La plus grande machine électorale au monde est lancée depuis le 11 avril dernier. Pendant plus d’un mois, 900 millions d’électeurs sont appelés aux urnes afin d’élire les 543 députés de la « Lok Sabha », la chambre basse du Parlement indien. Le 29 avril prochain, c’est au tour des habitants de Bombay de voter.
Les habitants de deux des six circonscriptions que compte l’agglomération de Bombay vont pouvoir voter pour une personne transgenre. Jatin Maharaj et Sneha Kale ont déposé leur candidature.
L’enjeu est de taille : être la voix du demi-million de transgenres que compte le pays (recensement de 2011, selon le site d’information Indian Express, d’autres sources évoque plusieurs millions). Mais surtout un véritable défi alors qu’aucun membre de cette communauté n’a encore jamais été élu au Parlement.
Sneha Kale et Jatin Maharaj sont toutes les deux des personnes transgenres. Elles appartiennent plus spécifiquement à la communauté des « hijras ». Nées dans un corps d’homme, ces personnes se considèrent femmes. Les « hijras » constituent une communauté distincte qui existe depuis 4000 ans et dont les fondements identitaires transcendent les seuls aspects liés à l’orientation sexuelle. En effet, bien que qu’une majorité soit attirée par les hommes, l’orientation sexuelle n’est pas un critère pour devenir « hijra ».
À l’époque des maharajas, elles étaient employées pour garder les harems. Puis les Anglais sont arrivés. Leur puritanisme a relégué cette communauté au ban de la société. La plupart des « hijras » ont dû avoir recours à la mendicité et la prostitution. Aujourd’hui craintes, elles sont toutefois sollicitées pour qu’elles bénissent les mariages et les naissances.
En avril 2014, la Cour Suprême indienne a reconnu l’existence d’un troisième sexe, large catégorie sociale les incluant. Cependant, les « hijras » restent marginalisées et sont souvent contraintes de vivre sous la tutelle de gourous. « Rien n’a bien changé » confient les deux candidates qui ont elles-mêmes souffert de cette stigmatisation. « Mes parents m’ont reniée ainsi que mon frère. Seules mes sœurs me soutiennent » explique Sneha Kale. Quant à Jatin Maharaj, elle a quitté le foyer familial à 12 ans.
Cette dernière vit désormais dans le quartier de Asalpha, Ghatkopar, dans une banlieue proche de Bombay. Elle nous reçoit dans une boutique qui lui sert de modeste bureau. Y trône un crucifix, juste au-dessus de sa tête. Contraste saisissant avec son allure de dévot hindou : larges bandes jaunes sur le front et « rudraksha », (sorte de chapelet) autour du cou. « Ces attributs correspondent au dieu Shiva mais j’aime toutes les religions » précise-t-elle. Elle consacre néanmoins littéralement sa vie uniquement aux dieux de l’hindouisme, comme l’exige la communauté des « jogtas » à laquelle elle appartient.
Ni Sneha Kale ni Jatin Maharaj ne sont satisfaites du « Transgender Bill », encore à l’étude au Parlement. Cette proposition de loi relative aux droits des transgenres n’améliorerait absolument pas leur situation. « Il faut absolument qu’un transgenre soit élu député afin qu’il défende nos droits » affirme Jatin Mararaj. Le « Transgender Bill » ne leur permettrait pas de s’auto-identifier comme étant transgenre. Il proposerait la création d’une commission médicale qui serait chargée de déterminer si un individu rentre ou non dans cette catégorie. Enfin, il serait également silencieux sur l’octroi de quotas aux personnes transgenres et affaiblirait même certains de leurs droits.
En réaction à ce projet controversé, elles s’efforcent de sensibiliser la société à leur cause. Elles se battent pour que leur communauté accède à de meilleurs emplois, aient accès à des soins médicaux et bénéficient d’une véritable protection juridique.
Un combat difficile. La discrimination subie par cette communauté se ressent au jour le jour. « Si un membre de la communauté se présente au poste de police pour porter plainte, il est fort probable qu'il ne soit pas pris au sérieux et qu’il fasse l’objet d’humiliation. On déplore aussi le fait que le gouvernement n'ait pas réussi à satisfaire des besoins essentiels. Nous n’avons pas d’eau potable », déclare un membre de la communauté de Asalpha. Il place tous ses espoirs dans la candidature de Jatin Marahaj.
Les deux candidates décident d’élever leurs voix, non seulement pour leur membres mais également pour les plus démunis : les veuves, les devadasis (femmes qui dès leur plus jeune âge, sont offertes à un Dieu afin de le servir leur vie durant), les fermiers et les populations des basses castes.
A quelques jours du scrutin, Jatin Maharaj et Sneha Kale se disent prêtes, chacune dans leur circonscription, à affronter leurs rivaux issus de partis traditionnels bien installés. « Elles n’ont pas d’autres choix que de porter des candidatures individuelles, leur nombre étant insuffisant pour bénéficier de l’étiquette d’un parti. Dans l’Etat du Maharashtra, chaque circonscription compte entre 1 600 000 et 1 700 000 électeurs et seulement environ 1 000 transgenres » explique Vivek Bhavsar, journaliste politique. Et d’ajouter « Prakash Ambdekar, petit fils du célèbre Docteur Ambdekar, a néanmoins fait du poète transgenre, Disha Pinky Shaikh, un porte-parole de son parti politique, le Vanchit Bahujan Aghadi (VBA). Et c’est la première fois qu’une personne transgenre est désignée comme porte-parole d’un parti politique dans l’Etat du Maharashtra ».
Sans soutien d’aucun parti politique, Jatin Maharaj et Sneha Kale comptent, quant à elles, sur l’appui de leur communauté : « lorsqu’on frappe dans nos mains, désormais on ne demande plus d’argent mais des votes » affirme Sneha Kale.
Assez de votes pour les voir siéger au Parlement ?
Résultat le 23 mai prochain.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Pratip Acharya.
Pratip, originaire de Calcutta, a étudié le journalisme à l'Université de Bombay. ll collabore actuellement pour le quotidien anglophone Free Press Journal, après avoir travaillé au Times of India, Ses sujets de prédilection : la politique et les sujets sociétaux.