Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

"Viser la performance optimale" – rencontre avec Fabien Delahaye 

Barre Fabien Delahaye DongfengBarre Fabien Delahaye Dongfeng
Fabien Delahaye sur l'étape Cap Town/Melbourne - by Martin Keruzore/Volvo Ocean Race
Écrit par Marc Schildt
Publié le 6 février 2018, mis à jour le 7 février 2018

La Volvo Ocean Race s’apprête à repartir vers Auckland pour sa 6ème étape. Les 7 équipes ont un seul objectif : obtenir les meilleurs résultats avec leur voilier. Fabien Delahaye, responsable performance au sein de Dongfeng Race Team, nous plonge dans cette science des chiffres et des ajustements.

Le départ pour la 6ème manche sera donné demain, mercredi 7 février, à quelques kilomètres des côtes de Hong Kong. 

La course aura fait escale 10 jours dans la ville et 5 jours à Guangzhou, avec deux régates In-Port. La première a été remportée à Hong Kong en deux manches par Dongfeng Race Team, la seconde par Mapfre à Guangzhou. 

Les 7 voiliers entament dorénavant une étape de 19 jours et 6.100 miles nautiques vers Auckland. Ils s’élanceront sous un ciel plutôt clément à 11h du matin. 

Mais dès les premières minutes, chaque équipe cherchera à adopter le meilleur cap. Car la Volvo Ocean Race n’est pas seulement une course physique, avec des océans tumultueux et des étapes éprouvantes pour les marins, c’est aussi une épreuve de stratégie, d’intelligence de course et de préparation. 

Fabien Delahaye, nous explique comment les relevés de performance, la référence à "l’optimum théorique" dans les réglages et les "cartes d’identités" du bateau permettent au skipper et à son équipage de s’approcher de la performance maximale. Il a été recruté par Charles Caudrelier, le skipper français de Dongfeng, en tant que responsable performance à terre et en tant que naviguant remplaçant.
 

Lepetitjournal/hong-kong: En quoi consiste précisément la performance dans une course de voile? 

Fabien Delahaye: Pour faire simple, le but dans la voile est d’avoir la meilleure trajectoire possible par rapport au vent et à l’évolution du vent dans le futur. Il faut donc bien se placer sur la carte. On cherche la vitesse du bateau en fonction du vent, de l’angle au vent et des voiles.

Pour atteindre la meilleure performance, on va utiliser une série de mesures. Le navigateur tiendra compte de la carte d’identité des voiles pour les choisir et de la "polaire" pour la vitesse (ndlr. un relevé des vitesses du bateau à tous les angles et toutes les forces de vent).

Le navigateur va alors faire une série de calculs, comparer les voiles, les caps et choisir les meilleures routes.


Quelles données attendent le skipper et le navigateur pour gérer cette performance?

Mon rôle, c’est de donner les meilleurs outils - polaire et cartes des voiles - pour que l’équipage ait les mesures les plus justes possibles. Je travaille avec eux avant la course et après l’arrivée de chaque étape. 

Six mois avant la course, voire plus, on va tout noter à bord, prendre le maximum de mesures et passer du temps à la table à carte avec le navigateur. La tension dans les câbles, l’angle de quille, la vitesse et le cap du bateau sont enregistrés automatiquement, puis on va compléter avec le réglage des voiles, l’état de la mer... On teste différents réglages et on prend des notes. C’est la démarche de "testing" pour trouver les meilleures utilisations.

Aux arrivées, on récupère tout ce qui s’est passé pendant la course. On analyse les données, les passages où le voilier est aller plutôt vite, ceux où il a trainé. 

 

Cockpit Fabien Delahaye Dongfeng.jpg
Fabien Delahaye à la table à carte - by Jen Edney/Volvo Ocean Race

 

Comment arrivez-vous à travailler en équipe alors que vous êtes à terre ?

Après chaque étape, on fait un premier débriefing tous ensemble, il se fait à chaud. On s’imprègne de l’ambiance du bord et on complète avec les choses vues de l’extérieur. Ensuite on discute avec le skipper et navigateur pour avoir vraiment le ressenti et comprendre les endroits clés à analyser. Quand le skipper nous dit "là on allait très bien, ou là il y a un autre bateau qui allait plus vite…" Je travaille avec une deuxième personne à quai, l’analyste des données. Il a la charge de toutes les data pures. 

On débriefe sur l’ancienne course et on parle de la prochaine. Sur l’In-Port Hong Kong, nous sommes partis avec le navigateur faire le tour de l’île en zodiac accompagnés d’une personne qui régate très souvent ici. Le but était de repérer les différents endroits, connaître les astuces.
 

Suffit-il d’avoir les meilleurs indicateurs performance pour gagner ? 

Non, pas seulement ! Il y a des fois des choses intuitives dans les calculs qui ne fonctionnent pas, alors que d’autres contre-intuitives marchent très bien. Là-dessus, on apprend toujours et c’est l’équipage qui a ce feeling.

Ensuite, les conditions ne sont jamais les mêmes. Avec une même force de vent et un même angle, l’état de la mer va rentrer en compte et perturber les performances. Là aussi, le skipper va se demander si le bateau peut aller plus vite et comment s’adapter.

Le navigateur, lui aussi quand il travaille devant son ordinateur sur la table à carte, il va devoir sortir régulièrement du cockpit pour faire une lecture du plan d’eau, des nuages et adapter le cap. Il utilise différentes sources de météo à bord par exemple. Or il n’y a pas de fiabilité à 100%. Son travail est de vérifier quel fichier est le plus correct, en regardant l’historique des prévisions et le temps qu’il a fait finalement.

On fera tourner différents routages avec tous ces paramètres et on aura par conséquent une idée de l’optimal théorique, mais il faut s’adapter. 

Après rentre en compte les autres paramètres comme les techniques de manoeuvres par l'équipage...

------------

 

Boat Sud Fabien Delahaye Dongfeng.jpg
by Eloi Stichelbaut/Dongfeng Race Team

 

Témoignages des mers du Sud

Vous avez remplacé Daryl Wislang sur l’étape Cap Town – Melbourne, pouvez-vous nous parler des conditions de navigation? Quels souvenirs gardez-vous de ce grand Sud?

On a eu du vent quasiment tout le temps. On est parti de Cap Town avec des vents violents de 35 nœuds. Sur 80% de l’étape, on a eu des vents de 50 à 70km/h et parfois des creux de 6 ou 7 mètres.

De jour comme de nuit il n’y a pas de différence. On est de quart mais on doit se relever quand il y a des manœuvres. On est obligé de s’habiller avec la cagoule, les gants tellement il fait frais, le ciré, pour aller sur le pont et on revient trempé pour essayer de finir son quart. On reste longtemps sans avoir vraiment eu de repos et ça peut commencer à tirer.

Avec les vagues, on met toutes les balises, tout ce qui est sécurité dans les poches, on est blindé de partout : le gilet de sauvetage, la longe pour s’accrocher… Et chaque fois on prend de l’eau froide sur le visage, en gros on se fait balayer par des paquets de mer. À chaque paquet de mer il faut s’accrocher solidement. Il y a des fois où on se fait faucher les jambes avec la vitesse du bateau et où on finit par terre. C’est d’une violence énorme. 

 

Dongfeng Race team Volvo Ocean Race
by Eloi Stichelbaut/Dongfeng Race Team

 

Des souvenirs? 

C’est une épreuve le Sud, il fait un peu frais, un peu humide, c’est un peu dur.

L’océan indien c’était tout nouveau, j’y avais souvent pensé mais j’avais peu d’images. Maintenant j’en ai plein la tête. J’ai vu le côté sauvage du sud, les éléments un peu déchainés, les albatros dont on parle beaucoup, mais tant qu’on les voit pas on ne sait pas ce que c’est. On a longé la zone des glaces pendant très longtemps, c’est une expérience.

 

------------

Biographie

Originaire de Normandie, Fabien Delahaye a fait ses débuts en dériveur pour se préparer à la voile olympique. Après ses études, il s’est lancé dans la course au large en solitaire avec un projet Figaro. Il y passe 6 ans et devient champion de France en 2011. Il s’associe à Jean-Pierre Dick en 2015 et 2016 pour préparer un 60 pieds Imoca, suivre la construction du bateau, et faire la Transat Jacques Vabres en double avant de laisser partir son acolyte dans son 4ème Vendée Globe. Il intègre l’équipe Volvo Race de Dongfeng après une course au large en Australie avec Charles Caudrelier qui lui propose d’intégrer le projet en tant que responsable performance et naviguant remplaçant alors que l’équipe était déjà constituée à l’époque. 


 

Fabien Delahaye
Fabien Delahaye - by Martin Keruzore/Volvo Ocean Race

 

Sujets du moment

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

    © lepetitjournal.com 2024