Découvert avec L'Odeur de la Papaye Verte qu'il réalisa en 1993, le metteur en scène franco-vietnamien Tran Anh Hung tourne peu. Probablement parce qu'il aime à choisir des sujets originaux et exigeants où il est à même de déployer son style à fleur de peau. Eternité, son dernier film, est présenté en ouverture de la 45e édition du French Cinepanorama.
Vous semblez avoir un intérêt marqué envers Hong Kong et son cinéma, à quoi cela tient-il ?
C'est le cinéma de mon enfance. J'ai été nourri de cinéma de kung-fu et de cape et d'épée. Ça a été ma nourriture quotidienne, avant que je ne bascule vers autre chose.
Vous y avez même tourné un polar Come with the Rain?
J'aime cette ville. Ça fait partie des deux ou trois villes qui me font fantasmer. La modernité, la proximité avec l'eau, la saleté, les montagnes? Tout est là ! Et ce contraste est magnifique.
Aujourd'hui vous présentez à Hong Kong Eternité. Comment est née l'idée de ce nouveau film?
L'idée m'est venue juste après la lecture du livre d'Alice Ferney. C'était un livre très émouvant pour moi. J'ai été particulièrement touché par cette famille nombreuse, avec un arbre généalogique énorme. Personnellement, j'ai connu l'inverse, une famille minuscule. Je n'ai connu que mes parents et mon frère avant de fonder ma propre famille et de l'élargir par le lien marital. C'est pourquoi j'ai toujours eu une impression de fragilité, de disparition. Quand je voyais une grande famille dans la rue ou au restaurant, je ressentais un sentiment de solidité, d'indestructibilité qui m'impressionnait beaucoup.
Combien de temps a-t-il fallu pour passer du projet au tournage ?
5 ans. C'est très difficile de financer des films aujourd'hui, surtout les sujets que je choisis. Si c'était une comédie, cela aurait été plus facile. Un film qui parle du passage du temps, de l'éternité, sans ligne narrative, c'est plus difficile.
Adapter le roman d'Alice Ferney L'Elégance des Veuves était-il aussi un défi ardu ?
C'était un processus assez difficile car, dans le livre, il n'y a pas de scènes à proprement parler. Le réflexe naturel aurait été de les inventer. Mais, ce faisant, on aurait dénaturé l'émotion ressentie à la lecture. Je pense qu'il fallait y rester fidèle. C'est pourquoi mon scénario était assez étrange. Il ne faisait que 50 pages. Il n'y avait pas de séparation en scènes. Juste des descriptions avec très peu de dialogue. Le livre est un livre d'expression, l'émotion vient de la langue même de l'auteur, de comment elle présente les choses. Il fallait que je garde ça dans le film, d'où l'utilisation d'une voix off.
Aviez-vous déjà pensé à un casting à la lecture du livre ?
J'ai montré le scénario aux gens qui me semblaient adéquats pour les rôles. Je n'avais pas forcément d'acteurs en tête au départ. La première à avoir donné son accord a été Audrey Tautou. Le problème, c'est qu'entre le moment où elle a donné son accord et le tournage, il s'est passé pas mal de temps parce qu'il a fallu boucler l'ensemble des financements. Heureusement, elle est restée impliquée dans le projet tout du long, ce qui a été formidable de sa part.
Avec un tel scénario, comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
Comme il n'y a pas de scènes, on ne savait pas comment faire le film. C'était la première fois que je faisais ce type d'écriture. On se voyait et on parlait des personnages, ça pouvait prendre une journée par personnage. Deux semaines avant le tournage, je les ai tous réunis et j'ai joué cartes sur table avec eux en leur disant que je ne savais pas comment faire ce film et qu'eux non plus. Qu'il fallait qu'on se fasse confiance les uns les autres et que le résultat serait intéressant. Bien sûr, il y aurait probablement de la frustration à certains moments, qu'ils se sentiraient perdus mais que je pouvais leur garantir, qu'à la fin, le film aurait une expressivité qui nous déborderait tous.
Aviez-vous des références picturales en tête quand vous avez réalisé le film ?
Il n'y avait pas de référence précise mais il y a du Edouard Vuillard. D'habitude, quand on fait un film d'époque, on a tendance à simplifier les choses pour donner à l'image une certaine élégance. Pour ce film, on n'a pas voulu ça et on est plutôt parti vers la surcharge. Ce qui est très difficile à faire. Ça peut aisément devenir lourd pour le spectateur. Mais on a vu quelque chose d'émouvant chez Vuillard, quelque chose de très quotidien, et c'est pour cela qu'on est parti dans cette direction.
Et des références cinématographiques ? J'ai trouvé qu'il y avait un peu de Barry Lyndon dans votre film.
Oui, il y a du Barry Lyndon dans la voix off et dans la simplicité des choses, dans l'épure de la psychologie. Le film parvient à une expressivité supérieure et c'est ça que je recherchais également avec Eternité. Il y a aussi du Terence Malick. Pour moi, Le Nouveau Monde est un grand chef d'?uvre. C'est un film qui trace une nouvelle voie, celle des films sans scènes. Normalement, dans un film, vous devriez éprouver du plaisir rien qu'au changement de plan. Evidemment, en pratique, cela n'arrive pas souvent.
La famille qui fait l'objet du film semble en effet vivre dans un temps suspendu, comme isolée du monde extérieur?
Pour donner ce sentiment du temps qui passe, ce sentiment d'éternité, il fallait se débarrasser de tous les détails, y compris des dialogues, de la psychologie, du sentiment du présent et de tout ce qu'il peut y avoir d'historique.
Le choix de la musique classique procède-t-il de ce même désir d'éternité?
Après notre expérience sur Norwegian Wood, je voulais faire appel à Johnny Greenwood pour la musique mais il n'était pas disponible. J'ai attendu 6 mois de plus mais c'était toujours pareil alors j'ai décidé de faire sans, en puisant dans ce que je connaissais déjà. Je n'ai pas modifié les morceaux. Avec mon monteur, on a d'abord monté le film puis, une fois le montage fait, on a mis la musique pour voir si elle confirmait ce qu'on avait fait ou si elle intensifiait les scènes. On a découvert que la musique prenait le relais de la narration et aidait le spectateur à comprendre les choses. La musique crée un lien narratif.
Propos recueillis par Arnaud Lanuque (lepetitjournal.com/hong-kong) lundi 28 novembre 2016
Eternité de Tran Anh Hung
HK City Hall, le 29/11 à 19H45 en présence du réalisateur
Broadway The One, le 3/12 à 19H25
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