Marc-Antoine, ou « Marco » comme ses amis l’appellent, c’est la belle histoire de l’expatriation réussie, la réussite du coeur, pas juste des paillettes et de la poudre aux yeux avec un salaire plaqué or, mais au contraire une histoire humaine : celle d’un terrien curieux, avec l’esprit grand ouvert, du coeur à l’ouvrage et surtout l’envie d’apprendre et de vivre de ses passions, et de les partager. Alors bien entendu cela ne se fait pas sans traverser les tribulations avec souplesse, humilité et patience, des qualités qu’il met en œuvre dans ses plongées, ses traversées du désert et la pratique d’un art ancien: l’affûtage des lames et couteaux, enseigné par le seul Maître affûteur de France. En cette période trouble et difficile, écouter quelqu’un capable de se réinventer professionnellement dans la joie, c’est un secret qu’on a très envie de partager !
Lepetitjournal.com/dubai : Vous faites partie des anciens de Dubaï, et vous avez paraît-il beaucoup de cordes à votre arc : comment êtes-vous arrivé ici et pourquoi?
Marc-Antoine Abadie : Je suis arrivé à Dubaï il y a 17 ans, et quand on me demande si les choses ont beaucoup changé depuis, je raconte toujours cette anecdote : le Burj al Arab était en dehors de la ville, oui complètement en dehors, au point qu’on se demandait pourquoi l’avoir construit aussi loin… cela donne une bonne image, je trouve, des “petits changements” survenus en presque 20 ans (rires). Je suis arrivé en tant qu’employé d’un grand groupe, recruté comme agent en horlogerie et joaillerie de luxe, je travaille environ 10 ans dans le milieu puis il y a un rachat et ça se passe mal…
Un revirement de situation comme il peut y en avoir souvent dans une expatriation, comment réagissez-vous, vous êtes tenté de repartir?
Alors oui ce n’est pas un moment agréable, des promesses sont faites et pas du tout honorées, on est secoué forcément… mais à l’époque j’ai 45 ans, je réfléchis, je considère que statistiquement je suis à la moitié de ma vie et qu’il est temps de prendre une décision : je veux passer la seconde moitié à vivre de mes passions.
Vous avez la chance d’avoir cultivé une vie en dehors du travail, vers quoi allez-vous vous tourner : changer de carrière à 45 ans passés ce n’est pas évident?
Depuis longtemps je pratique la plongée avec passion (je suis instructeur diplômé) et le 4x4, la conduite. J’ai commencé au Panama où j’ai vécu quelques temps, je faisais partie du Land Rover Club, j’ai beaucoup appris, beaucoup circulé, et mon plaisir était de “montrer le Panama aux panaméens”, car là-bas - comme ici d’ailleurs - les résidents sont souvent tout à fait ignorants de la beauté qui les entoure, ils vivent entre ville et plage et ne s’aventurent pas à l’intérieur du pays… Tout comme ici : il y a beaucoup de résidents qui sont intimidés par le désert et pensent même après de nombreuses années que Dubaï se résume à des barres d’immeubles et des plages (sourire). Un détail amusant, au Panama je suis devenu le guide favori de la “tribu” des birdwatchers, ces personnes qui se passionnent pour l’observation des oiseaux, c’est un sport, un hobby très codifié avec ses championnats même ! Bref : ils ont souvent besoin de se rendre dans des endroits très précis et souvent plutôt difficiles d’accès, donc ils faisaient appel à moi pour parvenir jusqu’à ce petit coin de jungle où nichait l’oiseau précieux qui manquait à leur collection… attention, ils ne chassent pas bien sûr : que de l’observation, mais ce sont des passionnés eux aussi… et comme tous les passionnés, rien ne les arrête (rires).
Donc lorsque vous perdez votre travail vous vous lancez d’abord comme instructeur de plongée et avec la passion du 4x4 qu’est-ce que vous organisez?
Oui je travaille tout de suite en tant qu’instructeur - et je continue de le faire d’ailleurs. Le 4x4 c’est autre chose. Mon père, m’a transmis une éthique de vie simple que j’ai toujours appliquée, par exemple une de ses phrases était “ si tu ne sais pas faire, tu ne fais pas, mais tu apprends”… Alors j’ai d’abord appris : on ne conduit pas dans la jungle comme dans le désert, le terrain change tout! Donc je cherche quelqu’un capable de me former, et je le trouve dans la personne de Peter Gladstone qui va me “présenter” le désert.
Vous en parlez comme d’une entité, d’un monde à part?
Ah oui, le désert c’est absolument un élément à part entière, au même titre que l’océan ou la haute montagne par exemple. Le désert donne le meilleur : l’immensité, le silence, les rencontres improbables, la beauté, mais aussi le pire : il peut être redoutable, sans pitié. Il faut le respecter. Si on fait preuve d’humilité, alors le désert donne tout, et on s’y sent tout petit… comme le Petit Prince (sourire)
C’est cette sensation, ce « je ne sais quoi » d’infini que vous avez envie de partager avec vos amis, et toutes les personnes au fond qui ont envie de le découvrir ?
Oui, le désert c’est vraiment le partage en fait : et le partage il se fait spontanément, pas besoin de grands discours, souvent la première sortie suffit, tous les a priori sont balayés : « il fait trop chaud, y’a trop de sable (si, si…), on voit rien, rien ne bouge »… Toutes ces idées préconçues ne tiennent pas devant la beauté du désert, c’est tout le contraire en fait : le désert est plein de vie, faune, flore, il est vivant, il est en mouvement perpétuel. D’ailleurs on dit qu’on y navigue, comme en mer, non sans raison : tout bouge sous le vent, rien n’est permanent. Impossible d’y rester indiffèrent. Après, je n’ai pas non plus la capacité ni l’envie de convaincre l’impossible : il y a aussi des gens qui trouveront la mer trop mouillée, et la forêt trop sombre et la neige trop froide, trop molle (rires)… évidemment, parti comme ça, le désert aura trop de sable (rires), mais franchement : c’est rare !
Votre plus beau souvenir du désert, la plus belle image ?
J’en ai mille, mais un de ces levers de soleil rarissimes, à Liwa, où les dunes noyées de brumes qui flottaient au ras du sol, ne laissaient voir que leurs pics, émergeant d’une mer de nuages. On se serait cru sur le toit du monde en très haute montagne. Une image irréelle.
La plongée, le désert, deux mondes infinis, silencieux, méditatifs… finalement votre métier d’affûteur ne m’étonne plus tant que cela, c’est aussi une pratique lente, solitaire, la recherche du geste parfait ?
C’est aussi un héritage de mon père… c’est de lui que me vient ça, la patience, la justesse, le fait de réparer, savoir se remettre à l’ouvrage, ne pas laisser les choses se dégrader inutilement : une montre doit donner l’heure juste et toi tu dois être juste à l’heure, un couteau ça doit couper, parfaitement, si ça ne coupe plus, il faut l’affûter… Donc je grandis entre d’un côté ma mère qui adorait cuisiner, et de l’autre mon père qui lui aiguisait ses couteaux. Pour moi c’est devenu une seconde nature : si je prends un couteau en main, il faut qu’il coupe !
Pour pratiquer l’art il faut se former, comment faites-vous depuis Dubaï ?
Alors c’est un peu un hasard, au même moment où je perdais mon travail, ma femme qui travaille dans le domaine de l’alimentaire, la restauration de luxe, est souvent en contact avec des grands chefs. Un jour elle arrive à un rendez-vous avec un doigt enturbanné d’un beau pansement. Le chef (sans doute un habitué des blessures sur les mains, comme tous les cuisinier) lui demande comment elle s’est coupée, et elle lui explique que la veille elle a cuisiné en utilisant un couteau que j’avais aiguisé, et ne le sachant pas elle y est allée un peu fort et s’est coupée… eh oui, quand ça coupe, ça coupe (rires). Bon, ce n’était pas une grosse coupure, sinon je n’en rirais pas autant. Bref : l’anecdote a piqué sa curiosité, il lui confirme une grosse demande, un besoin important du côté des chefs justement pour des services d’affûteurs professionnels. Je décide alors de me former sérieusement et de transformer cette autre passion en métier : je vais donc faire mon apprentissage auprès du seul Maître Affûteur de France, au sein de l’école nationale d’affûtage. J’apprends à affûter toutes les lames, parfois oui, on touche au geste d’art : j’ai pu passer presque deux jours sur une lame japonaise… Puis je rentre à Dubaï, j’obtiens ma « Trade Licence knives and scissors sharpening » et je m’entraîne près de six mois en solitaire pour m’équiper, parfaire mes gestes, mes outils… J’ai tout un éventail de meules en pierres, diamant… la seule entorse à la tradition est qu’elles sont électriques, il fait trop chaud ici pour pédaler (rires) ! Donc, oui je pratique l’affûtage à domicile : j’ai eu des grands hôtels devenus clients fidèles (comme le Shangri La), mais aussi des gens du métier, comme Butcher Shop, Organic Foods and Café…
Vous servez aussi les particuliers ?
Oui, d’ailleurs la pandémie m’a apporté beaucoup de clients privés, du fait que le confinement nous a tous poussé à cuisiner beaucoup plus que d’habitude, et peut être à se donner plus de mal en cuisine… c’est l’occasion de « faire les choses bien » et de faire aiguiser ses couteaux, car on reconnaît le bon ouvrier à ses outils, non ?! (rires)
Pour contacter Marco c’est simple tout peut se faire via son portable au +971 50 644 00 19
Plongée vous pouvez contacter aussi Freestyle Divers auprès de qui il travaille comme instructeur info@freestyledivers.me
Les réservations ouvertes dès maintenant et pour tout l’été, pensez-y c’est une des rares activités de plein air praticables et merveilleuses même lors des grosses chaleurs.
Affûtage vous pouvez aussi passer par cet email staysharpuae@gmail.com