Le nom de ce sculpteur était Prabangkara et était également connu sous le nom de Joko Sunging. Le roi de Brawijaya voulait avoir une peinture de sa femme nue pour lui montrer son amour. Prabangkara est convoqué pour réaliser le souhait du roi mais se voit confier une tâche impossible : peindre la femme du roi, mais sans la voir nue, uniquement par l’imagination.

Prabangkara accomplit parfaitement cette tâche. Soudain, un lézard fait tomber des excréments sur le tableau, de sorte que l'impératrice a un grain de beauté. Le roi est satisfait du travail mais quand il regarde en détail et aperçoit la tâche il devient furieux. Il accuse le peintre d'avoir vu l'impératrice nue car l'emplacement du grain de beauté est exactement le même qu’en réalité.

Le roi punit Prabangkara en l'attachant à un cerf-volant qui s’envole et atterrit derrière la montagne de Jepara. Cet endroit s'appelle désormais Mulyoharjo, près du centre de la Jepara actuelle. Échappant à la mort, Prabangkara y enseignera la sculpture aux habitants de la région.

 

La légende de Ki Sungging Adi Luwih

Une autre légende parle d’un grand artiste nommé Ki Sungging Adi Luwih qui vivait dans le royaume. Dans cette version le roi lui demande toujours de réaliser un tableau de son épouse nue mais alors que Ki Sungging est sur le point d'ajouter de la peinture noire à ses cheveux, une goutte tombe sur l'image de la cuisse de la Reine. Jaloux, le Roi punit Ki Sungging en lui ordonnant de fabriquer une statue de la Reine dans les airs en montant un cerf-volant.

La sculpture de la statue de l'impératrice est à moitié terminée quand soudain un vent fort se lève et transporte la statue à Bali. C'est pourquoi les Balinais sont également réputés en tant qu'experts dans la fabrication de statues. Les outils du sculpteur tombent quant à eux derrière la montagne, et l'endroit est maintenant reconnu comme Jepara, le lieu où la sculpture s'est développée.

 

La reine Kalinyamat

L’Art de la sculpture de Jepara trouverait ses origines historiques durant le règne de la reine de Japara Kalinyamat (1549-1579). Il y avait dans le Royaume un ministre nommé Sungging Badarduwung, originaire de Campa (Cambodge) et qui était bon sculpteur. Il portait le beau titre de Sungging Badar Duwung de « sungging » (chanter) « badar (pierre) et « duwung » (tranchant) : "Celui qui fait chanter la pierre en la taillant".

La reine construit la mosquée Mantingan et le tombeau de Jirat (un tombeau pour son mari) et demande à Sungging d'embellir les bâtiments avec des sculptures. Ces sculptures sont toujours visibles de nos jours dans la mosquée et dans le tombeau du sultan Hadlirin, où se trouvent 114 reliefs sur pierre blanche (à visiter ! renseignez-vous ?).

On dit qu’un groupe de sculpteurs est alors spécialement créé pour répondre à tous les besoins de la famille royale. Ce groupe de sculpteurs a ensuite développé ses talents et formé de nombreux graveurs, se perpétuant et transmettant leur Art jusqu’au XIXème siècle pendant l’ère Kartini.

 

Relief de la mosquée de Mantingan Tropenmuseum
Relief de la mosquée de Mantingan Tropenmuseum

 

Et bien sûr, Raden Kartini 

Raden Ajeng Kartini (1879-1904) est une idole en Indonésie, et une pionnière des droits des femmes comparée parfois à Simone de Beauvoir (le musée Kartini se visite à Jepara). Fille du régent de Jepara et épouse du régent de Rembang - très instruite, elle parlait couramment le néerlandais, ce qui était rare pour les femmes javanaises de l'époque - elle fit beaucoup pour l’émancipation des femmes en créant en 1903 la première école ouverte aux jeunes filles indigènes qui n’avaient alors aucun accès à l’éducation. Parmi ses premiers élèves une jeune fille de Karimunjawa…

 

1903 KARTINI. Première école a Djapara avec des enfants de Karimunjawa
1903 Kartini. Première école a Djapara avec des enfants de Karimunjawa

 

Son autre rêve était d’améliorer la vie des artisans très pauvres et de voir se développer l'artisanat du bois sculpté à Jepara. Elle convoque plusieurs artisans du village de Mulyoharjo, pour travailler ensemble à la réalisation de sculptures à l'arrière de la régence. Kartini leur demande de réaliser différents types de sculptures sur bois, des coffres à couture, des petites tables, des figurines, des fume-cigarettes, des porte-bijoux et d'autres objets souvenirs. Ces objets sont ensuite vendus par Kartini à Semarang et Batavia.

Les produits fabriqués par les artisans de Jepara se diversifient. Chaises et lits de mariée, matériel de tir à l'arc, paravents ainsi que divers types de chaises d'invités et de chaises de salle à manger. Kartini introduit également la sculpture de Jepara à l'étranger en utilisant le réseau de tous ses correspondants en Europe.

L’Art de la sculpture ne cesse alors de se développer et les commandes continuent d’affluer (son musée se visite a Jepara…). Après la mort de Kartini et pour perpétuer son œuvre, plusieurs habitants ont l'idée de créer une école professionnelle. Le 1er juillet 1929, une école de menuiserie spécialisée dans le mobilier et la sculpture est ouverte sous le nom d'"Openbare Ambachtsschool", qui deviendra plus tard l'École technique d'État, puis l'École supérieure industrielle et artisanale d'État.

Avec l'existence de cette école professionnelle, l'artisanat du meuble et la sculpture se sont répandus dans la communauté, offrant aux enfants de la communauté de nouveaux métiers dans les domaines du meuble et de la sculpture. Divers types de motifs et de décorations sculptés indonésiens sont créés et enseignés et les meubles et les sculptures de Jepara sont de plus en plus demandés. Les commerçants commencent à profiter de cette opportunité pour créer de nouveaux produits afin de répondre à la demande des consommateurs, tant au pays qu'à l'étranger.

Après avoir connu une transition de l'artisanat vers l'industrie artisanale, la sculpture sur bois de Jepara continue de progresser rapidement et domine bientôt le marché national du meuble dans les années 90 avant de se lancer à la conquête du marché d’exportation.

 

1902 Boites en bois et peinture représentant des cygnes pas Kartini
1902 Boites en bois et peinture représentant des cygnes par Kartini

Le village de Mulyoharjo est maintenant un centre d'artisanat de sculpture, celui de Senenan de sculpture sur Bois. La majorité des habitants du village de Petekeyan sont impliqués dans l’artisanat de la sculpture de meubles minimalistes, le village de Blimbingrejo s’est specialisé dans la sculpture des portes de maison ou de mosquée.

À Bulungan des armoires sculptées et au village de Suwawal Timur la sculpture sur Bambou. N’hésitez pas à les visiter si vous séjournez à Jepara ! Avec le soutien du Régent de Jepara et des autorités régionales et nationales, l’amélioration de la gestion de la production et du marketing, la création d’une union des entrepreneurs de Jepara, l’amélioration de la qualité de l'enseignement au Lycée national de l'artisanat et à l'Académie de technologie du bois et de l’éducation non formelle à travers des cours et des formations, l’amélioration de la qualité des produits avec la certification ISO 9000 seront les clés du succès de Jepara à l’international qui exporte aujourd’hui vers 120 pays.

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