Critique aux Cahiers du Cinéma, Olivier Assayas signe son premier film en tant que réalisateur en 1986. Habitué des festivals à travers le monde, il était l'un des invités de marque de la 41ème édition du Hong Kong International Film Festival pour y présenter plusieurs de ses films dont son dernier opus, Personal Shopper, lauréat de la meilleure mise en scène à Cannes.
Dans ce dernier, on suit Maureen (Kristen Stewart), une jeune américaine à Paris qui s'occupe des courses et autres taches pour une star de cinéma. Bien qu'elle déteste ce travail, elle reste dans la ville dans l'espoir d'entrer en contact avec l'esprit de son frère jumeau récemment décédé.
Comment vous est venue l'idée de Personal Shopper ?
Olivier Assayas : C'est une question difficile. Moi, je commence par un personnage. Il faut qu'il m'intéresse, qu'il ait une histoire dont j'ai l'impression qu'elle raconte quelque chose sur le monde contemporain. L'histoire se développe à partir de ça. Sur Personal Shopper, il y avait ce personnage dont j'avais le sentiment qu'il y avait le point de départ d'un film. Et la connexion avec Kristen Stewart, le fait que je me dise que ça pourrait être quelqu'un comme elle, a donné lieu à ce film situé entre le visible et l'invisible, le réel et l'imaginaire. Cela me permettait peut-être aussi de toucher à des thèmes comme le fantastique qui m'a toujours intéressé.
Quand vous parlez du personnage, était-il défini pour vous par son métier ou son trauma ?
J'aimais bien l'idée d'une étrangère à Paris qui fait ce genre de jobs sans grande qualification technique et où il n'y a pas besoin de se servir du langage. Ça réduit donc les potentialités professionnelles. J'aimais également bien l'idée de ce Paris détaché du monde de la mode de Paris qui est très cosmopolite et où les gens glissent sur la surface de la ville. Ils la voient mais de l'extérieur.
Le film utilise certains codes des films de genre (horreur, polar), était-ce votre intention d'appréhender ces genres de manière différente ?
J'ai l'impression de me servir des genres comme une couleur dans un tableau. Ce qui m'intéresse dans le genre, c'est la manière dont il communique de façon physique avec le spectateur. Le cinéma manque de ça. Il manque d'un rapport physique avec le spectateur. C'est quelque chose de vital et la syntaxe du cinéma de genre me permet d'avoir ce rapport-là avec le spectateur. Mais je ne veux pas faire un film d'horreur en tant que film d'horreur ou un thriller juste pour le thriller. Je veux raconter l'histoire d'un personnage mais il y a des moments où j'ai besoin de cette violence et de cette peur pour raconter ce qu'elle traverse.
Et pour déstabiliser le spectateur ?
Oui, j'aime bien l'idée de prendre le spectateur à contrepied, de ne pas lui donner ce qu'il attend mais de lui donner autre chose. J'aime bien les films qui progressent d'une manière que je ne peux pas anticiper et m'amènent à un endroit inconnu. C'est toujours un peu ce que je cherche dans les films que je fais et à plus forte raison pour celui-là.
Souvent les films portant sur le genre du spiritisme connaissent des évènements étranges durant leur tournage, est-ce que c'est arrivé sur celui-ci ?
J'ai l'impression que les films ne sont fait que d'évènements bizarres (rires). Je pense que j'ai un rapport assez actif au surnaturel. Pour moi, le simple fait de penser ou de voir sont des choses irréelles, incroyables. À partir de là, je n'ai pas besoin de rajouter beaucoup de couches d'étrangeté. Filmer dans un studio de cinéma à Prague avec l'actrice de Twilight, ça me semble déjà une expérience extra-sensorielle.
Comment s'est passée cette seconde collaboration avec Kristen Stewart ?
Pour moi, cette collaboration est très troublante parce que plus on travaille ensemble, plus on se découvre des choses en commun. J'ai eu l'impression qu'on s'est très peu parlé, rencontré de façon presque intuitive sur Clouds of Sils Maria et que notre dialogue a vraiment commencé avec Personal Shopper et que c'est peut être le début de quelque chose. Je ne sais pas si on refera des films ensemble mais je sais qu'elle le souhaite et moi aussi parce qu'il y a quelque chose entre nous, au-delà des questions de génération et de culture.
Que représente pour vous la récompense de meilleur réalisateur que vous avez reçue à Cannes ?
C'est toujours mieux d'avoir des prix que de ne pas en avoir mais je ne fais pas mon cinéma pour ça. Autrement, je ferai des films sociaux et bien pensants. Or, j'ai l'impression de faire des films qui prennent le contrepied de ce que l'on attend de moi. Donc je suis toujours un peu surpris et content qu'on reconnaisse mon travail.
Pendant votre période au Cahiers du Cinéma, vous aviez signé un numéro spécial consacré au cinéma de Hong Kong. Quels souvenirs gardez-vous de votre séjour ici à cette époque ?
C'était en 1984 et je ne me considérais pas comme un critique de cinéma, c'était l'année où j'ai écrit Rendez-Vous avec André Téchiné et ça a été un succès qui m'a entrouvert la porte pour faire des films. Je me vivais donc comme un cinéaste en devenir. Ma première expérience d'une grande ville, ça a été HK. C'était une rencontre avec une modernité, un monde que je ne connais pas. Et il y avait dans la nouvelle vague du cinéma hongkongais, la découverte de quelque chose qui ne ressemble en rien au cinéma que je connais et qui était très excitant. Ce sont des choses qui sont restées gravées en moi. Approfondir l'histoire du cinéma de genre hongkongais à travers le journalisme a été passionnant. J'ai fait des rencontres avec des gens qui ont marqué ma vie. Et puis, il y a eu le voyage dans le voyage quand j'ai été à Taipei et rencontré Edward Yang, Hou Hsiao Hsien, Chris Doyle ou Sylvia Chiang. Ils se posaient des questions sur le cinéma moderne qui résonnaient avec les miennes.
Quel réalisateur vous avait fait la plus grosse impression ?
Edward Yang. C'est celui avec lequel j'ai le plus d'affinités et aussi parce qu'il parle anglais. Cela rendait la communication plus simple et directe.
Vous avez souvent clamé votre amour pour le film de Kung Fu. Vous n'avez jamais songé à en donner votre propre version ?
Beaucoup de cinéastes modernes chinois se sont posés la question de faire des films de Kung Fu ou des Wu Xia Pian post-moderne. Wong Kar Wai en a fait, Hou Hsiao Hsien aussi. Mais cela donne l'impression que c'est a peu près le seul genre de cinéma qu'on a le droit de faire aujourd'hui en Chine et c'est un peu flippant. Et puis, ce n'est pas mon langage. Je peux l'imiter, le signer mais ce n'est pas ma culture. Mais il y a une énergie que je recycle dans mon cinéma.
Que vous inspire le cinéma hongkongais actuel ?
Je ne le vois pas assez. On le voit assez peu en France. Il ne donne pas le sentiment de se renouveler de manière cruciale. Et c'est très frustrant pour moi parce que je pense que la tradition du cinéma chinois, elle se fait ici. Il y a quelque chose de moins tendu dans le cinéma chinois et il m'intéresse moins. Le cinéma de Hong Kong est plus viscéral.
Merci au HKIFF et à Giselle Chan.
Propos recueillis par Arnaud Lanuque le 22/04/2017.