Édition internationale

Yann, 52.000 km sans moteur : une aventure humaine par-delà les caps

À contre-courant d’un monde ultra-connecté, où tout semble à portée de clic, Yann choisit de traverser la planète à pied, à vélo, en kayak ou à dos de dromadaire. Son projet "Par-delà les Caps", c’est plus qu’un défi physique : c’est une quête, une manière de ralentir, de renouer avec l’essentiel, de croire en la bonté humaine. Parti d’Afrique du Sud en 2022, il a déjà parcouru plus de 13.000 km en solitaire, sans moteur, porté par une conviction simple : marcher, c’est encore explorer.

YannYann
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 8 juin 2025, mis à jour le 9 juin 2025

 

Yann c’est un aventurier, espèce rare dans un monde moderne qui a raccourci les distances, et facilité à outrance la découverte, offrant au tout-venant ce qui autrefois se gagnait à force de courage, d’intrépidité, d’inconscience et de curiosité. Aujourd’hui, nous avons le monde à portée de clic ou d’avion, le tourisme est de masse, et il est bien difficile de parler encore d’aventure. Sauf pour quelques audacieux, dont Yann fait partie. Des ovnis, capables de réenchanter le monde, au rythme de leurs pas.

L'expédition de Yann s’intitule “Par-delà les Caps”, ou comment une petite carte au fond d’une poche peut changer – littéralement – sa façon de voir le monde. C’est l’histoire d’un breton courageux, aux yeux bleus éponymes, ayant grandi dans une de ces forêts magiques de l’enfance où seul l’écho de la cloche de la maison le ramenait à table, capable tout petit mais déjà libre d’aller y coucher seul à la belle étoile. Déterminé donc, mais aussi émerveillé, écoutant un père lui demander les 7 nuances du ciel, ou de dessiner un coucher de soleil en couleur, avec un seul crayon gris. Un père ancien commando de marine, et capable de lui montrer toutes les nuances du monde.

Et avec ces deux choses-là, la forêt comme une maison et les 7 couleurs du ciel au bout d’un crayon mine, on a tout compris, ou presque, de ce qui fait marcher Yann.

 

lepetitjournal.com/dubai : Beyond the Capes, Par-delà les Caps, dites-nous, qu’est-ce que cela signifie ?

Yann : Une idée qui m’est venue en repliant une carte dans ma poche ! J’ai toujours rêvé d’aventure, depuis les projets grandiloquents de l’adolescence avec mon frère où nous nous imaginions traverser l’Afrique “en pirates”, en passant par mes années au sein des forces spéciales de l’armée française où j’apprends avidement tout ce que je peux…. Mais le rêve ne me quitte pas. J’imprime cette petite carte plastifiée, je la garde avec moi, et je cherche : est-ce que vraiment il n’y a plus de mystère, plus d’aventure, plus rien à explorer dans le monde ? Mon idole c’est Karl Bushby, qui depuis 1998 veut relier à pied Punta Arenas au bout de l’Amérique du Sud à Hull, en Angleterre, sa maison d’origine. Après plus de 20 ans et d’innombrables arrêts et difficultés il n’est pas encore arrivé : une vie entière en marche… Je ne renonce pas à mon rêve, c’est presque une quête : et un jour par hasard je replie la carte différemment et au lieu de voir les continents séparés par l’Océan Atlantique, je vois les Amériques et l’Europe liées par le Détroit de Béring. Et c’est le déclic :

je “vois” mon expédition se dessiner sous mes yeux, je vais relier un Cap à l’autre, faire le tour du monde … et je vais le faire en solitaire, et sans moteur ! Pourquoi ? Parce que personne ne l’a encore fait, et parce que je veux voir le monde autrement.

Une telle expédition, c’est se lancer aussi dans « une vie en marche » non ? comment se prépare-t-on ?

On se prépare énormément ! Quand j’ai pris ma décision, je suis en train de faire un stage de l’armée pour devenir Moniteur Commando, je travaille mon itinéraire tous les soirs, et je sors du stage Major de Promotion. Je n’arrive pas à y croire, et je suis épuisé et abîmé par l’effort intense, je me pose juste assez pour avoir l’élan de l’annoncer : ça y est, j’ai décroché ce titre pour lequel j’ai fait tous les efforts possibles, et ça y est je pars !

 

Yann
Yann avec le Consul de France aux Emirats, Jean-Christophe Paris

 

Une fois que les mots sont dits, on ne peut plus revenir en arrière ?

Oui, c’est bien ça. Le 3 janvier 2022, je me lance depuis le cap des Aiguilles en Afrique du Sud, avec un vélo de 14 kilos, plus 46 kilos de matériel. Ce début d’aventure, comme plus tard l’expérience du désert, c’est un choc physique et mental qui me met à nu : à la fois physiquement, car la charge du vélo pèse beaucoup trop lourd, et je vais me délester comme le petit poucet de tout ce que je peux ! Et mentalement, même si je suis préparé à ce « coup de blues » de l’explorateur en solo, je me retrouve sous l’eau, ou plus exactement sous un pont, découragé, les larmes aux yeux, prêt à tout laisser tomber.

 

Vous n’abandonnez pas, pourquoi ?

J’appelle mon frère, qui a ces mots qui me sont restés, et auxquels je pense souvent « tu ne dois rien à personne, profite : fais-la comme tu peux ton aventure, pas comme tu dois ». Cela me libère d’un poids énorme, et cette fois-ci c’est parti pour de bon, avec la certitude que je peux le faire, et l’envie de respecter rigoureusement la seule règle que je me suis imposée : zéro carbone et sans moteur pour le respect de l'environnement bien sûr, le dépassement de soi, le concept du slow travel, etc. Mais surtout et avant tout car un jour j'ai compris que j'avais en moi la chance immense d’avoir la capacité physique, les connaissances théoriques et pratiques de survie et d’autosuffisance en solitaire, et l’envie ! Si je ne le faisais pas, ce serait injuste pour ceux qui ont l'envie mais qui ne peuvent pas ou plus : j’aurais gâché ma chance en quelque sorte… À mes yeux ce n'est même pas un choix arbitraire, c'est un devoir en tant qu'humain qui a la chance de pouvoir le faire, à ma petite échelle, c’est une sorte de mission…

 

Et c’est parti pour déjà 13.000 kilomètres de la pointe d’Afrique du Sud jusqu’à Dubaï : à vélo à travers toute l’Afrique, en Kayak dans la mer Rouge, à pied avec Rouhoul votre fidèle dromadaire à travers les montagnes de la Saoudie et le terrible désert du Rub al Khalil : à lire l’itinéraire on a peine à croire qu’il soit faisable, et comment vous y avez survécu, avec le sourire !

Oui je traverse des pays en paix, des pays faussement en paix, des pays en guerre, des pays ravagés par le terrorisme et la guérilla… et vraiment ce qui ressort de tout cela, c’est ce qui nous lie tous en tant qu’humains. Malgré des aventures dont je me serais bien passé, des guet-apens de pirates de la route qui me tendent une corde devant le vélo, des milices armées à déjouer, des blessures, devoir me recoudre moi-même, m’échapper de justesse au Malawi parce-que j’avais campé sans le savoir dans un cimetière et qu’on m’a pris pour un fantôme (véridique !) … Malgré tout cela, j’en suis chaque fois encore plus convaincu, d’abord il ne faut pas croire les « on-dit »: les pires a priori sont toujours démentis par une seule rencontre, un seul acte de gentillesse, et j’en ai vécu tellement ! Et ce partout : même au milieu des passages les plus durs, il y avait toujours un ami inattendu, et quelqu’un pour m’aider, m’offrir – en ayant très peu - à manger, un endroit où dormir.

 

Finalement encore plus qu’une mission écologique ou humaine – avoir le courage d’entreprendre simplement parce qu’on la chance de pouvoir le faire - c’est aussi une sorte de preuve par l’expérience que l’homme est fondamentalement bon, comme de retracer le chemin d’un Candide contemporain, dépourvu de naïveté mais plein d’audace ?

L’audace c’est la vie. C’est quelque chose qu’il est difficile de transmettre quand on ne le vit pas. Comme je l’ai dit j’ai traversé des zones qui sont signalées comme vraiment dangereuses. On ne va pas se mentir, il y a des moments où j’avais le sentiment de traverser l’enfer à pied, au sens propre : on est à la merci de groupes armés sans autre logique que le racket, et oui, on touche à ce qu’est l’enfer. Mais, et c’est toute la force de l’humain : de tout cela, émerge la conviction profonde que le pire sur terre ne vient pas des individus, mais des pouvoirs en place. Non seulement comme je l’ai dit parce qu’à chaque fois j’ai aussi, même au plus sombre de ces enfers, croisé des gens qui eux étaient là pour me sauver la peau, pour m’aider à avancer, mais aussi parce qu’en traversant les pays les uns après les autres, on voit et on ressent comme une intime conviction, que les humains se ressemblent tous, sont tous égaux, et n’aspirent tous qu’à la paix. Si on ne retient qu’une chose de mon périple, au-delà des aventures, j’aimerais que ce soit ça.

 

Il nous manque un peu de temps et de place pour raconter l’incroyable chapelet des rencontres que vous avez pu vivre tout au long de ce périple, mais si l’on parle des heures sombres il faut aussi parler des merveilles : vos plus beaux souvenirs ?

Ah il y en a tellement ! Ce type qui m’a invité chez lui à Djibouti après que je lui ai dit que je ne voulais pas de son « hôtel pour les blancs », et avec qui j’ai partagé un super repas, mon « frère de vélo » un marocain incroyable rencontré sur les pas de Rimbaud sans qui je n’aurais pas pu braver les dangers de l’Éthiopie, et partout : des paysages à couper le souffle, des moments invraisemblables comme de voir « pour de vrai » une île que la Nasa a vu naître à peine quelques mois plus tôt sur leurs images satellites…Ou cet îlot de sable au milieu de rien près du détroit de Bab el Mandeb où je me pose avec mon kayak entouré d’une portée de bébés requins, frôlé par leur mère qui se précipite pour les protéger dans le bas fond en faisant tourbillonner l’eau avec la force d’une turbine…Et puis les loups d’Arabie : la rencontre d’une vie, sur le col des montagnes de l’Asir. Et bien sûr Rouhoul, devenu bien plus qu’un dromadaire, un ami que j’ai sauvé, retapé, soigné, apprivoisé, perdu, retrouvé, avec qui j’ai vraiment tissé des liens, un animal incroyable, courageux, drôle, unique, et qui m’a appris autant qu’il m’a soutenu, et tellement fait rire avec ses grimaces et ses bêtises… un ami pour la vie !

 

Par-delà les Caps, c’est déjà des heures entières de film et de photos, des carnets remplis d’aventures et de dessins magnifiques, et la liste des pays traversés qui doucement s’allonge :

Afrique du Sud, Botswana, Zimbabwe, Zambie, Malawi, Tanzanie, Kenya, Éthiopie, Djibouti, la mer Rouge, Arabie Saoudite, et les Émirats Arabes Unis !

Bientôt :

Oman, Pakistan, Chine, Mongolie, Russie, Alaska, Canada, États-Unis, Mexique…puis tous les pays d'Amérique du Sud jusqu'au Cap Horn !

 

Si vous avez des contacts, des amis, des écoles, des associations qui peuvent l’aider en chemin en cas de besoin, ou qui simplement ont envie de le saluer au passage dans les pays vers lesquels il se dirige, n’hésitez pas à lui écrire !

 

Et si vous souhaitez le soutenir – car il est 100% auto-financé ! - c’est à travers une association et c’est ici, même les petits dons comptent !

Yann a aussi écrit et illustré un livre pour enfant qui retrace les aventures de Rouhoul son dromadaire, vous pouvez lui signaler votre intérêt et il s’occupera de la réimpression à son retour.

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.