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Le journal du rédacteur, premières prises de contact

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Portrait inachevé de Søren Kierkegaard
Écrit par Clément Renisio
Publié le 14 novembre 2020, mis à jour le 10 novembre 2021

Nous retrouvons Clément dans son carnet de bord semi fictif d’un Français au pays du grand Søren. Aujourd'hui, premier feuillet, les premières rencontres. 

 


Aalborg, le 4 septembre deux-mille dix,

 

C’est avec une certaine exaltation que je saisis mon nouveau téléphone mobile. Rien à voir avec l’objet en lui-même, qui ne suscite à vrai dire pas grand chose. Il s’agit d’un modèle d’entrée de gamme suranné, sans aucune fonction notoire et à carte prépayée. Je l’ai déniché au fin fond du rayon technique chez Aldi qui m’en a demandé quelques centaines de couronnes. Cet outil couvrira mes besoins en matière de communications locales.

Non, l’objet de mon enthousiasme est ailleurs. Je m’apprête à contacter Nicolai, un futur condisciple de Master, avec lequel j’ai brièvement échangé et sympathisé lors de la séance introductive au programme, voici trois jours. Le garçon est danois, régional de l’étape même, puisqu’il a grandi sur les bords du Limfjorden, et a effectué la première partie de ses études à l’université d’Aalborg, en sciences politiques si j’ai bien compris.

Volubile et affable, Nicolai s’est immédiatement montré enclin à l’échange. Fumeur allègre et pourvoyeur de cigarettes prolifique, il parle très bien l’anglais avec un fort accent californien qui corrèle assez peu l’environnement immédiat. Réceptif à mes premières tentatives d’humour, son visage, ses manières et sa personne inspirent douceur et gentillesse. Comme moi, il joue au badminton, et m’a déjà promis des joutes endiablées. Il sera attendu sur ce terrain.

Je l’appelle, il répond. C’est déjà bon signe. Nicolai me propose de se joindre à lui et quelques-uns de ses amis, un peu plus tard dans la soirée. Nous convenons d’une heure et d’un lieu. Il mentionne une bodega du centre-ville, où il a visiblement quelques habitudes. Les bodegas sont ces merveilleux débits de boisson danois, qui font la fierté des amateurs de mauvaise bière en bouteille, de jeu de fléchettes et du 421. Ces établissements présentent, encore de nos jours, la singularité d’être fumeurs, et ont mystérieusement survécu à l‘hygiénisme normatif d’une époque pourtant vent debout contre la cloppe et les activités ringardes.

Je suis au rendez-vous et la soirée commence. L’atmosphère enfumée et les effluves de Tuborg fixent le cadre de cette première scène, conviviale et rustique. Les amis de Nicolai sont, sans surprise, avenants et inclusifs. La conversation coule au moins aussi naturellement que la bière. Ravis de constater que nous partageons un grand nombre de centres d’intérêts, dans de multiples domaines, Nicolai et moi spéculons déjà sur de futures collaborations académiques. Nous prolongeons agréablement la soirée dans une flopée d ́établissements du centre ville, visitant même un bar à tapas de qualité, et enchaînant par une incursion au club de bowling de Nis, meilleur ami attitré de Nicolai. Plus aucun doute n’est permis. Mes jeunes camarades du Nord Jutland savent s’amuser.

Tout encore à mon lancé de boule en vue d’un ultime jet victorieux, le groupe se décide subitement à prendre la direction de ce qu’ils nomment en cœur « Gade », « la rue ». Je pose mon projectile et nous partons d’un pas décidé. Cette petite rue pittoresque et étroite aux façades pastelle multicolores du centre-ville d’Alborg, littéralement constellée de bars, est charmante en phase diurne. Jomfru Ane Gade ou la rue de la vierge Anne, évoque toutefois assez peu l’idée que je me fais de la virginité ou de l’abstinence, une fois la nuit tombée. Véritable axe de la soif bruyant et vulgaire pris d’assaut par les étudiants agglutinés, sorte de mini Reeperbahn jutlandais, les maisons closes en moins, je prends immédiatement le lieu en horreur.

Trois cents cinquante mètre de long sur cinq de large, aucune voie de traverse pour s’échapper en courant, la foule compacte, l’alcool, la mauvaise techno... Bars, pistes de dance, terrasses... Les corps se rapprochent, la tête me tourne. Notre groupe s’étiole progressivement dans le vacarme et la torpeur des lieux. Je constate à travers la brume moite du dernier bouiboui où mes pieds m’ont porté, que l’unité est totalement dissoute, les camarades introuvables. Finalement et contre toute attente, Nicolai surgit des limbes, me prend par le bras et m’exfiltre vers la sortie. S’ensuit l’échange reconstitué tant bien que mal par mon esprit embué le lendemain après-midi :

 

- Mais, où sont passés tes amis ?
- Je les ai tous perdus de vue, je crois qu’ils sont partis !
- Ils ont disparu dans la nature, sans nous dire au revoir ? C’est étrange, non ? - Ne t’en fais pas, les gens d’ici font toujours ça quand ils sont bourrés !

- Ah bon... C’est une pratique locale ? Dans mon pays, ce serait mal vu !
- Oui, c’est incompréhensible ! Allez, viens, on va boire un dernier verre ! Cigarette ?

 

 

 

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