Édition internationale

La musique techno résonne enfin à Hong Kong

Il est 2 heures du matin, un samedi étouffant, niché dans la végétation dense du mont Davis. Des pulsations techno résonnent derrière les buissons. Des lumières néon guident les fêtards depuis une station-service, à travers un bunker abandonné et jusqu’à une clairière où une vingtaine de jeunes se balancent au rythme de l’un des trois DJ présents. La console de mix repose sur une table de camping, et un homme en short et Crocs est aux platines.

boiler room boiler room
Yueming (0159) au Boiler Room Hong Kong 2025
Écrit par Marion Piat
Publié le 15 mai 2025, mis à jour le 22 mai 2025

 

Les raves en plein air ne sont pas nouvelles à Hong Kong, mais le 18 avril, la Nyx Party a marqué une première : une rave techno totalement en extérieur. Dix heures avant le début, seuls 12 contacts figuraient dans la conversation WhatsApp, dont les trois organisateurs. « On craignait qu’il n’y ait pas grand monde. Le week-end de Pâques est souvent réservé à la famille ou aux voyages. Mais pour une première, ça s’est bien passé », confie Xyra Sace, entrepreneure de 27 ans et organisatrice de la soirée.

 

De nouveaux clubs technos à Hong Kong

La scène techno à Hong Kong délaisse les clubs traditionnels pour s’enraciner, littéralement, dans les bois. Depuis le début de 2024, l’engouement pour la techno s’est accéléré, porté par un nouveau modèle économique impulsé par des collectifs créatifs menés par des jeunes, en quête de communauté et d’identité, loin des codes classiques de la nuit. « La subculture techno prend clairement de l’ampleur. Elle a connu un vrai boom cette dernière année. De plus en plus de gens se passionnent pour la musique et veulent participer à ces événements », explique Tishe Iji, 22 ans, membre du collectif artistique 0159 et étudiant en ingénierie à l’Université de Hong Kong.

Ce renouveau techno s’appuie sur des bases solides, avec une culture déjà présente dans la ville, portée par des boites de nuits comme Mihn, Oma, Social Room ou encore les événements de la Soho House — quatre clubs emblématiques de la scène électronique locale.

 

Remettre le DJ au centre 

« On trouvait que l’offre techno actuelle ne mettait pas assez en valeur l’aspect artistique. Chez 0159, on a choisi de remettre le DJ au centre », poursuit Tishe Iji. Ces collectifs émergents innovent en multipliant les collaborations avec des artistes internationaux. Le groupe 0159, très en vogue et fondé par des étudiants locaux, invite de nombreux DJs étrangers comme Estella Boersma, ou Yousuke Yukimatsu à la Soho House. 

En captant un besoin post-pandémique de lien social, d’expression de soi et d’espaces alternatifs, la jeunesse locale insuffle une nouvelle vie à la nuit hongkongaise. Le nom « 0159 » fait d’ailleurs référence à l’horaire de fermeture imposé aux clubs durant les restrictions sanitaires : 01h59. Un clin d’œil assumé à une époque révolue, où la fête s’arrêtait bien trop tôt.

Alors que 0159 repousse les limites avec des bookings internationaux et une esthétique soignée, d’autres collectifs optent pour des approches différentes. Le collectif "Yee" mêle musique électroniques, arts visuels et ateliers communautaires. "Sticky Fried Vibes" se définit comme « plus qu’un crew », mais une bande de copains animés par la passion, l’énergie et le goût des bonnes fêtes. Yetiout développe sa portée avec des collaborations internationales, entre « Hong Kong, Shanghai et ailleurs », selon leurs réseaux sociaux. Un autre groupe en pleine ascension, "100 Percent Bakery", lancé en novembre 2024, mêle sets de DJs, créations comestibles et arts visuels. Composé de millennials, ce collectif prône une esthétique audacieuse, un état d’esprit libre et un mode de vie décalé. On les retrouve souvent aux platines du club Social Room, mais certains se produisent aussi en Europe.

 

 

Le succès d'une sous-culture techno

L’histoire de la techno, de ses racines afro-américaines à son appropriation européenne puis son essor actuel en Asie, témoigne d’un syncrétisme de styles et d’influences. Dans une société aussi cosmopolite que Hong Kong, la musique et les arts de scène apparaissent comme le reflet évident de cette diversité. Si la techno reste "underground", elle côtoie toutefois les sphères aisées. « Le public des événements 0159, c’est vraiment toute personne passionnée de musique. Il y a des étudiants, mais aussi beaucoup d’expats, surtout au Soho House qui est un lieu plus huppé. C’est très dépendant du DJ », analyse Tishe Iji.

L’essor de la techno pourrait aussi refléter un besoin de contre-culture face aux normes dominantes, qu’elles soient artistiques ou musicales. Jouer avec les normes sociales, c’est aussi tendre un miroir à la société. L’anthropologue Victor Turner parlait de « liminalité » pour désigner cet entre-deux où les règles se suspendent, notamment par la danse. La piste techno devient alors un espace quasi rituel où langage et corps fusionnent sur un rythme primitif partagé. Ces fêtes flirtent aussi avec la légalité, portées par une culture de la drogue tolérée dans l’ombre de la liberté recherchée.

 

 

La techno, c’est quand même un concept très eurocentré. Et avec l’influence croissante de la Chine continentale sur Hong Kong, peut-être que ça va décliner au lieu de continuer à monter

 

 

Classe, culture et discothèque à Hong Kong 

Mais la scène techno n’échappe pas aux dynamiques de ségrégation sociale et démographique qui traversent Hong Kong. Les jeunes expats européens fréquentent Oma, les plus âgés préfèrent les événements du Soho House, tandis que les locaux se retrouvent au Social Room ou dans les raves de Kowloon. « Le Soho House, c’est pratique si tu vis à côté, et il y a souvent des événements. Mais si tu vas jusqu’à Kowloon, c’est que tu es vraiment passionné par l’électro, plus que la moyenne », ajoute Tishe Iji.

Certains s’inquiètent toutefois de l’avenir de la techno face à la réorganisation du paysage politique local. « La techno, c’est quand même un concept très eurocentré. Et avec l’influence croissante de la Chine continentale sur Hong Kong, peut-être que ça va décliner au lieu de continuer à monter », s’inquiète Celine Tsang, 20 ans, croisée lors du Boiler Room.

Avec le retour du Boiler Room les 3 et 4 mai 2025, pour la première fois en six ans, la scène techno hongkongaise a battu son plein — 0159 et Yetiout figuraient à l’affiche. La techno gagne du terrain dans la nuit locale et semble bien partie pour transformer durablement le paysage clubbing. « Je n’écoute pas personnellement de techno, mais si mes amis y vont, je pense que je pourrais me laisser tenter », confie Diane Lam, 24 ans, croisée à proximité du Soho House.

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