A quelques jours d’un événement artistique exceptionnel sur HCMV, Dominique Mourey a évoqué l’aventure humaine derrière son projet DRIP’IN, qui a pour vocation de créer des objets d’art uniques en collaboration avec divers artistes urbains. Passionné et engagé, Dominique a su réunir autour de lui des artistes urbains internationaux, des artisans, des ONG, ainsi que sa famille, qui le soutient inconditionnellement depuis le début de son aventure entrepreneuriale.
Avant de devenir curateur d’art urbain, votre parcours professionnel avait peu de lien avec l’art. Pouvez-vous nous raconter ce parcours et les motivations vous ayant poussé à monter DRIP’IN ?
J’ai passé 28 ans au service des industries du luxe, des objets décoratifs, des luminaires, du prêt-à-porter et du textile. J'ai occupé les fonctions de responsable qualité et production, de direction industrielle et de direction générale de sites et de bureaux, en France et à l’étranger.
J’ai toujours été un passionné d’art urbain. C’est le plus grand mouvement d’art contemporain au niveau international. Au-delà de l’aspect artistique, l’art urbain est un acte social qui permet d’embellir les villes de plus en plus bétonnées. Pourtant, les artistes urbains sont encore considérés comme des vandales !
DRIP’IN est né d’une frustration personnelle. L’art urbain est éphémère, on ne peut le ramener chez soi. Cependant, lorsqu’une pièce murale est magistrale et vous touche profondément, on a envie de pouvoir la conserver dans le temps. Je n’ai jamais retrouvé la même émotion avec les photographies d'œuvres murales ou les produits dérivés vendus par les artistes.
Mon envie était d’avoir un rendu similaire à celui de la rue. Et que les œuvres gardent leur puissance et leur authenticité – artistique et émotionnelle – malgré une réduction de leurs dimensions. J’ai utilisé mon expérience dans la fabrication de produits, en prenant en compte les caractéristiques des artistes et le choix des matériaux, afin de donner la bonne « résonance » à l’objet d’art créé.
Dites-nous en plus sur DRIP’IN : comment avez-vous développé votre projet ? L’art urbain étant un art de rue, comment avez-vous convaincu les artistes de vous suivre dans cette aventure ?
DRIP’IN a pour but de soutenir et de valoriser les artistes urbains, en termes de visibilité et financièrement. Il fallait donc commencer par en discuter avec les artistes eux-mêmes. Céz Art, artiste français originaire de Reims, a été le premier à qui j’ai exposé mon projet, il y a trois ans. Il a instantanément répondu présent et m’a fait confiance. Par la suite, j’ai retrouvé cet engouement chez tous les artistes urbains à qui j’ai proposé de collaborer.
La partie la plus complexe est le développement des produits. Grâce à ma connaissance de plus de 500 procédés de fabrication, je sais ce qui est possible…mais il faut ensuite expérimenter ! Par exemple, le wagon en céramique a nécessité deux ans de mise au point. Il a fallu tester pas moins de 12 fournisseurs différents pour trouver le meilleur rendu pour cet objet.
De manière générale, le processus de fabrication prend entre quatre et six mois, de la discussion avec les artistes jusqu’à la sortie de la pièce. Les lithographies en métal demandent plusieurs mois de tests, uniquement pour l’impression. Par ailleurs, il est nécessaire de pratiquer des essais de couleurs, afin de restituer de la meilleure manière le travail de l’artiste. Cela nécessite une collaboration étroite avec les artistes et une compréhension technique de l’adéquation entre l’homme et la machine.
Au-delà de vos collaborations artistiques, pouvez-vous nous en dire plus sur l'aspect humain de votre projet ?
C’est une belle aventure humaine ! Même les fournisseurs et artisans ont été enthousiasmés par le projet et les difficultés techniques. Si l’on en revient au développement du wagon, un de nos partenaires a même rappelé des ouvriers à la retraite. En effet, seuls les « anciens » avaient la maîtrise de la viscosité recherchée pour la céramique.
L’essence de DRIP’IN, ce sont des artistes, des associations et des personnes engagées pour la reconnaissance des artistes. Nous avons rencontré et échangé avec des personnes de milieux très variés, comme la culture ou l’industrie. Il reste encore des ponts à jeter entre eux, mais c’est aussi à cela que sert DRIP’IN : à générer de l’intérêt commun.
DRIP’IN a également une vocation sociale. Pour chaque pièce achetée, une partie est reversée à une association choisie par l’artiste ou, par défaut, à Emmaüs Solidarité. Toutes ces associations ont une résonance avec la rue. Le but est de « boucler la boucle » dans un cercle vertueux, puisque les artistes travaillent dans la rue et sont proches des personnes qui y vivent.
Enfin, l’aventure DRIP’IN a bien sûr bousculé notre cellule familiale. Mais, je suis heureusement soutenu dans ce projet par ma femme et mes enfants, et tout le monde participe. J'emmène souvent les enfants rencontrer les artistes, les voir travailler, comprendre ce qui les anime. Les enfants s’initient aussi au « spray » (technique de peinture à la bombe) et découvrent toute la richesse de cet art. C'est une ouverture qui est certainement enrichissante pour tous.
DRIP’IN a été lancé très récemment, le 9 octobre 2020, avec l’exposition de votre première collection d’objets d’art au restaurant N21 à HCMV. Que s’est-il passé depuis et quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Notre première réussite est que les ventes commencent à tomber, en Asie et en Europe. Ce qui est à souligner, c’est que des clients vietnamiens ont aussi acheté des pièces. Au-delà de l’aspect commercial, cela atteste de l’universalité de cet art. Cela renforce l’ambition première de DRIP’IN, qui est de sensibiliser à l’art urbain.
A plus long terme, nous avons deux ambitions. La première est d’aider les artistes en créant un studio DRIP’IN. Ils ont souvent beaucoup d’idées, mais ne savent pas à qui s’adresser pour la réalisation. Nous voulons donc les aider dans le développement et co-créer des pièces uniques avec les artistes. La seconde est sociale et sera développée en partenariat avec Emmaüs. Nous souhaitons que des artistes urbains viennent peindre dans les centres qui hébergent les personnes sans domicile fixe.
Dans cette veine, nous organisons un évènement exceptionnel le samedi 14 novembre à HCMV. Des artistes urbains internationaux et locaux ont eu pour terrain de jeu une maison dans le District 2. Les portes seront ouvertes lors d’une soirée unique, qui a pour principal but de lever des fonds pour l’association Poussières de Vie (NDLR : traduction d'une phrase vietnamienne décrivant les enfants des rues). Attendez-vous à beaucoup de surprises : des pièces d’art urbain réalisées en direct, du mapping vidéo, une performance de danse, de la musique, etc.
Afin de permettre à nos lecteurs de découvrir l’art urbain, pouvez-vous nous citer quelques-uns de vos artistes préférés ?
Difficile de choisir, il y en a beaucoup !
J’ai une sensibilité pour Kobra, un artiste brésilien engagé dans la défense des communautés amérindiennes et de l’environnement. J’aime aussi beaucoup D*FACE, qui peint ces femmes inspirées d’icônes culturelles américaines, en y ajoutant un aspect vie et mort. Bien sûr, on ne peut oublier Banksy, pour la beauté de son message. C’est un artiste très engagé, qui a notamment peint les fameuses fresques, en territoire palestinien.
Et, il ne faut surtout pas oublier les artistes féminines, qui ont une sensibilité différente, une poésie autre. En France, j’aime Miss Tic pour le choc des mots et ses œuvres murales réalisées avec une technique de pochoirs, toujours parfaitement choisis pour accompagner son message. Il y a aussi Miss Van, une autre initiatrice du mouvement féminin dans l’art urbain. En Asie, je suis fier de travailler avec Bao, qui est une artiste montante à Hong-Kong. Avec une inspiration manga, ce petit bout de femme se bat contre les règles d’une société stricte et machiste.