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L’INTERVIEW A DEGUSTER – Inaki Aizpitarte, une cuisine brute et intuitive

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 5 janvier 2018

 

Jeudi et vendredi dernier, dans le cadre du French GourMay, un des chefs français les plus en vue du moment a proposé aux heureux convives deux diners organisés au Restaurant agnès b. de Causeway Bay : un menu dégustation en 12 plats les a plongés dans son univers, à l'image de ce qu'il réalise dans son bistrot parisien, le Châteaubriant. Il s'est livré au petitjournal.com sur son parcours, sa cuisine et sa vision de la restauration

Inaki Azpitarte au restaurant agnès b., Cubus, le pain grillé (Photo E.O)

Inaki Aizpitarte est un autodidacte. A l'adolescence, il imagine plusieurs métiers, tailleur de pierre, jardinier paysagiste mais la cuisine a toujours été une passion, il se souvient notamment déjà d'élaborer des petits plats pour ses camarades, jeune quand sa mère n'était pas à la maison et, encore plus tôt de prendre du plaisir à cuisiner des gâteaux a la maison. "Et puis, j'aimais et j'aime toujours manger" nous confie-t-il avec une pointe d'ironie car, pour lui, c'est au c?ur de sa motivation. Il se renseigne donc tout naturellement sur des écoles de cuisine alors qu'il est dans la vingtaine mais rien ne convenant, il s'envole pour Israël avec quelques centimes dans les poches. Il sait via un ami qu'il pourra y trouver des petits jobs proposés aux jeunes qui dorment dans les auberges de jeunesse.

Des débuts en Israël pour cet autodidacte qui aurait pu finir tailleur de pierre ou jardinier
Par hasard, il devient plongeur dans un restaurant et après deux semaines, on lui propose un poste en cuisine car on repère tout de suite son attention et ses aptitudes dans le domaine. Nous sommes en 1999 et Inaki fait ses premiers pas dans le monde de la restauration qui l'effrayait un peu jusqu'ici par son aspect hiérarchique. "Je deviens donc aide cuisiner dans ce restaurant franco-italien qui proposait une cuisine méditerranéenne avec de très bons produits, avec un chef à la cuisine personnelle. Le chef exécutif, un serbe qui a fui la guerre, deviendra mon meilleur ami là-bas et mon premier mentor". C'est véritablement un déclic et Inaki passe ses journées à potasser les bouquins de cuisine de l'Alliance Française. "Le jour où j'ai vu ma première salade partir en salle et la réaction du client, j'ai su que c'était ma voie". Il restera six ans en Israël.

En France, il oublie l'idée de faire une école mais prépare un CAP en candidat libre et frappe aux portes des restaurants parisiens sans aucune entrée dans le milieu. Une fois les bases du métier acquis via plusieurs restaurants et bistrots, il se voit offrir une première opportunité de diriger une cuisine alors qu'un chef quitte le restaurant où il officiait.


Pigeon en quatre services, chips, tamarin, rhubarbe et poire (photo avec la courtoisie de One minute before)

La liberté d'expression comme mot d'ordre, il l'apprend avec Laurent Charreau, le chef du Café des délices à Paris
Il repart ensuite pour apprendre auprès d'autres chefs et son expérience la plus marquante sera au Café des Délices où Gilles Choukroun décide rapidement de l'engager. "Ma candidature lui a plu car il a senti mon envie et mon originalité derrière mon cheminement d'autodidacte". C'est le chef Laurent Charreau qui va l'initier à énormément de choses en cuisine. "Je travaille près d'un an et demi sur une cuisine très créative. J'étais jusqu'alors cantonné dans l'apprentissage de technique et je comprends à ce moment là la liberté d'expression qui peut exister en cuisine ".
Par désir de découvrir et de s'imprégner d'autres cultures, il fait son tour du monde de jeunesse en Espagne, au Brésil, en Amérique du Sud, sans travailler mais en glanant beaucoup d'idées. De retour, il devient chef à La Famille, nouveau succès, puis est du lancement du MacVal (au Musée d'Art Contemporain de Vitry), associé à des amis pour finalement 6 mois après se lancer avec un associé et ouvrir le Châteaubriant en 2006. En 2010, il lance le Dauphin, très en contraste qui offre une cuisine tout aussi inventive mais plus simple et abordable, le tout dans un cadre plus design.

Inaki ne renie pas ses origines basques. La créativité gastronomique de cette région, il l'explique à la fois par les traditions : "On aime danser, chanter, boire et manger au pays Basque ". Mais aussi beaucoup par la richesse naturelle de la région, les produits y sont excellents et très variés, on y trouve énormément de très bons producteurs et la situation géographique entre terre et mer avec ce climat océanique favorise un terroir incroyable. Quand on lui demande s'il est touché que le Châteaubriant soit classé neuvième meilleur restaurant au monde (et premier restaurant français !) par le World 50's best San Pellegrino, il répond avec franchise : "Ce qu'il y a d'intéressant, c'est qu'ils ont récompensé ma manière innovante d'aborder la cuisine, notamment la première année où je suis rentré dans leur classement. Mais après, je sais très bien que ces classements ne veulent rien dire au même titre que des César ou des Oscars dans le cinéma. Cela dit, je suis comme tout le monde et cela m'a fait plaisir de voir Dujardin, recevoir avec humour et émotion sa récompense". Il vient d'ailleurs d'être décoré Chevalier des Arts et des Lettres et il n'a pas caché son honneur et surtout sa joie de pouvoir partager ce moment en organisant une belle fête avec ses amis !


Restaurant Agnes b., Cubus, le pain grillé (photo avec la courtoisie d'agnes b.)

Une cuisine brute et intuitive
Sa cuisine, il aime qu'on la décrive comme brute car cela lui correspond bien. Mais, au côté de Chefs, il a appris aussi à être dans la précision même si l'intuition garde une place importante. "Je ne suis pas de ces chefs qui font des fiches de toutes leurs recettes mais une volaille sous vide, je sais qu'il va falloir la cuire à 38° pendant dix minutes. Toutefois, la cuisine se fait énormément à l'?il". Il nous confie d'ailleurs non sans ironie : "Certains clients réguliers me disent que quand je ne suis pas derrière les fourneaux au restaurant, la cuisine n'est pas la même. Cela me flatte bien-sur mais je crois aussi que c'est parce que la cuisine est ouverte ? ". Inaki cherche aussi à ce que l'on se sente au mieux dans son restaurant, il déteste les atmosphères guindées. Pour lui, certains restaurants périclitent pour cette raison. : "Quand on va au restaurant avec sa petite amie et qu'on ne se sent pas à l'aise alors que c'est la personne avec laquelle on a le plus d'intimité, c'est qu'il y a un réel souci. Les restaurants qui suivent ce modèle n'ont rien compris au sens de la restauration. La façon de manger a changé. Le guide Michelin ne fait pas tout. Maintenant, les gens vont de plus en plus sur des blogs pour avoir un avis sur les restaurants".

C'est Loïc Serot, agent et directeur artistique (One minute before) et Christophe Vrignaud, le directeur F&B de agnès b., qui l'ont convaincu de venir pour proposer un menu dégustation dans le nouveau restaurant agnès b , le pain grillé de Causeway Bay. Venir à l'étranger pour présenter sa cuisine mais aussi pour découvrir la cuisine locale, c'est un des plaisirs de mon métier. A Hong Kong, j'ai d'ailleurs pris une claque, c'est vraiment une ville qui bouge au niveau gastronomique.
Avec son compère, Laurent Cabut, Inaki a propose un menu dégustation avec 12 plats au programme comme dans leur antre du Chateaubriant. Gougère, Cevice, Asperge blanche avec couteaux, oseille et parmesan, pigeon en quatre services, chips, tamarin, rhubarbe et poire, baba au rhum, glace au lait ribot, herbe, beurre noisette faisaient partie des inventions culinaires qu'ont pu déguster à leur plus grand plaisir les convives.
"J'adore sortir de ma cuisine pour me nourrir d'influences extérieures et j'essaie de le faire régulièrement. J'ai fait plusieurs fois du street fooding à New York, hors de ma cuisine et à l'étranger, c'est très risqué car plein de nouveaux enjeux : humidité, produits, s'adapter a une nouvelle clientèle mais c'est aussi ce qui fait le piquant de notre métier".

Assurément, Inaki Aizpitarte reviendra à Hong Kong, l'expérience semble l'avoir convaincu. En attendant, pour ceux qui n'auront pas la chance de se rendre au Dauphin ou au Châteaubriant à Paris, n'hésitez pas à venir découvrir la cuisine de Christophe Vrignaud et de son équipe au restaurant agnès b., le cadre au 15ème étage du Cubus en plein Causeway Bay mérite déjà le détour.

Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), mardi 24 avril 2012



15/F Cubus
1 Hoi Ping Road, Causeway Bay
Tel : 2527 2718

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lpj 20
Publié le 24 avril 2012, mis à jour le 5 janvier 2018
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