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Faute de frappe !

L' épée de Barbara Cassin à l'Académie française L' épée de Barbara Cassin à l'Académie française
La lame de cette épée, pesant environ 1kilo, est en cuir percé de petits trous où l'on peut lire une phrase de Jacques Derrida: "Plus d'une langue". Capture d'écran sur Twitter
Écrit par Violaine Caminade de Schuytter
Publié le 18 mars 2022, mis à jour le 22 mars 2022

Où l’on fait – toutes proportions gardées – son Serge Moati en se croyant un peu membre de l’Académie française – lui le temps d’un documentaire – moi le temps d’un billet d’humeur humoristique, qui ne saurait être une prise de position en faveur ou contre un certain candidat qui aurait très bien pu ici en être un autre.

 

Surprise. Un courriel d’Emmanuel Macron adressé aux Français de l’étranger me parvient le jeudi 10 mars. La campagne a donc bel et bien démarré, pour que j’en sois une destinataire ! Deuxième surprise : « Tout cela ne nous a pas empêché d’œuvrer pour faciliter votre vie ». Quelque chose cloche. L’accord me chiffonne. Non pas que ce « nous » invoqué et brandi comme une évidence, nous qui « avons vécu des moments forts », me soit complètement étranger. Mais l’accord du participe passé laisse à désirer. Quand le complément d’objet est placé avant, rappelez-vous…. Jadis nous apprenions sur les bancs de l’école primaire cette règle dont on ne pouvait soupçonner dans notre ingénuité qu’elle reviendrait si souvent alimenter nos cas de conscience…y compris à l’âge de la soi-disant maturité. Quand le président vous écrit (et quand je dis « vous », croyez bien que je ne me mets pas dans le dessus du panier, je sais rester à mon humble place au sein d’une collectivité), on suppose qu’il écrit mieux que vous parce qu’il est président et parce que tout un chacun sait qu’il est en outre sous haute surveillance orthographique ayant épousé une (« une » ou « sa » faut-il dire, que d’épineux problèmes quand on s’avise d’aligner deux mots !) professeure de français ! Raison de plus donc pour faire porter le chapeau au président lui-même : après tout y avait qu’à pas y aller, pensent certains. Mais on est bien contents que quelqu’un s’y colle à cette tâche si ardue car les honneurs, le tapis rouge, l’appât du pouvoir, on veut bien, mais les nuits blanches, les heures sans compter, les rides en plus, la responsabilité devant la postérité etc. c’est mort à crédit tout ça ! Alors c’est qui qu’y est coupable dans l’histoire ? Bien sûr, le président représente les Français mais il est aussi secondé par ceux-là, peut-être pas tous car beaucoup renâclent à jouer les supporters inconditionnels, y compris ceux qui sont « en Marche ». Mais n’ont-ils pas été à l’école ceux-là, du moins ceux qui ont rédigé cette missive électorale  (car on n’irait pas jusqu’à croire au complot, au sabotage délibéré de traîtres à la cause macronienne) ? Et dans ce cas leur octroyer sa signature n’est-ce pas de la part du président négligence ? Car c’est, de fait, cautionner un mauvais usage du français  ! On peut penser que ces mauvais scribes sont bien répréhensibles de ternir l’éclat orthographique du Prince. Or en période de campagne, il conviendrait de montrer patte blanche. On dira qu’ils ont d’autres chats à fouetter que l’accord du participe passé. Soit. Qu’ils occupent mieux leur temps, on veut bien. Mais quand même était-ce la peine de mettre les pieds dans le plat en s’affichant ainsi mauvais joueur au vu et au su de tous, faisant fi des règles formelles sans  état d’âme et cela dès le deuxième paragraphe, sans que puisse être invoqué un quelconque essoufflement ? Car à s’affranchir des devoirs qui s’imposent à tous, autant n’obéir alors qu’à son bon vouloir ! Un pas de plus et on pourrait embastiller ceux qui trouvent à redire aux mauvaises manières.  Il n’y aurait qu’à changer la règle en fonction de l’orientation ou du cours des maux etc.

 

Monsieur le président, sachez que bien s’entourer est aussi une règle, pragmatique cette fois,  relevant du bon sens… A l’heure où la faute d’un seul peut être nuisible à tous, il convient que toute équipe et particulièrement la vôtre soit soudée et à l’affût du moindre dérapage. J’ai quant à moi quémandé confirmation, n’étant de loin pas infaillible et plus souvent qu’à mon tour assaillie par le doute, auprès de plus spécialistes langagiers que moi  avant de ruer dans les brancards et de « porter haut » (selon une expression que vous mettez en valeur par l’insistance délibérée de la répétition) mon souci du respect de la langue. Car on ne saurait, j’en conviens, accuser à la légère quelqu’un.  La démarche n’est pas cuistre, ni mesquine, elle procède d’un réel étonnement : comment, pas âme qui vive, pas un relecteur pour se lamenter dans vos troupes sur ce pluriel passé à la trappe ?   

 

En guise de plaidoyer pro domo, les auteurs de cette lettre aux Français de l’étranger et leurs relecteurs invoqueront peut-être l’étourderie à laquelle on veut croire ou bien encore la faute de frappe. Et pourquoi se gêneraient-ils quand d’autres experts de mauvaise foi s’érigent par les temps qui courent en exemples terrorisants ? Je préfèrerais puisqu’on est en démocratie que vous reconnaissiez que de ne pas avoir mis de « s » à « empêché » est - un peu - blâmable. L’erreur est somme toute modeste au vu de l’actualité et on trouve si facilement pire. Bref, on n’en ferait pas toute une histoire ! A l’ère de l’amplification médiatique des réseaux sociaux, l’erreur n’est pas de mise et on cherche souvent à la camoufler coûte que coûte (quitte en l’étouffant à la faire plus grosse qu’elle n’est). Triste époque où la transparence commandée nécessite perversement double dissimulation. Mais ces scandales portent rarement sur des faits orthographiques !

 

Mais surtout, on l’aura tous deviné, je préfèrerais que le débat sur une faute de frappe de cette nature soit un gros titre plutôt que les fautes de frappe du contexte guerrier, fautes incontestablement volontaires cette fois. Non pas qu’il faille occulter ce qui fait rage ni ne pas tenter d’en démêler les tenants et les aboutissants mais dire « je préfèrerais » c’est parler d’un irréel du présent : dans un monde idéal, il eût été tellement plus aimable… Car notre combat qui peut sembler d’arrière-garde cherche à perpétuer l’empire de la langue française avec les seules armes de la langue, sans coup de bâton féroce….Serge Moati a consacré en 2020 un passionnant documentaire à la prestigieuse institution du quai Conti « Académie française, voyage au pays des immortels », qui vante les mérites de cette « compagnie » en interrogeant moult académiciens à l’œil plus malicieux et pétillant les uns que les autres, et qui se refuse à l’encenser aveuglément. En effet il n’occulte pas les turpitudes de nombre de ses anciens membres qui se sont fourvoyés dans de mauvaises causes (dreyfusards, collaborationnistes etc.) Lorsque Moati donne la parole à Barbara Cassin (élue le 3 mai 2018), elle présente fièrement son épée d’académicienne, épée non « létale », tient-elle à préciser. Le mot qui lui a été attribué lors de son installation est le terme « vigueur ». Ainsi, défense et illustration du terme : la règle d’accord des participes passés étant toujours en vigueur, nous saurions gré à Emmanuel Macron et à ses troupes de revoir leur copie pour que nous puissions dire à l’unisson, sur la forme du moins : « Vive la République, Vive la France »…quand bien même certains opposants ne seraient pas d’accord  sur le fond ! Car heureusement,  la France a « plus d’une langue » (c’est la devise retenue par cette académicienne) dans son sac !

 

Serge Moati, « Académie française, voyage au pays des immortels » (2020) : diffusé mardi 15 mars sur TV5 Monde et donc visible en replay

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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