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A Dien Bien Phu, Patricia Mirallès salue "deux peuples qui s’aiment"

L’équipe hanoïenne lepetitjournal.com a eu l’honneur, ce samedi 4 mai, d’être reçue à l’Ambassade de France, pour y rencontrer Patricia Mirallès, Secrétaire d’Etat, en charge des Anciens Combattants et de la Mémoire, qui était accompagnée d’Olivier Brochet, Ambassadeur de France au Vietnam.

Patricia Mirallès et Olivier BrochetPatricia Mirallès et Olivier Brochet
Écrit par Lepetitjournal.com de Hanoi
Publié le 7 mai 2024, mis à jour le 22 juin 2024

 

LPJ : Madame la Ministre, bonjour, et merci, vous êtes ici, à Hanoï, pour une raison bien particulière : le Vietnam célèbre cette année le 70e anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu, « la victoire qui a ébranlé le monde entier », dit-on ici… De même que le Ministre des Armées Sébastien Lecornu, vous êtes conviée aux commémorations, qui se tiendront donc ce mardi 7 mai, à Dien Bien Phu-même.

C’est une première ! C’est la première fois, en effet, que la République socialiste du Vietnam invite des membres du gouvernement français à ces commémorations. C’est un geste fort, bien sûr… Comment l’interprétez-vous ?

 

 

Patricia Mirallès : Je voudrais d’abord rappeler qu’en 1993, François Mitterrand s’était rendu à Dien Bien Phu, mais en visite privée, et qu’Edouard Philippe, lorsqu’il était Premier ministre, avait fait de même. C’était en 2018.
En ce qui me concerne, j’ai reçu mon homologue vietnamien en décembre. Nous avions alors convenu que si nous - le Ministre des Armées et moi-même - recevions une invitation, nous viendrions, pour honorer nos anciens et tous ceux qui ne sont pas revenus de cette bataille. Or, nous avons reçu cette invitation, et avons convenu qu’il était important d’y répondre favorablement. C’est un geste de rapprochement entre nos deux pays, sur cette mémoire douloureuse, qui mériterait d’ailleurs d’être mieux connue en France.

 


LPJ : Monsieur l’Ambassadeur, vous avez déclaré - je vous cite : « Nous montrons - pas simplement aux Vietnamiens et au Français mais au monde entier - notre capacité à regarder ensemble le passé, et à le prendre comme il est, à en reconnaître toute la complexité et le caractère tragique ; mais aussi à montrer qu’aujourd’hui, 70 ans après, nos deux pays sont des pays amis, qui se retrouvent ensemble sur un ancien champ de bataille pour construire l’avenir ».


Olivier Brochet : Je ne peux que rejoindre, évidemment, ce qu’a dit Madame Mirallès sur le sens que nous donnons à cette invitation du Vietnam, et à l’importance, pour nous, d’être présents à ces commémorations, qui tous les dix ans, prennent une dimension très particulière. Je crois qu’effectivement, nos deux pays ont à l’esprit que ce n’est pas simplement un rapprochement entre nous, mais bel et bien un geste qui, dans un moment particulièrement difficile dans les relations internationales, envoie au monde un signal positif. Nos deux pays, qui se sont affrontés, sont capables de regarder leur passé de façon commune.

Patricia Mirallès : … et de se projeter vers l’avenir !

Aujourd’hui, je ne suis pas venue toute seule, mais avec trois anciens combattants : André Meyer, qui était lieutenant, à l’époque, au 3e bataillon de parachutistes coloniaux, puis au 5e bataillon de parachutistes vietnamiens. Il y a aussi William Schilardi, qui était, lui, au 8e bataillon de parachutistes coloniaux. Ils sont arrivés tous les deux début 1952 en Indochine. Ils ont été faits prisonniers à Dien Bien Phu, ils ont fait la fameuse marche, et ils en sont revenus. Et il y a enfin le colonel Jean-Yves Guinard, qui, lui, a fait toute une carrière militaire commencée en 1949 et achevée en 1987. Il faisait partie lui aussi du 8e bataillon de parachutistes coloniaux.

Ce que j’apprends des anciens d’Indochine est que, pour eux, cette guerre-là – ils en ont fait d’autres – a été un peu occultée. Alors je crois qu’il faut se saisir de ce moment des 70 ans, pour raconter ce qui s’est passé et quelles décisions ont été prises. Parfois, quand il y a une défaite, il faut savoir le dire… Mais il faut aussi continuer à honorer tous ceux qui sont restés ici, et tous ceux qui ont disparu. Parce que derrière eux, il y a aussi des familles qui n’ont jamais fait leur deuil…
Je trouve extraordinaire de vivre ce moment avec ces anciens combattants. Je vois bien qu’ils ont besoin de revenir, parce qu’ils ont besoin d’honorer leurs frères d’armes.

 

 

Dans les rues de Hanoi au Vietnam pour les 70 ans de la victoore de Dien Bien Phu
Dans les rues de Hanoï, ces jours-ci.

 

 

LPJ : Parlons, justement, de cette mémoire, celle de la guerre d’Indochine, qui est donc étroitement liée à celle de Dien Bien Phu. Nous avons parfois l’impression qu’elle n’occupe pas toute la place qu’elle mérite, cette mémoire. Nous qualifions d’ailleurs souvent la guerre d’Indochine de guerre « oubliée ». Hélie de Saint Marc parlait de guerre « orpheline » quand Pierre schoendoerffer disait - je le cite : « Le corps expéditionnaire avait une âme, que la France a toujours ignoré ». Alors, selon vous, que faut-il faire pour raviver cette mémoire ? Que faut-il faire pour que la guerre d’Indochine ne soit pas ce chapitre sur lequel on passe un peu trop vite pendant les cours d’Histoire ?


Patricia Mirallès : Déjà, je pense que ma présence et le fait de venir avec le Ministre des Armées, envoie un signe. Parce qu’il y aura un écho, en France, qui va nous permettre de pouvoir travailler avec la jeunesse. Aujourd’hui, nous avons une certaine maturité entre les deux pays, qui fait que nous pouvons en parler. Il n’y a pas de colère, il n’y a pas de haine. Les choses sont ce qu’elles ont été à l’époque.

Vous savez, le Président de la République, Emmanuel Macron, nous dit toujours qu’il faut regarder son Histoire en face, aussi douloureuse soit-elle, parce que c’est ce qui permet de grandir, de gagner en maturité, de pardonner. Il a pu, par exemple, demander pardon aux harkis : c’est ça, la maturité, sur l’Histoire, sur la mémoire... Cette phrase, qu’il prononce assez souvent, je trouve qu’elle résonne pleinement ici.

Alors nous venons ici, organisons une cérémonie avec des anciens. Puis nous irons dans les lycées et les collèges. Je vais beaucoup voir la jeunesse, parce qu’elle a envie qu’on vienne vers elle. On a une jeunesse, en France, qui est très belle, mais qui est timide ! Ces jeunes regardent la mémoire virtuelle, mais pas la nôtre;  celle qui nous a construit, celle qui a fait la France. Et pourtant, il y aurait beaucoup de choses à expliquer à cette jeunesse : qu’est-ce que cette Histoire ? Pourquoi est-ce arrivé et pourquoi aujourd’hui, comme avec l’Allemagne, nous arrivons à être apaisé ?

 

 


LPJ : Depuis quelques années, ce que d’aucuns appellent « cancel culture », accapare quand même pas mal les débats. Elle consiste, cette « cancel culture », pour une bonne part en tout cas, en une critique souvent assez virulente du colonialisme, à laquelle s’ajoute souvent une espèce d’injonction à la repentance. Alors est-ce qu’il n’y a pas, au fond, sur cette période de notre Histoire, une espèce de « tabou », qui pèse ?


Patricia Mirallès : La France n’a pas été la seule à coloniser ! La colonisation a existé, elle a aussi servi à développer certains pays. Il y a des choix qui ont été faits, qu’il faut admettre et accepter. S’agissant de ce que la France a fait en Indochine, les choses ont été acceptées, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons été invités aujourd’hui.

C’est une histoire, elle a existé. Il faut continuer à travailler ensemble, à avoir des projets, parce que nos deux pays peuvent être liés. La France aide d’ailleurs beaucoup le Vietnam en matière d’innovation, de recherche… Nous savons que nous allons subir des crises climatiques importantes. Il faut les construire aujourd’hui, ces crises. Et cela se construit avec les pays qui seront les premiers touchés, dont le Vietnam.

 

la france et le vietnam ensemble

 


LPJ : Le bilan de cette guerre d’Indochine, il est évidemment lourd, très lourd. C’est à peu près 80.000 morts si on compte « les » guerres d’Indochine, car il y a bien sûr la guerre dite « d’Indochine » qui commence le 19 décembre 1946, mais il y a aussi les affrontements avec les Japonais pendant la Seconde guerre mondiale, notamment ceux qui sont consécutifs au coup de force du 9 mars 1945 - chapitre là-aussi très méconnu de l’Histoire. Alors, parlons-en, justement des morts. Le 11 avril dernier, six dépouilles de soldats français, exhumées sur le site de Dien Bien Phu, ont été rapatriées en France, avec bien sûr l’accord et même le concours des autorités vietnamiennes. « Hier comme aujourd’hui, sur notre sol ou ailleurs, c’est l’honneur de la France de veiller à toujours assurer une sépulture perpétuelle à celles et ceux qui sont morts pour elle », avez-vous alors déclaré. Alors quel est le protocole en vigueur pour le rapatriement des corps ?


Patricia Mirallès : Les corps sont à Aix-Marseille, en ce moment, à l’institut médico-légal. Nous allons faire en sorte de les identifier, de façon à proposer aux familles de les récupérer si elles le souhaitent. Il y a aussi le Mémorial de Fréjus, inauguré en 1993 par François Mitterrand, qui est traversé par un grand mur de la mémoire, sur lequel sont inscrits 35.000 noms de soldats qui ne sont pas revenus. Je crois qu’il est important d’avoir des carrés militaires à la hauteur de ce qu’ont vécu nos soldats. C’est important, non seulement pour les familles, mais aussi pour les touristes qui viennent dans ces lieux de mémoire, pour voir ce qui s’est passé. Il y a aussi des jeunes, qui découvrent des noms à consonance française, des noms à consonance africaine, anglaise, canadienne ou américaine. Cela les interroge sur notre Histoire.

 

 

A chaque fois que des corps ou des ossements sont retrouvés, c’est la France qui paie les frais. Il faut juste qu’ils soient signalés.

 


LPJ : Alors, rappelons-le, le corps expéditionnaire que l’on dit « français », c’était en fait « l’Union française », et il y avait un bon nombre de soldats marocains, algériens, sénégalais, et puis des supplétifs vietnamiens, bien sûr, en très grand nombre. Ce Mémorial de Fréjus a été conçu suite à des accords passés entre la France et le Vietnam le 2 août 1986. Il s’agissait, à l’époque, pour le Vietnam, de faire rapatrier en France 27.000 dépouilles, tant civiles que militaires, et c’est donc la ville de Fréjus qui s’est proposé pour accueillir le Mémorial sur un ancien site militaire, le camp Gallieni, qui avait accueilli des tirailleurs annamites pendant la Première guerre mondiale. Mais quels sont les accords passés avec la République socialiste du Vietnam, comment ça se passe ?


Patricia Mirallès : A chaque fois que des corps ou des ossements sont retrouvés, c’est la France qui paie les frais. Il faut juste qu’ils soient signalés. Après, il y a un processus qui se met en place, comme pour les six corps que nous venons de rapatrier. C’est à la charge, évidemment, de l’Etat français, de récupérer les corps, à chaque fois qu’on le lui propose...

Olivier Brochet : Dans le cadre de cet accord, nous avons à discuter avec le comité populaire de la province, qui a cette responsabilité, et nous signons une forme de convention, qui fixe les conditions, aussi bien de l’exhumation que du rapatriement en France, et qui stipule également que les autorités vietnamiennes doivent être tenues informées des résultats des tests ADN, parce que si ces tests montrent que finalement, un corps rapatrié n’est pas français ou européen, nous avons l’engagement de le ramener pour qu’il puisse bénéficier d’une sépulture, ici au Vietnam.

 

 

exemple d'exhumation au Vietnam
L'exhumation de la sépulture présumée de l'équipage du B-26, au Vietnam. en Octobre 2023 - BERTRAND DIEUDONNÉ

 


LPJ : Parlons, maintenant, de la commémoration de ce 7 mai… Une cérémonie va être organisée à Dien Bien Phu, auprès du monument qui, je le rappelle, a été érigé en 1994 à l’initiative d’un ancien sous-officier de la légion étrangère, Rolf Rodel, et inauguré cinq ans plus tard en 1999. Est-ce que vous savez si les autorités vietnamiennes y seront représentées ?


Olivier Brochet : Elles sont invitées ! Mais il y a plusieurs choses. Dimanche soir, Madame la Ministre sera à Dien Bien Phu et procèdera avec le président du comité populaire à l’illumination du pont*, que nous offrons, avec le soutien de différents mécènes, et avec le soutien de la ville de Lyon. Mais elle procèdera également à l’inauguration d’un parcours mémoriel trilingue. Quant à la cérémonie au Mémorial français, elle se tiendra après la commémoration vietnamienne du 7 mai au matin.

*le pont Muong Thanh.

Patricia Mirallès : Ce n’est pas notre cérémonie, pour le coup. Là, c’est nous qui sommes invités.

Olivier Brochet : Oui, pour la cérémonie vietnamienne, nous sommes invités. Le Ministre et la Secrétaire d’Etat sont invités. Puis ils rendront hommage aux morts vietnamiens au cimetière vietnamien, ainsi qu’au mémorial français. De fait, les autorités vietnamiennes ont été invitées à s’y joindre, si elles le souhaitent.

 

J'ai rencontré "l’ange de Dien Bien Phu", cette infirmière-convoyeuse qui a sauvé, par hélicoptère, énormément de blessés avec courage.

 


LPJ : Et en France, est-ce qu’il y aura une commémoration ? Peut-être au Mémorial de Fréjus…


Patricia Mirallès : Oui, elle aura lieu mais pas en même temps, puisque c’est moi qui la célèbre et je suis ici. cette commémoration ne sera peut-être pas non plus le 8 juin* en raison des 80 ans des Débarquements, de la Libération et des élections européennes. Il faudra sans doute l’organiser la semaine suivante. L’année dernière, j’avais délocalisé la cérémonie, une façon d’ouvrir et d’aller vers la jeunesse. Résultat, 200 jeunes sont venus. Lorsque l’on va vers eux, les lycéens et les collégiens viennent. On se plaint de voir de moins en moins de jeunes, de moins en moins de gens aux commémorations. C’est pour cela que je prends l’initiative de délocaliser certaines cérémonies.

Pour la Déportation, en 2023, j’étais au Struthof, et cette année, j’étais à la gare de Bobigny. C’était très bien car il y avait beaucoup de jeunes et même des élèves des écoles primaires qui avaient travaillé dessus avec les enseignants. Il faut d’ailleurs remercier les enseignants qui font un travail formidable aujourd’hui auprès de cette jeunesse, parfois en manque de connaissances. Si nous voulons aller chercher ces forces morales dont nous évoquons, ce n’est pas sur les réseaux sociaux que nous allons les trouver !

Récemment, je suis allée voir Geneviève de Galard, en maison de retraite avec son époux, Jean de Heaulme. Elle a 99 ans, aujourd’hui, et son mari 101 ans… C’est un couple magnifique. C’était un moment extraordinaire et je garderai à jamais ce souvenir de cet ange, « l’ange de Dien Bien Phu », cette infirmière-convoyeuse qui a sauvé, par hélicoptère, énormément de blessés avec courage. C’est formidable de pouvoir témoigner de ces rencontres. Je trouve que cela nous donne du courage à nous aussi, les filles... Elles étaient prêtes à tout, à l’époque !

 

*8 juin : journée nationale d’hommage aux morts pour la France en Indochine

 

mémorial fréjus
Le mémorial de Fréjus

 

Fréjus : visite au Mémorial des guerres en Indochine

 


LPJ : Madame la Ministre, je voudrais aussi évoquer, si vous le voulez bien, le sort de ceux que certains appellent - c’est un surnom - « les harkis indochinois ». Il s’agit de réfugiés, de rapatriés d’urgence après la guerre d’Indochine. Il y a des femmes, des veuves de militaires français, des supplétifs vietnamiens et aussi beaucoup de petits métis. Et alors, à leur arrivée en France, tous ces gens ont été parqués dans des camps, notamment à Sainte Livrade-sur-Lot. C’était provisoire, mais ce provisoire a duré un bon demi-siècle.
Aujourd’hui, ces gens-là qui étaient des « ayant droit » ne sont plus de ce monde, mais leurs enfants, leurs petits-enfants demandent, sinon réparation, à tout le moins une forme de reconnaissance. Alors Madame la Ministre, où en sommes-nous aujourd’hui ?


Patricia Mirallès : Je n’ai pas encore pu étudier la situation parce que j’ai évidemment été beaucoup prise par la situation des harkis, avec la loi du 23 février 2022. Il y a la commission indépendante, appelée la « commission Bockel », qui continue, tous les mois, à valider des dossiers. Nous avons un travail qui est encore un peu long. Il faut que j’arrive à terminer, pour pouvoir travailler sur le reste. Mais c’est une discussion que je n’ai pas encore eue avec le Président de la République.

 

« C’est ça, la France ? » : le sort méconnu des « harkis » de l’Indochine

 


LPJ : Vous évoquiez, justement, la loi du 23 février 2022, qui porte reconnaissance pour les harkis, les harkis algériens donc. Mais est-ce qu’il n’y a pas deux poids, deux mesures ? Les Indochinois - leurs descendants - se demandent pourquoi ils ne sont pas conviés à telle fête, finalement. Alors est-ce que c’est un souci du gouvernement, faut-il faire un amendement à cette loi du 23 février 2022 ? Faut-il faire une loi à part ?


Patricia Mirallès : Non, nous ne ferons pas d’amendement dans cette loi harkis que nous ne pouvons pas rouvrir, de toute façon.

La loi harkis a débuté en 2010. Une famille attaque l’Etat en 2010 et le Conseil d’Etat réagit en 2018. A partir de là, le Président de la République a dit qu’il fallait demander pardon, qu’il fallait reconnaître ces douleurs. Mais le point de départ vient de l’initiative d’une famille qui a souhaité pouvoir être indemnisée sur l’indignité.

 

Dessin de la bataille de Dien Bien Phu par un enfant vietnamien
Les enfants des écoles primaires de Hanoï célèbrent eux aussi le 70e anniversaire de Dien Bien Phu… à leur manière !

 

 

LPJ : Impossible d’évoquer Dien Bien Phu, sans évoquer celui qui reste, au regard de l’Histoire « le vainqueur de Dien Bien Phu », c’est-à-dire le Général Vo Nguyen Giap, mort en 2013 à 102 ans. Ca peut paraître paradoxal, mais c’était un francophone très distingué, et également un amoureux de la culture française. Il y a d’ailleurs une anecdote à ce sujet, qui s’est passée ici, en 1989, au moment du bicentenaire de la Révolution française. Votre prédécesseur, Monsieur l’Ambassadeur, Claude Blanchemaison, avait invité le Général aux cérémonies du 14 juillet. A un moment donné, il lui explique que les deux hymnes nationaux vont être joués. Et alors, réaction du Général : « La Marseillaise ? J’aime bien. C’est un chant révolutionnaire, j’aimerais la chanter ! ». Et il s’est exécuté, parait-il…
Alors est-ce qu’au fond, cette histoire du Vietnam et de la France, de la France et du Vietnam, ce n’est pas l’histoire d’une fascination réciproque ?


Patricia Mirallès : Ici, nous ne ressentons pas de colère. Je songe en particulier aux anciens combattants qui sont venus avec moi : ils sont très apaisés. Ce qui est assez bizarre, d’ailleurs, c’est qu’ils aiment revenir… Ils ont 90, 91,92 ans. Ils ont fait 12 heures d’avion, et ont besoin de revenir. Vous savez, les Français et les Vietnamiens sont deux peuples qui se sont affrontés, mais ce sont deux peuples qui s’aiment.

 

 

Je pense que c’est le sens de cette première invitation et la réponse française à un niveau exceptionnel, qui est vraiment l’illustration de cette Histoire partagée et commune, avec ses hauts et ses bas.

 

LPJ : Bien sûr, mais ce qui est frappant, chez les anciens combattants, c’est qu’il y en a beaucoup qui ont parlé du Vietnam avec un attachement. C’est vraiment le « mal jaune » qu’évoquait Jean Lartéguy. Il y a évidemment Pierre Schoendoerffer, évoqué tout à l’heure, qui y a consacré toute son œuvre, Hélie de Saint Marc - je le cite : « Certains soirs, si on m’avait proposé de rester au Vietnam jusqu’à la fin de mes jours, j’aurais répondu oui ». Il y a le Général Bigeard, qui voulait que ses cendres fussent dispersées au-dessus de Dien Bien Phu, Erwan Bergott… Il y a vraiment une espèce de ferveur pour le Vietnam, qui est très frappante, et que nous retrouvons dans la littérature, le cinéma.

Olivier Brochet : Dans le cadre de mes fonctions, je rencontre souvent les autorités vietnamiennes. La plupart me parlent de l’Histoire commune, et elles ajoutent toujours « avec ses hauts et ses bas ». Donc effectivement, lorsqu’on évoque la guerre, c’est « ses bas ». Mais je pense que la plupart des Vietnamiens, en tout cas des responsables vietnamiens, considèrent que c’est une phase de l’Histoire. Ils sont évidemment heureux et fiers d’avoir combattu pour leur indépendance, mais il n’y a pas de rancœur vis-à-vis de la France. Vous évoquiez le Général Giap, mais le Président Ho Chi Minh aussi, faisait souvent référence à son goût, à son profond respect pour la culture française. Il avait une grande connaissance de la culture politique, bien sûr, de la culture politique française… Le Général Giap, lui, était un très grand connaisseur de la Révolution française et de l’Empire. Il a d’ailleurs bien étudié les batailles napoléoniennes, et il a su en tirer un certain nombre de leçons… Je pense que c’est le sens de cette première invitation et la réponse française à un niveau exceptionnel, qui est vraiment l’illustration de cette Histoire partagée et commune, avec ses hauts et ses bas.


LPJ : Monsieur l’Ambassadeur, Madame la Ministre, merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions. Merci infiniment, c’était un plaisir autant qu’un honneur.

 

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