Née et élevée en France, Linda Nguon a toujours cultivé un lien profond avec le pays de ses origines. Rien ne la destinait pourtant à devenir la voix d’un média. Diplômée d’une école de commerce, elle a multiplié les expériences internationales – notamment un stage marquant au Vietnam – avant de passer huit années à développer sa carrière à Singapour, Hong Kong et en Thaïlande. C’est au fil de ce parcours qu’est née l’idée de raconter sa dualité culturelle et de partager des anecdotes personnelles, posant ainsi les bases du podcast Banh Mi.
Le Petit Journal a eu l’opportunité de rencontrer Linda, fondatrice du podcast Banh Mi, lors de l’enregistrement live d’un épisode hors-série intitulé Back to the Roots. En présence de quatre invités et dans une ambiance intimiste sur le rooftop du Cocoon, à Ho Chi Minh-ville, elle a exploré les multiples facettes de l’identité Viet Kieu. Cet épisode est désormais accessible sur YouTube et sur toutes les plateformes de podcast.
LPJ : Quels sont les prémices de Banh Mi ?
Linda : En 2020, après huit années passées en Asie, je suis rentrée en France. Le premier confinement m’a offert une pause propice à la réflexion : qu’est-ce que cela signifie d’être Français.e, mais d’origine asiatique ? J’ai commencé à partager mes pensées sur mon blog, notamment des anecdotes sur le Vietnam et la Thaïlande. À ma grande surprise, beaucoup de gens se sont reconnus dans mes récits.
Une aventure née de réflexions personnelles
Le déclic pour Banh Mi est venu d’une interview informelle que j’ai réalisée avec Nodey, un artiste fascinant par sa vision du Vietnam et de sa jeunesse.
Son enthousiasme pour « une jeunesse vietnamienne audacieuse, qui apprend à une vitesse fulgurante » m’a donné envie de creuser davantage et de mettre en lumière ces récits. Ce premier enregistrement, pensé pour mon blog, a finalement été l’étincelle qui a donné naissance au podcast.
« En France, on connaît peu les pays asiatiques, souvent à travers le prisme de l’histoire coloniale. Il est crucial de dépasser cette perspective européo-centrée et de valoriser les richesses que chaque culture peut offrir. »
LPJ : Pourquoi est-il important, selon vous, de rapprocher le Vietnam et la France ?
Linda : À mes débuts, je n’avais qu’une vision fragmentée de l’histoire migratoire vietnamienne, notamment celle des « boat people » des années 1970, car c’est la période qui a marqué mes parents. Grâce à Banh Mi et à mes invités, j’ai découvert une migration plus ancienne, remontant à la colonisation de l’Indochine dans les années 1950.
Créer des ponts entre le Vietnam et la France
Cette migration s’est accompagnée de ruptures culturelles profondes. Les familles naturalisées ont souvent abandonné l’usage du vietnamien au profit du français. Cette transmission culturelle brisée a laissé des générations sans lien linguistique avec leurs origines.
« C’est un effacement culturel progressif. Nombre de Vietnamiens en France n’ont jamais appris leur langue d’origine. »
LPJ : Pourquoi la culture vietnamienne semble-t-elle mieux préservée aux États-Unis qu’en France ?
Linda : Aux États-Unis, la migration vietnamienne a réellement commencé avec les boat people, arrivés en communauté dans les années 1970. Contrairement à la France, ils ont continué à cultiver leurs traditions ensemble, sans cette scission culturelle observée en France. La différence s’explique aussi par des politiques d’intégration divergentes : la France a souvent privilégié l’assimilation, là où les États-Unis ont favorisé une coexistence communautaire.
LPJ : Dans Back to the Roots, l’un de vos invités évoque les divergences de perception entre générations. Qu’en pensez-vous ?
Linda : Ceux qui ont fui un pays en guerre, sans jamais y retourner, gardent une image figée, souvent empreinte de peur. Mes parents, par exemple, n’ont pas fui le Vietnam, mais la guerre au Cambodge. Aujourd’hui encore, ma mère perçoit ce pays comme dangereux, alors qu’il a évolué.
Retour aux racines : un chemin en construction
LPJ : Être une femme d’origine asiatique dirigeant un média en France, est-ce un défi ?
Linda : Je ne l’ai pas vu comme ça au début. J’ai commencé de manière très spontanée, portée par l’envie de partager mes rencontres et mes réflexions.
Bien sûr, le syndrome de l’imposteur m’a parfois rattrapée. Je n’ai pas de formation en journalisme, mais j’étais curieuse et déterminée. Ce n’est que lorsque Banh Mi a gagné en visibilité que j’ai pris conscience de son impact.
« Peu importe l’étiquette. Tout le monde, à un moment, se pose des questions sur son identité. C’est rassurant de savoir qu’on n’est pas seul. Avec le recul, je ne sais même plus si c’est un média ou une forme de thérapie collective. »
LPJ : Back to the Roots évoque un retour aux racines. Où en êtes-vous avec vos origines ?
Linda : Reconnecter avec ses origines est un processus long. Pour moi, cela passe aussi par l’histoire familiale, et je n’ai pas encore pris le temps d’interroger ma mère à ce sujet. Je suis sans doute au début de ce chemin.