Quatre institutions, nées à des époques et dans des contextes différents, se sont vu reconnaître en 1995 le rôle d’opérateurs de la Francophonie. TV5 Monde, l’Association internationale des maires francophones, l’Agence universitaire de la Francophonie et l’Université Senghor d’Alexandrie constituent aujourd’hui les piliers d’une organisation qui, au-delà des sommets politiques, s’incarne dans le quotidien de millions de francophones. La Conférence des organisations internationales non gouvernementales (COING), inscrite dans la Charte de la Francophonie en 2005, complète ce dispositif en portant la voix structurée de la société civile.


Une mosaïque d’institutions devenue un système cohérent
Bien avant la création officielle de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), certaines structures francophones existaient déjà. L’Agence universitaire de la Francophonie, fondée en 1961 à Montréal, fédère aujourd’hui plus de 1 000 établissements d’enseignement supérieur. TV5MONDE, née en 1984 de l’alliance de chaînes publiques européennes et canadiennes, s’est imposée comme la vitrine audiovisuelle du monde francophone. La même année, l’Association internationale des maires francophones (AIMF) voyait le jour à l’initiative de Jacques Chirac, du maire de Québec et de quelques élus pionniers. Enfin, l’Université Senghor d’Alexandrie, inaugurée en 1990, s’est spécialisée dans la formation des cadres du développement africain.
En 1995, au Sommet de Cotonou, ces institutions jusque-là indépendantes furent officiellement reconnues comme « opérateurs de la Francophonie ». « Le terme souligne qu’elles ne sont pas de simples partenaires, mais des institutions chargées de traduire, dans leurs domaines respectifs, les orientations politiques décidées par les États », rappelle un ancien diplomate.

Des missions complémentaires, un même horizon
Chacun des opérateurs couvre un champ d’action clairement identifié : l’enseignement supérieur et la recherche pour l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), la coopération décentralisée pour l’Association internationale des maires francophones (AIMF), la diffusion culturelle et médiatique pour TV5MONDE, et la formation des cadres africains au développement pour l’Université Senghor d’Alexandrie.

Cette diversité d’expertises traduit une volonté commune : ancrer la Francophonie dans des actions concrètes et durables. « Notre force est d’être à la fois spécialisés et reliés entre nous par une même langue », souligne un responsable de l’AUF.

Cette architecture permet de donner corps aux orientations définies lors des Sommets de la Francophonie. Lorsque les chefs d’État évoquent la mobilité étudiante, l’AUF déploie des programmes structurants.

Quand il est question de gouvernance locale, l’AIMF expérimente des solutions de terrain au plus près des collectivités. TV5MONDE, de son côté, assure une visibilité planétaire aux cultures francophones, tandis que l’Université Senghor forme, depuis Alexandrie, les futurs décideurs du continent africain.

Un cadre politique renforcé par le Secrétariat général
Deux ans après la reconnaissance des opérateurs, le Sommet de Hanoï (1997) créait le poste de Secrétaire général de la Francophonie. Louise Mushikiwabo, actuelle titulaire, incarne aujourd’hui cette fonction de coordination. Sa mission : veiller à la cohérence d’un ensemble où les opérateurs disposent de leur autonomie mais sont appelés à agir de concert.
Cette articulation entre volonté politique, exécution institutionnelle et action de terrain constitue le cœur du système francophone. Elle confère à l’OIF une capacité singulière : transformer les grandes orientations diplomatiques en programmes concrets. Parallèlement à l’action de ses opérateurs, l’OIF conduit également ses propres programmes, notamment en matière de langue française, de gouvernance démocratique et de gestion des crises.
Liste des Secrétaires Généraux de l’OIF
Louise Mushikiwabo (Rwanda) : Depuis janvier 2019.
Michaëlle Jean (Canada) : 2015-2018.
Abdou Diouf (Sénégal) : 2003-2014.
Boutros Boutros-Ghali (Égypte) : 1997-2002 (premier Secrétaire général)

Rôle et fonction
Le Secrétaire général est le représentant officiel de la Francophonie et dirige son secrétariat.
Il préside le Conseil permanent de la Francophonie (CPF).
Le mandat est de quatre ans et peut être renouvelé.
Une société civile en recomposition
Trente ans après leur reconnaissance officielle, les opérateurs demeurent les piliers du dispositif francophone, articulant actions sectorielles et programmation coordonnée avec l’OIF. À leurs côtés, la société civile francophone, structurée autour de la Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (COING), marque son vingtième anniversaire en 2025 dans un contexte qui dépasse le simple constat institutionnel.
À la différence des quatre opérateurs, la COING, inscrite dans la Charte de la Francophonie depuis 2005, ne met pas en œuvre de programmes : elle constitue l’espace institutionnel de représentation et d’expression de la société civile francophone.
Longtemps oscillant entre influence réelle et fragilité politique, la COING traverse aujourd’hui une phase de recomposition stratégique. Après une crise interne qui a mis en lumière les tensions entre acteurs et États, le médiateur Claude Musavyi a été élu président en octobre 2025 pour achever la mandature jusqu’en septembre 2026. Il défend une approche fondée sur la diplomatie citoyenne collaborative, privilégiant le dialogue structuré entre citoyens, organisations, collectivités territoriales et institutions, dans une logique de co-construction plutôt que d’opposition.

« Il ne s’agit pas de bousculer les États, mais de collaborer avec eux », affirme-t-il, revendiquant une société civile conçue comme levier d’innovation et de co-action, notamment autour de chantiers tels que la mobilité circulaire des talents, la finance responsable ou la création de hubs citoyens. Une orientation qui se veut en phase avec les défis contemporains du multilatéralisme et de l’engagement civique.
Opérateurs vs COING : l’essentiel
Les opérateurs — AUF, TV5 Monde, AIMF, Université Senghor — sont reconnus comme opérateurs de la Francophonie depuis 1995. Autonomes, ils mènent des actions concrètes sur le terrain, chacun dans son domaine.
La COING, inscrite dans la Charte de la Francophonie depuis 2005, représente la société civile francophone. Elle ne met pas en œuvre de programmes, mais formule recommandations et plaidoyers.
Les opérateurs agissent. La COING interpelle.
Vingt ans de diplomatie citoyenne : la COING au cœur des secousses du monde
Une Francophonie à l’épreuve
Dans cette perspective, la COING n’est plus seulement un corps consultatif. Elle revendique désormais la capacité de fédérer des acteurs sur cinq continents, d’alimenter les débats politiques et sociétaux, et de faire émerger des projets concrets en résonance avec les priorités de la Francophonie — de la paix à l’éducation, de la culture à l’innovation sociale. Mais l’enjeu est de taille : comment transformer cette ambition en impact durable, à l’heure où la crédibilité et l’efficacité des organisations multilatérales sont de plus en plus questionnées ?
À l’approche du XXᵉ Sommet de la Francophonie au Cambodge en 2026, une ligne de crête se dessine. La Francophonie saura-t-elle dépasser une juxtaposition d’institutions, d’opérateurs et d’instances consultatives pour construire une action réellement lisible, partagée et efficace ? Ou restera-t-elle prisonnière d’un équilibre fragile entre diplomatie d’États, autonomie des opérateurs et société civile encore en quête de légitimité ?
C’est à cette question — plus que jamais politique — que la Francophonie devra répondre.
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