"The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark" , tel est le titre complet de l'emblématique et énigmatique pièce de Shakespeare, écrite circa 1600, avec une publication en 1603.
Si l'intrigue est en partie le fruit de l'imagination du Barde, elle trouve également sa source dans la légende scandinave d'Amleth, rapportée vers les années 1200 par Saxo Grammaticus. L'histoire est très proche du Hamlet de Shakespeare, mais il reste à savoir avec certitude quel degré de connaissance ce dernier a eu de la légende.
Pour faire bref : il s'agit au départ d'une simple "revenge tragedy" - comme les affectionnait le public anglais des périodes jacobéennes et élizabethaines :
un père , s'adressant à son fils depuis l'au-delà sous l'apparence d'un spectre, lui demande de le venger du meurtre dont il a été victime, le meurtrier étant son frère, lequel s'est empressé, le cadavre encore chaud, d'épouser sa mère.... C'est Dallas !
Le génie de Shakespeare, évidemment, c'est d'en avoir fait tout autre chose.
Tout s'articule autour du personnage de Hamlet. Qui est-il exactement ? Pour venger son père, il va décider de feindre la folie. Mais cette folie est-elle vraiment feinte ? Ou plutôt, jusqu'à quel point est-elle feinte ? Hamlet fait partie de cette galerie de personnages shakespeariens qui sont hantés par une maladie toute psychiatrique : "melancholy", une sorte de tristesse auto-destructrice, un mal-être lié à un besoin constant d'introspection qui l'amèneront à se poser tout naturellement la seule question existentielle qui vaille :
"to be or not to be ?"
La pièce nous laisse avec cette interrogation fondamentale, que tout être humain peut être tenté de se poser un jour: "d'où viens-je ? où vais-je ? dans quel état j'erre ?" (pardon pour ce jeu de mots, mais après tout, les pièces de Shakespeare en sont truffées...).
Plus sérieusement: cette célèbre réplique, à elle seule, fait de Hamlet une œuvre éminemment philosophique, autant que psychanalytique. Le discours qu'elle porte est à la fois moderne et universel. Pour preuve (entre autres) : Jean-Paul Sartre aurait eu, dit-on , ce fameux vers en tête lorsqu'il écrivit " l'Être et le Néant ".
Et le Danemark dans tout cela ? Outre le fait que la source est scandinave, le choix d'Elseneur permettait à Shakespeare de placer l'intrigue dans un contexte historique de guerre: peut-être celui de la guerre nordique de Sept Ans (1563-1570) entre le Danemark et la Suède. Rappelons que le public du Théâtre du Globe était friand de récits de batailles !
Enfin, il y a cette fameuse réplique de l'acte I, prononcée non pas par Hamlet, mais par Marcellus (à la toute fin de la scène 4) :
"Something is rotten in the state of Denmark "
Le garde exprime par là, en des termes simples, le dégoût qui le prend face à un royaume corrompu où triomphent le mal et la confusion.
Dans ce seul vers se trouve concentré tout le génie de Shakespeare : une langue limpide, qui devait être comprise de son public - populaire avant tout - mais qui conduisait le spectateur de l'époque - souvent illettré - à réfléchir sur le sens et la valeur du pouvoir, fusse-t-il politique ou tout simplement humain.
C'est cela, l'universalité de l'oeuvre de Shakespeare, qu'il ne faut pas hésiter à lire ou relire, sans relâche et sans modération !