De l’adolescent qui s'ennuie en classe à la création d’un studio international d’animation qui a le vent en poupe et ne cesse de grandir, voici un beau parcours personnel et collectif, qui constitue aussi un plaidoyer en faveur de l’animation. Sun creature a accompagné FLEE de Jonas Poher Rasmussen aux Oscars, nommé dans trois catégories : meilleur film d’animation, film international et film documentaire. Un combo historique, encore jamais vu dans l’histoire de l’Académie. Pour son premier long-métrage, un coup d’essai qui se révèle un coup de maître pour ce studio franco-danois basé à Copenhague et Bordeaux.
Formé aux écoles parisiennes prestigieuses des Gobelins en cinéma d’animation et à l’ESAG Penninghen en arts graphiques, Guillaume est directeur créatif et cofondateur du studio, après être passé par de nombreux postes, d’artiste à celui de producteur exécutif. Aujourd’hui, Guillaume réalise une série Netflix, encore confidentielle.
Guillaume consent à nous dévoiler un peu les coulisses de la cérémonie des Oscars bien qu’on devine qu’il ne se laisse pas éblouir par les paillettes du succès. Il préfère se faire porte-parole de son studio et a à cœur de faire valoir le travail d’équipe. Il nous explique combien entre une image de dessin et son insertion dans un flux d’images, il y a un nombre d’étapes important, tout un travail minutieux.
La visite guidée (informelle) des locaux ouvre certains tiroirs de la création mais garde ses secrets. Car si les ingrédients du succès sont le culot, le travail de groupe, la persévérance, la foi dans l’art, tout n’est pas dit et le mystère de l’inspiration reste entier. Vous pourrez cependant vous faire une plus juste idée en allant consulter le site du studio, jolie vitrine de l’atelier créatif devenu ensuite entreprise.
Sans quelques sacs à l’effigie du film FLEE accrochés, les bureaux spacieux et agréables de Sun Creature ressembleraient presque à d’autres bureaux (ceux de B&O par exemple) si ce n’est que des figurines ornent étagères et ordinateurs ici ou là et, signature éloquente, un tableau blanc rempli de dessins vaut son pesant de cacahuètes divertissantes pour le visiteur étranger.
Dans le bureau de Guillaume, parmi les livres de la bibliothèque se trouvent un gros Livre des symboles et des ouvrages sur l’animation et le cinéma. Derrière le professionnalisme du studio on sent que l’esprit d’enfance règne encore, même si leurs projets s’adressent à toutes les tranches d’âge. Ce n’est pas le moindre de leurs mérites en effet que de contribuer à donner ses lettres de noblesse à un genre qu’on croit encore à tort trop souvent réservé aux seuls petits.
Avant de céder la parole à l’intéressé, une remarque pour finir : c’est une chose que de récupérer le succès d’un film comme FLEE ou de s’en enorgueillir après coup mais c’en est une autre que de le rendre possible en amont… Bravo donc et bon courage à Guillaume (et à ses compagnons de route) pour la suite.
Les Oscars : par rapport à ce que vous imaginiez, y a-t-il eu des surprises ?
Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre, donc nous y sommes allés curieux et évidemment très enthousiastes. Le Dolby Theater est un bel endroit mais on se rend assez vite compte qu’il s’agit d’un événement télévisuel. La soirée est très segmentée, entre courtes représentations de comédiens, de nombreuses pauses de publicité, et quelques ratés pour cette année, suffisamment médiatisés pour ne pas s’étendre dessus… Cela étant dit, c’est très excitant de pouvoir rencontrer des stars que nous admirons depuis toujours.
Il y a une part de mondanité dans les Oscars. Comment le réalisateur vit-il cela ?
Au début des festivals, ce n’était pas évident d’être exposé, mais il s’est fait à l’exercice et est très à l’aise maintenant. Il y a toute une part politique autour du film qu’il n’avait pas souhaité embrasser car à la base, c’est une histoire très personnelle. Or le film est sorti à un moment où l’Afghanistan était repris par les Talibans. Pendant le développement, les réfugiés syriens arrivaient en Europe, et maintenant l’Ukraine. On peut difficilement éviter le contexte dans lequel nous vivons, et le film fait malheureusement écho à ces réalités, toutes trop actuelles.
Il y a un sacré décalage entre la réalité de l’Ukraine et le faste d’une cérémonie comme celle des Oscars. Mais cela fait partie de la vie d’un film, et toutes les personnes y ayant contribué veulent le voir vivre, qu’il soit vu par le plus grand nombre.
Comment avez-vous commencé l’aventure de Sun Creature ?
Le studio a été créé en 2013 à Viborg par trois Danois, et les autres partenaires se sont associés au studio en 2015. Nous sommes désormais six, dont trois Danois et trois Français. Nous nous connaissons pour certains depuis notre première année en école d’animation, après s’être rencontrés au festival d’Annecy.
Nous avons dès le début travaillé sur des projets très divers, entre animation jeunesse, le long métrage FLEE et des projets publicitaires. Très vite, nous nous sommes retrouvés avec des partenaires et clients à l’international, et avons pu développer le studio grâce au talent d’artistes partout en Europe et dans le reste du monde.
Quel est l’avantage alors d’être au Danemark ?
Nous avons été fortement encouragés dans notre entreprise de créer un studio, les Danois nous ont fait confiance et il n’y avait pas de barrière due à notre manque d’expérience. Le rapport à l’international est naturel ici, ce qui n’est pas aussi évident en France. L’industrie est plutôt petite ici, tant en termes d'offres que de demande. Ces conditions nous ont poussés à chercher au-delà, et donc à casser les frontières. Nous nous considérons davantage européens que seulement danois ou français.
Pourquoi s’être implantés ici ? Parce que les danois voulaient être dans leur pays ?
Nous nous sommes retrouvés au Danemark suite à un programme européen qui s’appelle Animation Sans Frontières, grâce auquel nous avons suivi des ateliers dans quatre écoles de quatre pays différents (Allemagne, France, Hongrie, Danemark). La résidence de l’Open Workshop, attachée à l’école danoise de l’Animation Workshop, nous a accueillis pour poursuivre les projets initiés lors de cette formation. C’est là que nous nous sommes retrouvés avec nos amis danois. Il n’y avait pas de raison d’amener le projet en dehors du Danemark à ce moment-là, ça s'est simplement fait naturellement, car nous souhaitions travailler ensemble.
Aujourd’hui, Charlotte, l’une des partenaires et productrices du studio (FLEE, Ivandoe) est partie ouvrir notre nouveau studio en France, à Bordeaux. Nous sommes depuis un an officiellement une structure franco-danoise. Cela fait beaucoup de sens pour nous, et permet de travailler davantage avec les nombreux talents français, avec qui nous travaillons depuis les débuts.
Bordeaux, est-ce une annexe ?
C’est un studio au même titre que celui de Copenhague, avec environ soixante postes. Pour l’instant, le studio bordelais sert pour les productions initiées au Danemark, mais il n’est pas impossible que des projets voient le jour en France à l’avenir.
C’est sur le tas donc que vous vous êtes improvisé producteur ?
Par la force des choses, je me suis en effet retrouvé producteur exécutif sur nos projets courts pour la publicité et le jeu vidéo. Artiste de formation, j’ai donc dû apprendre à faire des budgets, des plannings, recruter des équipes… c’était nécessaire pour mettre en place nos projets, et j’ai fini par y prendre goût. Cela m’a permis de me développer et de mieux comprendre la conception d’un projet dans sa globalité, sous tous ses aspects. Aujourd’hui je ne produis plus mais cela sert toujours dans des rôles de supervision.
Dans quelle mesure la Covid a-t-elle changé la façon de travailler ?
Étant depuis le début orienté vers l’international, nous avons toujours su travailler à distance avec nos équipes, donc la covid nous a en ce sens peu impacté. Cela reste difficile d’être éclaté aux quatre coins du monde, mais nous nous sommes plutôt bien adaptés.
L’industrie, elle, n’a fait que se développer. C'était une chance pour nous, mais ce fut aussi notre plus gros challenge. Il a fallu répondre à la demande tout en gardant notre cap, et ce dans des conditions difficiles. En deux ans, nous avons doublé nos effectifs et nous sommes davantage structurés.
Comment devient-on réalisateur ?
Il n’y a pas un seul parcours, beaucoup de chemins peuvent amener au rôle de réalisateur. Dans mon cas, je viens de la direction artistique, et ai donc davantage développé mes connaissances dans le travail de l'image et de la cinématographie. Le storytelling d’un film contribue à raconter une histoire. En tant que réalisateur, j’ai une attention particulière pour l’installation des lieux, de la lumière, de la composition d’un plan et de l’atmosphère.
Se former au storyboard est un excellent moyen de développer ses qualités de narration. Mais en somme, je conseille de se créer un lexique visuel en regardant beaucoup de films. Il faut développer un goût, savoir ce qu’on aime, et savoir expliquer pourquoi. La réalisation, c’est avant tout la capacité de communiquer ses intentions, de guider une équipe et par conséquent, de prendre beaucoup de décisions.
Quels sont vos films préférés ?
J’aime beaucoup le thriller, tels que les films de James Gray, Na Hong-Jin, Michael Mann, et tant d’autres. J’aime aussi le cinéma d’aventure et l’épique, comme « Master and Commander », « The Mission », « The Lost City of Z », ou encore « Lawrence d’Arabie ».
Quel est, au pied-levé, votre (ou un de vos meilleurs) plus beau souvenir lié à Sun creature ?
La projection de la première de FLEE au festival d’Annecy, où nous avons eu droit à dix minutes de standing ovation.