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La chasse aux nuages noctulescents en Scandinavie est ouverte!

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Développement de NLCs au-dessus de Nyhavn, Copenhague, 21 Juin 2019 - Photographie Eddy Métais
Écrit par Elisabeth Tinseau
Publié le 13 juillet 2020, mis à jour le 20 juillet 2020

La chasse aux nuages noctulescents en Scandinavie (et à Copenhague) est ouverte !

Entretien avec Eddy METAIS et Adrien MAUDUIT

 

Les pays scandinaves font rêver, entre autres, pour l’observation des célèbres aurores boréales entre septembre et avril. Mais un autre phénomène, se produisant aux mêmes altitudes, prend place ensuite, pouvant procurer également de très beaux spectacles : le développement de nuages noctulescents (NLCs).

Eddy Métais est géologue travaillant à Copenhague, mais aussi passionné d'astronomie et de photographie des phénomènes naturels extraordinaires (éclipses de soleil, aurores boréales…). Il se passionne aujourd´hui pour les nuages noctulescents.

Adrien Mauduit est photographe professionnel et guide à l´Observatoire des Aurores Boréales (Aurora Borealis Observatory) sur l´île de Senja en Norvège. Spécialiste de renommée mondiale dans la photographie de ciels nocturnes, chasseur d´aurores et de voie lactée, il a travaillé cinq années au Danemark et collabore encore actuellement avec le projet PoSSUM, supporté financièrement en partie par la NASA, aux USA. Ce projet scientifique à but non lucratif vise avant tout à faire avancer la science de la mésosphère grâce à plusieurs sujets de recherche spatiale. En 2017 par exemple, Adrien a assisté à une campagne de formation des astronautes à la modélisation 3D des nuages noctulescents au Canada en Alberta.

Ils nous livrent tous les deux leurs connaissances et expérience pour ne rien manquer d´un spectacle nocturne éblouissant, mais pourtant méconnu, actuellement à l´affiche dans le ciel danois jusqu´au mois d´août : les nuages noctulescents (NLCs).

 

 

LPJ : Que sont les NLCs ?

Eddy METAIS et Adrien MAUDUIT : les nuages noctulescents, aussi appelés noctiluques (Noctilucent clouds en anglais ou NLC) sont des nuages formés de particules de glace qui cristallisent dans la haute atmosphère (mésosphère), à environ 85km d’altitude, à la limite de l’espace donc ! Ces nuages se développent autour des pôles, aux latitudes comprises, en général, entre 45 et 60 degrés (c’est-à-dire du Nord de la France au Centre de la Norvège).

Le terme « noctulescent » signifie « qui brille dans la nuit » en racines latines. En effet, ces nuages n’apparaissent qu’après le coucher du soleil, alors que le soleil, descendu sous l’horizon, éclaire uniquement la haute atmosphère, et illumine ainsi des nuages de haute altitude qui peuvent s’y être formés. Ces nuages apparaissent alors blancs, brillants, voire même presque fluorescents !

Ils sont donc très différents des nuages de vapeur d’eau que nous voyons tous les jours, dont les plus hauts, les cirrus, évoluent à 11km au maximum.

 

LPJ : Que sait-on de ces nuages, comment sont-ils étudiés, et pourquoi le sont-ils ?

Eddy METAIS : Ces nuages noctulescents sont encore mystérieux et représentent un phénomène encore mal compris, notamment au sujet des conditions de leur formation et de leur maintien. Ils font l’objet de plusieurs projets de recherche scientifique, dont certains supportés en partie par la NASA (projet PoSSUM - https://projectpossum.org) auquel a participé Adrien. Je le laisse donc vous expliquer ce que l’on sait de ces nuages d’un point de vue scientifique.

Adrien MAUDUIT: Les nuages noctulescents apparaissent dans des conditions très particulières. Bizarrement, ils ne peuvent apparaître que l’été lorsque les températures de la mésosphère sont inversement proportionnelles à celles de la troposphère en dessous. C’est uniquement lorsque le mercure descend en dessous des -120 degrés Celsius que la vapeur d’eau- qui est par ailleurs extrêmement rare dans la mésosphère- peut s’agréger autours de grains de poussière météoritique minuscules et former des particules de glace par nucléation. 

La mésosphère est un véritable no mans land pour les hommes. C’est une zone de l’atmosphère qui est trop haute pour que les ballons de sonde la traversent et trop basse pour que les satellites puissent l’échantillonner. On ne peut donc l’étudier qu’à distance pour le moment. Le but ultime du Projet PoSSUM est d’ailleurs d’envoyer les premiers hommes en sub-orbite pour sonder les NLCs ! Comme Eddy l’a suggéré plus haut, les noctiluques ont encore leur grande part de mystère. Beaucoup d’études sont menées actuellement pour en connaître plus sur la formation des NLCs et de leurs ingrédients. En effet, certains scientifiques spéculent sur la possible origine anthropogénique de l’augmentation de la vapeur d’eau dans la mésosphère, étroitement liée à des réactions chimiques demandant du méthane et du dioxyde de carbone. Ce lien, encore à l’état de théorie, a récemment été corroboré par une augmentation du nombre d’observations des nuages par la population dans la dernière décennie. Les NLCs semblent non seulement être de plus en plus brillants et précoces chaque année, mais ils apparaitraient à des latitudes de plus en plus basses.

Les scientifiques qui spéculent sur le lien entre changement climatique et l’apparition des NLCs pensent ainsi que les nuages représenteraient notre unique chance de visualiser en direct ces changements dans la haute atmosphère. Si on en croit cette théorie, les noctiluques seraient alors d’excellents indicateurs visuels du changement climatique, les gaz étant invisibles.

 

 

LPJ : Adrien, vous avez donc collaboré au projet PoSSUM. Quel était votre rôle et comment avez-vous vécu cette expérience incroyable ?

Adrien MAUDUIT : Je suis responsable de la communication des différents projets scientifiques, tant au niveau de nos partenaires qu’au niveau du public. Je travaille également en tant que photographe, vidéographe et coordinateur réseaux sociaux. Par ailleurs, j’ai assisté et collaboré à plusieurs campagnes scientifiques de terrain au Canada et aux États-Unis. Par exemple, j’ai volé en apesanteur afin d’aider nos candidats astronautes lors des manœuvres de bord qu’ils auront à reproduire lors des vrais vols paraboliques dans la mésosphère. J’ai aussi eu la chance de participer à des campagnes de vol dans les Hawks de l’armée Canadienne, dans lesquelles mes propres appareils photo ont été utilisés pour démontrer un système de détection des structures fines des NLCs, tout en volant à 15km d’altitude. Enfin, j’ai assisté à de multiples reprises aux exercices intra et extravéhiculaires de nos astronautes en formation pour tester les équipements spatiaux (combinaisons spéciales) et les performances humaines pour des vols de sub-orbite.

C’est vraiment une expérience exceptionnelle de pouvoir assister à tous ces tests qui sont loin d’être du tourisme spatial, mais qui sont toujours effectués dans un esprit de quête scientifique et d’intégration internationale. J’ai eu l’occasion de rencontrer des astronautes de la NASA en personne et je travaille quotidiennement avec des professionnels et amateurs qui viennent des quatre coins du monde !

 

NLC au-dessus des Lacs Sortedams, Copenhague, 14 Juin 2019, Photographie Eddy Metais

 

LPJ : Pourquoi le Danemark est un lieu où l´on peut observer ce phénomène ?

Eddy METAIS : le Danemark, situe aux environs de 55 degrés de latitude, est un lieu privilégié pour l’observation terrestre des NLCs. Adrien a été l’un des premiers à les photographier et filmer au Danemark.

Adrien MAUDUIT : Le climat plus sec et ensoleillé du Danemark au printemps et en été, plus sa position latitudinale, en font un des meilleurs endroits sur terre pour l’observation des NLCs. J’ai commencé à m’intéresser aux phénomènes célestes et à la photographie nocturne en 2014 lorsque j’étais enseignant dans un lycée de la province du Sjælland, à 55km au nord-ouest de Copenhague. D’abord, les aurores boréales et la voie lactée remplissaient mes cartes mémoire. Puis, en passant beaucoup de temps sur le terrain, j’ai découvert par hasard tant d’autres phénomènes comme l’airglow ou encore ces fameux nuages électriques des nuits claires de l’été danois dont tous les amateurs du coin parlaient. Comme beaucoup, j’ai commencé par prendre des photos grand angle. Puis, au fur et à mesure des nuits d’observation, je me suis intéressé aux microstructures magnifiques que les nuages développent. Pour les capturer, je me suis doté d’objectifs zoom et j’ai développé une technique propre à mes appareils. Les résultats en photo et timelapses que je postais sur mes profils sociaux étaient intriguant et époustouflant à la fois ! Si bien qu’un beau jour j’ai reçu un message impromptu du président du Projet PoSSUM me disant qu’il n’avait jamais vu de telles prises de vues aussi détaillées et vives. J’étais loin de me douter qu’il me proposerait de collaborer avec le projet PoSSUM et de participer aux opérations spatiales prévues pour la saison suivante !

 

LPJ : L’année 2019 a-t-elle été riche en NLC ?

Eddy METAIS : L’année dernière fut une année exceptionnellement riche en Europe et la saison 2020 s’annonce prometteuse avec l’apparition des premiers nuages très tôt, dès le 20 mai. La nuit du 21 au 22 juin 2019 restera dans les annales et les mémoires de tous les chasseurs de NLCs. Un développement exceptionnel de nuages a fait son apparition dans le ciel de l’Europe de l’Ouest, et des nuages furent visibles même jusque Paris. Apparus dès 22h30, ils ont envahi le ciel danois, offrant un spectacle superbe à tous les passants.

 

NLCs au-dessus de Copenhague, 21 Juin 2019, Photographie Eddy Metais

 

Les gens qui ne connaissaient pas ces nuages ont pu réaliser à quel point quelque chose d’exceptionnel était en train de se produire. J’ai eu beaucoup d’échanges et discussions passionnantes avec les touristes cette nuit-là.

 

 

Le port de Nyhavn illuminé par les NLCs, 21 Juin 2019, Photographie Eddy Metais

 

LPJ : Quels sont vos conseils pour les observer à Copenhague ?

Eddy METAIS : Si vous souhaitez à votre tour, chasser et observer ces nuages à Copenhague, voici quelques informations pratiques !

Préparez-vous à moins dormir ! Il faut savoir que ces nuages sont généralement visibles au minimum environ une heure après le coucher du soleil, soit après 22h30/23h. Mais ils peuvent apparaitre subitement plus tard, comme ce fut le cas récemment la nuit du 25 au 26 Mai 2020, ou de beaux nuages ne se sont développés qu’à une heure du matin. J’étais pourtant à la chasse ce soir-là, mais de retour à mon domicile à minuit trente je les ai tout simplement ratés !!

Copenhague a l’avantage de présenter de grands espaces ouverts. Il faut avoir une vue dégagée entre le Nord-Ouest et Nord Est, le plus bas possible au-dessus de l’horizon, c’est-à-dire 10-15 deg au cas où ces nuages seraient éloignés. En cas de développement important, ce qui reste rare néanmoins, ils peuvent être visibles même au zénith comme ce fut le cas en Juin 2019.  

Ces nuages sont visibles lorsque le ciel est dégagé de nuages de basse altitude ! Il faut donc traquer le ciel bleu pour voir des nuages Noctulescents, ce qui peut paraitre contradictoire ! Un beau ciel bleu lors du coucher de soleil peut laisser place à de superbes NLCs une heure plus tard. L’apparition des nuages visibles sur la webcam de la ville de Flensburg, ci-dessous est particulièrement impressionnante. Ils commencèrent à être visibles à 22h30, alors qu’une heure plus tôt le ciel était bleu et limpide !

Rétrospective du développement de NLCs au dessus de la ville de Flensburg, le 21 Juin 2019

 

Leur développement est imprévisible. Une nuit peut être fructueuse et les suivantes ne presenter aucun NLC ! Il faut donc être tenace, surveiller le ciel le plus possible.

 

Adrien MAUDUIT : Comme Eddy en témoigne, les NLCs sont très difficile à prédire. Le mieux reste encore de se connecter à internet pour suivre les différentes webcams mises à disposition du grand public (exemple en Allemagne du Nord : https://www.iap-kborn.de/index.php?id=1742). Une des possibilités est aussi de rejoindre notre groupe d’alertes en Anglais ‘Noctilucent Clouds around the World’ sur Facebook ou ‘NLC alerts’ sur Twitter. D’autres forums et sites sont disponibles mais il leur est souvent difficile de fournir des informations en temps réel. 

La capture des noctiluques grâce à un appareil photo n’est souvent pas aussi difficile que la photo de nuit ordinaire. Cependant, il vous faut tout de même observer certaines règles afin de faire des photos de qualité. Comme les prises de vues se feront la plupart du temps en situation de crépuscule clair et profond, il faudra vous munir d’un trépied pour éviter les photos floues. Penser à régler votre appareil en mode retardateur pour ne pas introduire de vibration lors du déclenchement. L’objectif de prédilection est le grand angle lumineux. La plupart du temps, les NLCs sont assez étendus dans le ciel, donc optez pour une focale entre 14 et 35mm. Les NLCs ne se déplacent pas aussi vite que les aurores par exemple, donc les réglages de votre temps d’exposition peuvent être assez souples. Vous pouvez généralement faire des poses entre 1 et 10 secondes sans problème de flouté. La luminosité du ciel est souvent sombre mais pas totalement noire non plus. Ainsi, vous pouvez typiquement ajuster votre ISO entre 100 et 800 pour ne pas créer trop de bruit. Utilisez l’ouverture la plus grande de votre objectif en sachant que les objectifs avec une ouverture maximale en dessous de f/2.8 sont plus adéquats. Pensez à vérifier que votre cliché soit net (mise au point à l’infini), pas sous-exposé ou surexposé en utilisant l’histogramme de répartition de la lumière.

Un grand angle permettra de bien saisir l’étendue de ces nuages alors qu’une prise de vue au téléobjectif, 200 ou 300mm peut également être intéressante quand ils sont peu étendus au dessus de l’horizon ou pour de capturer des « microstructures » très esthétiques de ces nuages, des vaguelettes, des filaments, etc… Chaque forme présente d’ailleurs un nom propre pour les scientifiques et est étudiée en détail.

Il est également possible de capturer l’évolution des nuages noctulescents par la prise d’une série successive d’images qui sont ensuite regroupée en un film timelapse. Les timelapses de grand angle ont généralement des intervalles longs pour montrer le déplacement à grande échelle. Lorsque l’on utilise des focales plus longues, on réduit les intervalles pour éviter que les nuages ne défilent trop vite sur l’écran. Ces dernières sont plus dures à réaliser mais elles apportent vraiment un regard nouveau et innovant sur l’aéronomie et la structure 3-D des NLCs. Elles nous aident aujourd’hui à comprendre les dynamiques en jeu dans la haute atmosphère.

Zoom sur des structures de NLCs au 236mm, 28 Juin 2019, Copenhague, Photographie Eddy Metais

 

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Zoom sur des structures de NLCs au 500mm, panorama de 4 photos, 1 Juillet 2017, High Level, AB, Canada, Photographie Adrien Mauduit

Lien vers video Nightsky Ice Ocean , Adrien Mauduit : https://www.youtube.com/watch?v=Ka2h8Xk7dUw

 

 

Nous remercions infiniment Adrien MAUDUIT et Eddy METAIS pour cet entretien passionnant, le partage de leurs connaissances et leur temps pour nous répondre.

 

Pour en savoir plus :

Adrien MAUDUIT

www.nightlightsfilms.com

https://www.facebook.com/NightLightsFilms/

https://www.instagram.com/nightlightsfilms/

 

Eddy METAIS

https://www.instagram.com/eddy_metais_photo/

https://www.facebook.com/EddyMetaisPhoto

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