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Long Thanh : 50 ans de photographie en noir & blanc

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© Morgan Diaz
Écrit par Morgan Diaz
Publié le 25 décembre 2020, mis à jour le 25 décembre 2020

En 50 ans de carrière, l’artiste photographe Long Thanh établi dans la station balnéaire de Nha Trang a pris  de 40.000 à 50.000 clichés et en expose plus d’une centaine de manière permanente dans sa magnifique galerie Long Thanh Art Gallery. Rencontre avec un artiste généreux et passionné tombé en amour très jeune pour son pays.

Sur un des murs de la galerie, le titre "d’Excellence" décerné par la Fédération Internationale de l’Art Photographique : "en hommage à ses efforts, à ses travaux, à sa technique dans le domaine de l’art photographique et en reconnaissance pour les services rendus à la cause de la Photographie" (Juin 2001), permet immédiatement de comprendre à quel point l’artiste a placé la barre très haute avec ses œuvres en noir et blanc chargées d’émotion. Vieilles dames aux épreuves de la vie sculptées sur le visage, enfants timides ou arborant de larges sourires, chapeaux coniques bien évidemment etc. Chacune des photos exposées provoquent une émotion différente mais ne peut en aucun cas laisser de marbre. L’artiste photographe Long Thanh invite le spectateur à découvrir un Viêt Nam vibrant, intemporel, travailleur, celui qu’il connait bien et aime tant.  

lepetitjournal.com HCMV : Comment cette longue et belle passion pour la photographie a-t-elle débuté ?

Long Thanh : Issu d'une famille de 11 enfants, ma mère m'envoyait gagner de l’argent dans une boutique photo située à deux pas de la maison. À ce moment-là, j'avais 13 ans et pas particulièrement d'atomes crochus pour la photographie, il s'agissait avant tout d'un petit boulot alimentaire pour aider ma famille. Un jour le gérant de la boutique m'a demandé d'effectuer un tirage d'un homme à la peau très marquée, il m'a fallu trois jours pour sortir quelque chose de qualité, cela m'a complètement épuisé et découragé. En rentrant à la maison, la première chose que j'ai dite à ma mère était que je ne voulais plus entendre parler de photographie et que je ne retournerai plus dans cette boutique. Hasard ou non je ne sais pas, mais en ville j'avais un oncle qui possédait lui aussi un laboratoire photo, peu de temps après et sans vraiment me laisser le choix ma mère m'y envoya travailler.

1976, après avoir passé quelques années sans toucher d'appareil photo, je me suis inscrit à la première association de photographes de la province tout en commençant à répondre aux demandes pour des événements, des mariages, des meetings. Ce qui m’a permis de pratiquer la photographie tout en étant rémunéré. Ensuite, il y a eu comme un effet boule de neige j'ai commencé à participer à des concours, à remporter des prix* et plus le temps passait et plus cette passion pour la photo prenait de l'ampleur et faisait partie intégrante de ma vie.

L’essentiel de la photographie est de capturer un bref instant qui ne reviendra plus et de l’immortaliser "pour les siècles et les siècles à venir." Chaque artiste a le dessein de procurer une émotion intense au spectateur lorsqu’il contemple son œuvre. Je crois fermement au principe qu’il est nécessaire de donner dans un premier temps pour recevoir par la suite et je suis pleinement satisfait et heureux à chaque fois que j'y parviens. Pour l’anecdote, un jour un Canadien est venu visiter la galerie et s'est arrêté net devant une photo. Ce dernier l’a regardé durant plusieurs secondes sans rien dire et a littéralement fondu en larmes. Ému par sa réaction, je me suis approché et lui ai dit que je souhaitais lui offrir cette photo parce que j'avais pu voir à quel point elle l'avait touché au plus profond de son cœur. J’ai du vraiment insister pour lui offrir, cela me tenait tellement à cœur !

LPJ HCMV : Le travail du photographe est d’écrire avec la lumière, du grec ancien φῶς, φωτός, phôs, phôtós « lumière » et γράφω, gráphô « écrire », littéralement : « écrire avec la lumière », ce que vous avez parfaitement su faire tout au long de votre carrière avec beaucoup d’émotion et de justesse. En quelques mots, comment décririez-vous votre style photographique ?

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© Morgan Diaz 

Long Thanh : La photographie n'est pas aussi simple que ce que l'on pense. Le plus important dans un art quel qu'il soit ; la peinture la musique etc. est de vraiment trouver sa propre voie pour en faire ressortir les émotions les plus profondes. Peu importe l'appareil que vous utiliserez le type de pellicule que vous choisirez, seul le résultat est important, la photo doit être vraie, honnête montrer la vie réelle dans toute sa simplicité et sans artifice.

Mes photos ont plu au public, il y a bien évidemment une part de chance mais aussi parce que j'ai toujours conservé la même manière de photographier et de travailler et ce depuis mes débuts. J'ai toujours voulu être présent à chaque étape du process ; au moment de déclencher sur l'appareil jusqu'au moment de développer en chambre noire et pour cette raison, j'ai choisi de photographier uniquement en noir et blanc.  

Lorsque vous faites quelque chose vous devez vraiment le faire à fond et avec une réelle passion toutefois comme toutes les passions il y a aussi un revers de la médaille, cela peut devenir dangereux et être "destructeur". Lorsque je n'aurai plus cette âme créative et que je photographierai pour photographier sans réelle passion, il sera alors temps pour moi de m'arrêter. 

LPJ HCMV : Le Viet Nam occupe une part importante dans votre œuvre d’artiste photographe, ce que l’on remarque au premier coup d’œil dans votre galerie. Toutefois, vos expositions dans de nombreux pays vous ont permis de beaucoup voyager, n’avez-vous jamais eu envie de photographier des scènes de vie ailleurs ?

Long Thanh : Peu importe le nombre de pays dans lequel vous voyagez, selon moi, les photos que vous prenez chez vous, dans votre ville, dans votre province, dans votre pays restent les plus captivantes et les plus intenses en émotions. Bien évidemment, j'ai essayé de photographier dans d’autres pays mais le fait d'être étranger à la culture et la langue rend les choses bien plus compliquées. De plus, dans de nombreux pays occidentaux, il est tout simplement impossible de prendre des photos dans la rue comme on pourrait le faire ici au Viêt Nam. A chaque fois que je suis allé prendre des photos des minorités ethniques dans des villages retirés, j'ai toujours été chaleureusement reçu, je me suis toujours senti heureux et reconnaissant de partager de tels moments avec eux. Des moments aussi intenses que ceux-là, je n'en jamais vécus à l'étranger. Lors de mes voyages, plusieurs fois il m'est arrivé malheureusement de renoncer à prendre une photo de peur de la réaction de la personne face à moi.

LPJ HCMV : Le photographe est nécessairement un témoin du changement, ressentez-vous une certaine nostalgie de l’époque passée ?

Long Thanh : Le Viêt Nam et un pays magnifique avec des possibilités photographiques incroyables et ce même si le pays est différent de celui que j’ai connu il y a de ça 40 ans. À titre d’exemple : le port de pêcheurs que vous voyez aujourd'hui ne ressemble plus à celui que j'ai photographié y a de cela plusieurs années. La photographie a vocation de devenir une "archive" et permet de conserver et de transmette à l’humanité des traces d’une histoire qui ne reviendra pas. Le monde change perpétuellement, la photographie aussi. Tout en conservant une méthode de travailler artisanale depuis mes débuts, j’essaie moi aussi de m’adapter pour suivre la "tendance actuelle". De manière générale, la photographie au Viêt Nam à besoin de s'intégrer dans le monde et de s'adapter aux tendances actuelles. La jeune génération de photographes du Viêt Nam a changé sa manière de travailler, de s'organiser. Ce que je comprends tout à fait mais je ne suis pas forcement en accord avec tous ces changements, il ne faut pas essayer de vouloir tout changer absolument. Chaque pays doit savoir garder ce qui le rend unique.

LPJ HCMV : Si vous n’aviez pas été photographe, qu’auriez-vous aimé faire d’autre dans la vie ?

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© Morgan Diaz 

Long Thanh : Honnêtement ce n'est pas une question à laquelle il est facile de répondre, au Viêt Nam la notion de destinée est très présente dans l'esprit des gens. Devenir photographe devait certainement être ma destinée. A 13 ans, sans vraiment le vouloir je me retrouvais déjà avec des appareils photos dans les mains et à faire des tirages, c'était un premier pas. Vous pouvez être placé sur la bonne voie mais cela nécessite tout de même de votre part un travail constant et un apprentissage auprès des autres. La photographie est un art, un domaine qui est très subjectif ce n'est pas parce que ce que vous faites est apprécié aujourd’hui par certaines personnes que ça sera forcément apprécié par d'autres les jours suivants.

Aujourd'hui, l’artiste photographe né en 1951 ne s'investit plus de la même manière dans ses photos. Il y a de cela quelques années, il a arrêté de participer aux concours de photographie, pour profiter pleinement des moments avec sa famille. "Maintenant, je répartis mon temps de manière égale, la moitié que je consacre à ma famille, l'autre moitié à mes photographies", précise l’artiste photographe.

*Liste des prix remportés par l’artiste lors de concours nationaux et internationaux :

- 6 médailles au Salon International de la Photographie du Japon (Asahi Shimbum) en 1988/1997/1998/1999/2000 et 2005

- 3 médailles d’or à la Compétition Internationale de Photographie (Lintz, Autriche)

- 3 médailles d’or 1 d’argent décernée par la Fédération Internationale de l’Art Photographique en 1993/2005/2006 et 2007 en Roumanie, Finland, Hong Kong et aux Pays Bas.

- 1 médaille d’or décernée par la Société Photographique d’Amérique en 2007 à Hong Kong.

- 2 prix généraux lors de la Compétition Internationale MILK en 2000, Nouvelle Zélande.

À ces nombreux prix, s’ajoutent plusieurs expositions solo aux quatre coins du monde : Hambourg (1999) Yokohama (1997 et 1999) New York (2001) Melbourne (2002) Sydney (2002) Bruxelles (2005) Lecco (Italie, 2009) Rome (2009) mais également des expositions avec d’autres photographes de renommée.

Propos recueillis en vietnamien par Huynh Thi Mai Huong et retranscrits en français par Morgan Diaz 

Morgan Diaz
Publié le 25 décembre 2020, mis à jour le 25 décembre 2020