Enseignante à la retraite depuis 2016, Patricia vit à Saigon depuis 1994. Elle était professeure des écoles au LFI Marguerite Duras, anciennement Ecole française Colette durant toutes ces années. Elle nous livre "son expérience du Têt".
Mon mari et moi sommes arrivés il y a un peu plus de 26 ans dans cette ville que nous avons vu évoluer. Mon mari étant d’origine vietnamienne la connaissance et l’adaptation aux us et coutumes du pays ont été immédiats et aisés. Son papa est décédé mais sa maman vit toujours à Nha Trang et nous nous rendons fréquemment dans cette superbe station balnéaire. Nous n’avons dû manquer qu’un seul Têt au cours de toutes ces années. C’est un réel plaisir pour nous de fêter le Nouvel An vietnamien en famille, de la même façon que nous ne manquons pas, dans la mesure du possible, les fêtes de fin d’année en France avec nos familles respectives.
Mon mari, Dam, a 2 frères et une soeur en France ainsi qu’une soeur au Canada. Eux-aussi maintiennent les traditions et fêtent le Têt, certes plus modestement qu’au Vietnam. Notre fille Yoanna, qui a vécu de 4 à 18 ans au Vietnam et qui termine ses études de médecine à Lille, ne manquerait pour rien au monde de célébrer le Têt à sa façon : elle participe à la confection du fameux Bánh tét dans une association vietnamienne du Nord de la France et fait des courses au supermarché Paris Store de Roubaix à cette occasion. Elle a été imprégnée de la culture vietnamienne pendant toute sa jeunesse et n’oublie pas les traditions (surtout culinaires !).
Réunion familiale
Cette année encore, comme les précédentes, nous nous retrouverons dans la maison familiale avec la maman de Dam, son frère et sa soeur vivant encore dans sa ville natale, sa soeur habitant Saigon et bien sûr, leurs conjoints et enfants. Les beaux-frères et belles-soeurs, neveux et nièces, etc... qui sont à l’étranger, essaient de venir festoyer à ce moment-là. Quand cela est possible, nous participons aux cérémonies précédant le Têt : celle des Génies de la Cuisine, par exemple.
L’autel des ancêtres est garni d’offrandes et de fleurs. On décore la maison avec le traditionnel abricotier, les pots de chrysanthèmes ou d’orchidées, des bouquets de lys ou d’oeillets… Jusqu’à l’an dernier, ma belle-mère ma belle-soeur et moi, réalisions les Banh Têt et les hommes s’occupaient de les faire cuire toute la nuit. Cela constituait surtout un prétexte pour partager quelques bières, quelques histoires drôles … Ma belle-mère prenant de l’âge ( elle a maintenant 90 ans ), elle préfère acheter ces gâteaux de riz. Elle faisait même les confiseries à la noix de coco, au gingembre, les conserves au vinaigre (échalotes…) Les plats traditionnels sont toujours cuisinés à la maison par ma belle-soeur ou commandés aux cousines de la campagne : ragoûts… Les membres de la famille voyageant davantage, plus à l’aise financièrement que dans le passé, chacun essaie de rapporter une touche d’originalité au menu : grillades de gibier, spécialités des pays visités… Autrefois, on mangeait davantage de plats mijotés car les magasins et les marchés étaient fermés après Têt.
Le réveillon a lieu à la maison de la maman de Dam avec les membres proches. Le repas est simple. À minuit, il y a la cérémonie autour de l’autel des Ancêtres. Puis, on regarde le feu d’artifice qui s’améliore d’année en année et qui a remplacé les pétards. Je me souviens de l’épaisse fumée et de l’air irrespirable qui flottaient à cause des milliers de pétards qui étaient claqués à ce moment-là. Cela a été interdit en 1996 à cause des nombreux accidents et incendies qu’ils occasionnaient. On boit ensuite le champagne et on échange les Lì Xì et les voeux. On coupe et mange la pastèque.
Traditions et festivités vietnamiennes
On voit encore beaucoup de personnes qui continuent à rompre des branches d’arbres en chemin pour les porter à la Pagode ou aux Temples. Nous, on s’y rend le matin ou l’après-midi du jour de l’An. On y fait les traditionnelles photos de famille sous l’arbre du Têt et parmi les chrysanthèmes. Certains vont voir les bonzes et se faire prévenir l’avenir. Le matin, nous nous rendons à la campagne pour la cérémonie dans la maison des Ancêtres. C’est l’occasion de revoir toute la famille du membre le plus proche au plus éloigné. On se souhaite la bonne année. On boit de la bière et on mange de délicieux plats végétariens préparés par la famille, ou depuis peu, achetés. Il y a d’autres cérémonies dans les jours qui suivront auxquels nous participons si nous sommes encore sur place.
Au sein de la famille-même, pas vraiment de changements dans l’organisation des fêtes. Par contre, beaucoup de choses dans la ville ont évolué, de manière positive ou pas. J’ai vu les villes de Saigon et de Nha Trang de plus en plus décorées, depuis l’ouverture du Vietnam et surtout depuis l’installation des centres commerciaux et du développement des rues commerçantes. On fait fi des économies d’énergie, du gaspillage de tous ordres… Il y a toujours la même agitation dans la période précédant le Têt, semblable à celle que nous connaissons à l’ouest en décembre :
- La ville est encore plus embouteillée que d’habitude. Tout le monde court en ville faire ses achats ou régler ses affaires.
- On achète de nouveaux vêtements. Vivent les soldes ! Sont-elles réelles ? Comme dans les pays occidentaux, on se pose la question…
- On range sa maison, on achète de nouvelles nappes…
- On va au cimetière nettoyer les tombeaux.
Il faut faire attention aux accidents de circulation : les gens fêtent la fin de l’année et la nouvelle, ils boivent beaucoup ! Quoique, cette année, nous allons être témoins du changement avec la nouvelle réglementation qui n’autorise aucune prise d’alcool pour la conduite des véhicules.
Gare également aux vols à l’arrachée : les gens ont besoin d’argent pour fêter le Têt mais aussi pour les jeux d’argent, interdits mais toujours pratiqués.
On assiste comme autrefois à un exode total : Saigon est vidée de ses habitants en quelques jours. Mais cela ne dure pas.
Pour avoir travaillé à l’école française et donc, avec et parmi les autochtones, j’ai pu constater la joie que ces derniers éprouvaient en évoquant le retour dans leur famille. La plupart en effet vivent éloignés et le Têt, tout comme en France Noël, permet à chacun de retrouver les siens. Ils doivent réserver leurs moyens de transport longtemps à l’avance même si ces derniers se sont multipliés. Le séjour dans les familles est souvent suivi d’un voyage. Autrefois, c’était à Vung Tau ou à Da Lat. Maintenant, c’est à l’étranger : les tours en Europe ou sur les autres continents sont courants.
Comme partout, les élèves sont tout excités lors des préparatifs des fêtes et il est difficile de susciter leur attention dans la semaine qui précède les vacances scolaires. L’école française respecte le calendrier vietnamien pour les congés. Ceux-ci sont donc pratiquement identiques. Chaque année a lieu un spectacle avec la danse du Dragon, l’école est décorée, les enfants chantent les chants traditionnels, écoutent les légendes du Têt et jouent aux jeux populaires…
On assiste comme autrefois à un exode total : Saigon est vidée de ses habitants en quelques jours. Mais cela ne dure pas. Autrefois, la période après Têt était un peu crainte : les activités étaient très ralenties, un peu comme le mois d’août en France ou pire. Le commerce ne fonctionnait plus pendant 2 à 4 semaines. Les boutiques étaient fermées. Il n’y avait plus de marchés. Il fallait donc stocker de la nourriture et se passer de certains services ou produits. Encore aujourd’hui persiste cette inactivité :
- Les pêcheurs stoppent toute activité car ils gardent leurs croyances.
- Les employés partis à la campagne ne reviennent pas toujours.
Je suis ravie de pouvoir vivre et partager ces superbes et chaleureuses fêtes du Têt. Ce sont des festivités à ne pas manquer !