Tout a basculé la semaine du 15 mars. Entre l’annonce en France de la fermeture des écoles, puis du confinement dans les jours qui ont suivis, les cas qui ont explosé en Corée, l’arrivée de touristes contaminés et des việt kiều passés par l’Italie… Le Vietnam n’a fait qu’un bond, et nous aussi, même plusieurs, par ricochets.
Puis, surprise la plus totale, quasiment tout a réouvert à Saigon hier. Heureusement et selon les annonces gouvernementales, maintenir les gestes barrières et la distanciation sont encore clairement à l’ordre du jour et je félicite les Vietnamiens d’avoir été si peu à sortir malgré cette nouvelle normalité.
On a fêté notre premier anniversaire cette semaine avec François. Sans cadeaux, sans champagne, sans week-end à la mer comme prévu. Sans être ensemble.
C’était très bizarre.
Je m’y étais pourtant bien préparée à cet appel en visio. Psychologiquement je veux dire. On avait prévu de se faire un diner en amoureux - lui pour déjeuner du coup. Moi au Vietnam, lui à Paris dans la tristesse de notre ancien appartement, lui malade, encore (et c’est ce type de malade qui quand il l’est, est juste insupportable), et moi, beaucoup trop excitée à l’idée de cette soirée, ici. François va mieux ceci-dit et son état de santé n’est plus aussi alarmant qu’au début.
J’ai commandé pour le coup dans mon resto préféré, j’ai pris le temps de bien me maquiller, de m’apprêter, de porter la petite robe qu’on avait achetée ensemble l’été dernier lors de nos vacances en Inde et qu’il aime tant, j’ai même pris du vin pour donner un air de fête à cette soirée que je m’apprêtais à passer seule derrière mon ordinateur.
« L’avenir de notre couple est devenu un sujet aussi tabou qu’au coeur de toutes nos engueulades, de nos frustrations, de l’incertitude de l’avenir. »
Cet anniversaire de couple n’a pas du tout pris la tournure que j’avais fantasmée, un peu romantique, taquine, pleine de blagues et surtout bourrée de légèreté.
Déjà due à la situation, évidement; mais aussi car avec la fermeture des frontières et aucune perspective de revoyure avant au moins mi 2021, la projection amoureuse est sacrément ébranlée.
Moi qui trépignais d’impatience d’enfin me retrouver avec lui à l’heure dite de rendez-vous, j’étais en face d’un zombie grincheux. Devant un homme malade quoi, disons-le, cette gente n’aime décidément pas perdre de contrôle sur la virilité.
Ni lui ni moi ne croyons aux relations à distance, pour des raisons tout simplement de distance, de décalage horaire, de vie sociale et professionnelle à deux vitesses, un épanouissement qu’on vit seul et dont l’autre se nourrit par procuration… Ce n’est pas notre vision du couple qui pour nous s’articule autour d’un projet commun, d’une évolution à deux.
Et là, comme nous n’avons aucune piste pour la suite, c’est compliqué.
L’avenir de notre couple est devenu un sujet aussi tabou qu’au coeur de toutes nos engueulades, de nos frustrations, de l’incertitude de l’avenir. La rupture semble inévitable, par bon sens, par sainteté d’esprit, mais aucun de nous ne veut faire le premier pas ne serait-ce que pour aborder cette éventualité. Ce qui a donné lieu à une conversation lourde de sous-entendus, de reproches à peine déguisés, un énervement sourd qui a toute sa place vu le contexte, mais qui s’est invité un peu trop tôt à cette soirée qui se voulait insouciante et douce.
Ici, on nous impose “heureusement” encore le “social distancing”, avec François on s’est émotionnellement distanciés. La fougue du départ vers cette nouvelle aventure laisse place à une amertume et une drôle de rancoeur. Comme s’il m’en voulait d’être partie en éclaireuse pour alléger son arrivée, et moi je ne peux m’empêcher de me dire que s’il avait sauté dans le premier avion me rejoindre avant l’heure, nous n’en serions pas là.
Ce magma de pensées, avec tout ce temps à disposition, n’aide vraiment pas la lucidité que j’aimerais avoir dans cette situation. Pour nous, pour moi, pour y voir un peu clair…
On avait pourtant tellement de projets dans cette nouvelle vie à deux, loin de la France, ensemble sous le soleil…
Quelle période franchement, quelle période...