Sundar Pichai, PDG de Google, Kalpana Chawla, astronaute de la NASA, Lenna Nair, PDG de Channel en France ou encore l'artiste Anish Kapoor : autant de noms de ressortissants indiens bien connus qui ont réussi à l’étranger. Les success stories comme les leurs sont régulièrement mises en valeur dans la presse. Mais on se penche cette semaine sur un cas moins médiatisé : celui des Hakkipikkis, une tribu indienne d’“attrapeurs d’oiseaux” qui ont développé au Soudan un commerce de médicaments et huiles à base d’herbes.
Ces Indiens dont tout le monde parle
Depuis notre arrivée en Inde, les reportages sur les ressortissants qui ont émigré aux États-Unis, en Australie, au Canada ou au Royaume-Uni et qui ont fait carrière à l'étranger font l'actualité quotidienne.
Beaucoup sont connus dans les domaines de la politique, du sport, des sciences et dans bien d’autres encore.
D'après une étude publiée par le professeur Strebulaev de la Graduate School of Business de l'Université de Stanford, les Indiens arrivent même en tête de liste des fondateurs immigrants des start-ups américaines, devant les Canadiens et les immigrants chinois de première génération.
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Par ailleurs, les Indiens représentent désormais 10 % des demandeurs de visa pour les États-Unis (même si tous ne sont pas des émigrants : ces chiffres comprennent également les visas de tourisme, d’étudiant….). Le nombre d’immigrants illégaux est en augmentation également.
Aujourd’hui, les demandes de visas pour les États-Unis depuis l’Inde sont si nombreuses que décrocher un entretien au consulat américain de Chennai nécessitera une attente moyenne de 526 jours (539 jours à Calcutta).
La diaspora indienne dans les pays du Golfe
Si on parle beaucoup de la contribution des talents indiens aux plus grandes entreprises du monde, on évoque moins fréquemment les travailleurs peu qualifiés et semi-qualifiés résidant dans les pays du Golfe. Ils représentent 64 % de la diaspora indienne à l’étranger et contribuent de manière significative à l’économie de l’Inde, que ce soit par le biais d’envois de fonds ou de compétences acquises.
Le gouvernement a reconnu l'importance de ces travailleurs en publiant le projet de loi sur l'émigration de 2021 qui, une fois approuvé, devrait remplacer la Loi sur l'émigration de 1983.
Plusieurs rapports ont en effet mis en lumière l’exploitation des travailleurs indiens à l'étranger, et la nouvelle loi vise à renforcer la protection de ceux qui émigrent, notamment en réformant le processus de recrutement des Indiens cherchant à travailler à l'étranger. Car ces citoyens sont confrontés à toutes sortes de pratiques trompeuses, comme la rétention de passeports, le non-paiement ou le sous-paiement des salaires, la discrimination et des conditions de vie parfois déplorables, entre autres difficultés que la nouvelle loi devrait contribuer à résoudre.
Les citoyens indiens d’outre-mer (OCI) : une diaspora très convoitée
Selon le rapport publié par le ministère des Affaires étrangères en 2020, il y a actuellement 32 millions d'Indiens d'outre-mer, comprenant à la fois les Indiens non-résidents (NRI) et les Personnes d'origine indienne (PIO), ce qui en fait la plus grande diaspora au monde.
La taille de ce groupe continuera de croître à l'avenir car, chaque année, 2,5 millions d'Indiens se rendent dans différentes régions du monde avec des visas de travail, constituant le flux migratoire annuel le plus élevé au monde.
Les envois de fonds annuels vers l’Inde sont estimés à 87 milliards de dollars par la Banque mondiale, ce qui est également le montant le plus élevé au monde.
Pourtant, même si la presse parle beaucoup de success stories d’Indiens à l’étranger et que se glorifier des succès de ses compatriotes est un passe-temps national, nombre des 1,4 milliard de personnes qui vivent en Inde regorgent d’idées et d’imagination.
Beaucoup de ces idées sont mises en œuvre, et je me concentrerai sur l’une de ces histoires improbables d’entrepreneurs indiens vivant dans le pays et ayant fait preuve de compétences et d’une créativité inattendues : les membres de la tribu hakkipikki.
La tribu hakkipikki dans le domaine des affaires au Soudan
Les Hakkipikkis constituent une tribu semi-nomade qui était à l'origine dédiée à la chasse et l’observation des oiseaux. Ils sont originaires de Chittorgarh, dans le Rajasthan, et se sont déplacés vers le sud au XVIe siècle à la recherche de nouveaux terrains de chasse. La tribu des Hakkipikkis est aujourd’hui reconnue comme l'une des 50 tribus affiliées à l'État du Karnataka.
En 1972, lorsque la Loi sur la protection de la faune a été promulguée, la chasse a été interdite en Inde en vertu de l'article 9. De plus, d’après le Code Pénal Indien, la chasse, le braconnage, la mutilation, l'empoisonnement ou la torture d’animaux sont passibles de peines pouvant aller jusqu'à dix ans de prison.
C’est ainsi que les Hakkipikkis, comme beaucoup d'autres, ont dû trouver de nouvelles façons de gagner leur vie.
Après l'indépendance, ils ont officiellement obtenu la reconnaissance en tant que communauté nomade, figurant dans la liste des “tribus nomades, tribus semi-nomades et tribus dénotifiées”. Ainsi, ils n'étaient plus considérés comme des “criminels-nés”, un statut hérité de l’époque britannique en vertu du Criminal Tribes Act de 1871, qui qualifiait comme tels les membres de 127 communautés, les soumettant aux mandats de perquisition et d'arrêt si un membre du groupe était découvert en dehors de la zone prescrite.
Les gouvernements qui ont suivi l'indépendance ont tenté de sédentariser les Hakkipikkis en leur attribuant des terres et en les incitant à abandonner leur vie nomade. Mais il s'est avéré très difficile d'améliorer leurs conditions de vie, et la communauté continue de vivre en marge de la société, négligée, comme l’illustre le documentaire Sikkidre Shikari, Eldidre Bhikari (Chasseur ou Mendiant) de 2007.
Les Hakkipikkis trouvent un filon en Afrique
Lorsque la guerre civile a éclaté au Soudan en 2023, le gouvernement indien a été pris au dépourvu lorsqu’il a fallu organiser une opération de sauvetage pour rapatrier près de 200 citoyens bloqués dans la zone de guerre. Ils appartenaient tous à la tribu hakkipikki. Mais comment les Hakkipikkis se sont-ils retrouvés là-bas ?
Les Hakkipikkis sont doués en médecine traditionnelle, un savoir transmis de génération en génération. Ils ont donc développé une activité commerciale en vendant des produits à base de plantes.
Chaque année, environ 3 000 à 4 000 Hakkipikki originaires des États du Sud de l'Inde se rendent ainsi en Afrique pour développer leurs affaires. Ils transportent des herbes, des épices et des médicaments ayurvédiques. Parmi leurs produits phares, on trouve des huiles de massage et capillaires, ainsi que des aphrodisiaques à base de plantes. Ils visitent les agences gouvernementales, les usines et les centres commerciaux pour promouvoir leurs produits.
Comment s’y prennent-ils ? Ils obtiennent un visa touristique et restent deux à trois mois dans le pays pour vendre leurs marchandises. Parfois, ils prolongent leur séjour pour maximiser leurs bénéfices.
Nanjunda Swamy, membre du Gram Panchayat (conseil de village) d'Umatur, dans le Karnataka, interrogé sur le sujet, a déclaré à la presse que tout a commencé il y a plus de 20 ans, lorsque certains membres des tribus du Tamil Nadu sont allés travailler dans le Golfe. Là-bas, ils ont épousé des filles des familles du Karnataka, également venues gagner leur vie dans les pays du Golfe. Une fois établis aux Émirats, ils ont appris des Kéralais les techniques de fabrication d'huiles et de médicaments à partir d’herbes qu'ils utilisaient déjà.
Même si au départ nous n'avions des connaissances que sur les plantes, nos associations avec les Kéralais nous ont aidés à fabriquer des médicaments et des huiles à partir de ces herbes. Quelques clients africains qui vivaient également dans les pays du Golfe, qui connaissaient nos produits, nous ont invités à profiter du marché croissant dans leurs pays.
Et c’est ainsi que l’esprit d’entreprise des Hakkipikkis, le manque d’opportunités dans leur région d’origine et le partage de connaissances avec leurs compatriotes indiens du Kerala ont permis à une communauté d’attrapeurs d’oiseaux de développer un marché en Afrique pour les produits ayurvédiques, les herbes et les aphrodisiaques.