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Suivez le guide vert : bousculer les traditions !

le spectacle de danse Sirene à Copenhaguele spectacle de danse Sirene à Copenhague
Affiche du spectacle Sirene par Dansk Danseteaters internationale
Écrit par Violaine Caminade de Schuytter
Publié le 7 avril 2022, mis à jour le 3 mai 2022

On s’attache en reliant une tenue d’un spectacle récent à un instrument exposé au SMK à interroger les prestiges de la couleur verte, revisitée donc sous les projecteurs de l’art danois, ce qui permettra par des chemins détournés d’encenser le talent de Vivien Leigh non seulement enrubannée de vert dans Autant en emporte le vent (1939) mais revêtue de pied en cape de cette couleur qui fut associée à tout ce qui est instable car chimiquement difficile à fixer selon Michel Pastoureau.

 

La robe du spectacle Sirene qui s’est joué au Theater Republique fait rêver. La couleur la magnifiait quand le tissu mouillé lui conférait une sensualité toute aquatique. Dénuée de cette algue vestimentaire protectrice, la voici qui chute dans le vulgaire du quotidien, loin de la féerie du mythe. En effet quand la jeune femme revient ensuite la poitrine dénudée sous une veste de costume, elle perd en séduction, virilisée par le conformisme terne de la panoplie masculine que s’est approprié la femme moderne. Bien qu’encore parfois portée à bout de bras telle une créature extraordinaire, elle n’est plus merveilleuse.

 

 

 

 

Il y aurait presque de l’audace à faire porter du vert à une comédienne, le spectacle s’affranchissant des superstitions et légendes qui ont longtemps entouré la malédiction apportée par cette couleur au théâtre comme l’indique Michel Pastoureau, l’historien des couleurs.

 

Songez aux rideaux : en avez-vous déjà vu des verts ? Pas au théâtre où le rouge s’impose. Les premiers rideaux verts à nous traverser l’esprit sont ceux que Scarlett, qui a le goût de la théâtralisation, transforme en robe. En période de pénurie due à la guerre, il s’agit par ce subterfuge vestimentaire, de faire illusion et de tromper Rhett Butler (Clark Gable) qu’elle doit séduire à tout prix. Mais c’était oublier son talon d’Achille. Elle est trahie par l’état de ses mains, preuve qu’elle est davantage dans le besoin que ce qu’elle veut bien avouer. Est-ce à dire que le vert de l’espérance ou du volontarisme de la combativité ne suffit à masquer le réel et sa pauvre calamité ?

 

Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent
Vivien Leigh dans le film "Autant en emporte le vent" - capture d'écran 

 

 

Mais si le film déjà à l’époque soulève des questions en raison de ses parti-pris racistes - et le procès n’a pas fini de lui être intenté - le ballet Sirene recréé quant à lui cette égalité entre blancs et noirs, tous mis à même enseigne corporelle, soumis à la souplesse des contorsions, des étirements, des soubresauts. Quant à nous qui sommes confortablement assis dans la salle, nous sommes bien contents de ne pas partager leur sort cependant et de ne pas être sur scène tenus au défi de cette gymnastique artistique !

 

Scarlett, c’est, on le sait tous, Vivien Leigh – et le remake est impossible, car personne n’oserait relever la gageure tant elle est le personnage. On fera valoir que l’on s’éloigne beaucoup du Danemark ! Mais puisque l’actrice était venue jouer avec Laurence Olivier du Shakespeare dans ce pays, Ophélie et Hamlet, on peut bien lui accorder un peu d’attention, non ? C’est la moindre des politesses. Car en effet l’actrice à qui sa beauté et son talent promettaient une consécration hollywoodienne n’a jamais voulu renoncer au théâtre, ce qui ne l’a pas empêchée de rafler un 2eme oscar avec Un tramway nommé désir (1951) d’Elia Kazan. Mais l’actrice y incarne ici la fragilité et la déchéance de la couleur blanche qui donne son prénom à l’héroïne de la pièce de Tennessee Williams.

 

D’une gifle à l’autre 

Les oscars 2022 ont été le lieu étrange d’un règlement de comptes dont le flot de commentaires ensuite signale combien la gifle a été vertement administrée au point de frapper les esprits pourtant censément échaudés par la barbarie si proche ailleurs. A côté la gifle donnée par Scarlett au pâle Ashley, faisant fi des convenances, fait sourire….De dépit, elle lance ensuite un vase, le fracas faisant émerger de son canapé Clark Gable : « has the war started ?» lance-t-il alors d’un ton ironique. Mais d’une transgression fictive à une transgression réelle, la frontière est vite franchie. L’actrice neurasthénique insulte des années plus tard, quant à elle, partenaire (et mari) sur scène - le documentaire Vivien Leigh, autant en emporte le vent (2020) de Priscilla Pizatto  qui est ma source ne dit pas ici qui a commencé la dispute mais n’hésite pas ailleurs à vanter les qualités humaines du deuxième mari en insinuant que le premier n’était peut-être pas aussi gentil qu’il était bon acteur !

 

Verdeur d’un mythe

La sirène continue d’être une source d’inspiration inépuisable pour interroger les rapports homme/femme quitte à intégrer comme dans le spectacle Sirene les changements contemporains qui changent la donne : ainsi les hommes s’embrassent sur scène et c’est l’homme qui est remis au placard aquatique (boîte transparente remplie d’eau) à la fin et non la sirène. On n’est pas sûr d’avoir tout compris. Mais on devine que le sort de la sirène va de pair avec celui du monde. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est ce qui nous échappe un peu.

 

Pas question pour une sirène de se laisser faire (par la gifle du temps qui passe) ni enterrer comme ça (je parle des actuelles et non des antiques ou des purement mythologiques comme celle invoquée par Gérard de Nerval dans son poème  « El Desdichado » où le narrateur dit avoir rêvé dans la grotte où nage la sirène). Vivien Leigh refuse, elle, de se laisser étiqueter à jamais ancienne scarlette ! A 50 ans (taratata, qu’à cela ne tienne !), elle n’hésite pas à se réinventer… dans une comédie musicale. Non, la vie n’est pas finie et Laurence Olivier peut bien aller conter fleurette ailleurs, un autre beau et gentil cette fois soupirant veillera sur elle jusqu’à la mort (elle est rattrapée par sa tuberculose), fermant amoureusement les yeux sur la photo de l’ex  « Larry » qu’elle garde précieusement sur sa table de chevet. Alors vie bénie ou vie maudite ? Nous laissons le lecteur libre de déterminer si le vert du costume du film de Fleming a porté préjudice à l’actrice ou pas ?!  Le vert au cinéma n'est a priori cependant pas à réhabiliter au même titre que son homologue théâtral !

 

La célébrité de Vivien Leigh n’est donc pas due qu’à ses rôles célèbres. Sa vie privée aussi alimenta donc sa notoriété : elle forma avec le metteur en scène Laurence Olivier le couple le plus mythique d’Angleterre après les Windsor, paraît-il. Ces partenaires à la scène comme à la ville furent d’abord amants avant de rentrer dans le rang et de régulariser leur situation après leur divorce réciproque en se mariant.  Ils finirent cependant comme la plupart des amants : séparés. Le saut dans le mariage final ne saurait garantir la conclusion des contes :  ils vécurent longtemps heureux.  Qu’on change la formule et qu’on ajoute « sans enfants » ou bien « avec enfant perdu » comme dans le cas de Vivien Leigh, qui a fait une fausse couche traumatisante et tout s’écroule, elle glisse dans la neurasthénie. Y-a-t-il façon de conjurer ce mal (l’inéluctable séparation, quelle que soit l’apparence qu’elle revêt) ? Suivons le guide vert : quel remède donne dans son conte élégant Phantom thread (2017) Paul Thomas Anderson par exemple au désamour ?

 

affiche film Phantom Thread
Affiche de Phantom thread

 

 

Choix arbitraire de notre part que celui de ce cinéaste américain ? Pas complètement car le grand réalisateur porte, vous l’aurez remarqué, un nom similaire à l’écrivain danois !

 

Robe verte dans Vertigo d'Alfred Hitchcock
Robe verte de Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock - capture d'écran

 

Quant à son héros, Woodcock, il n’est pas sans renvoyer au maître du cinéma, Hitchcock qui dans Vertigo (1958) fit de l’apparition de l’héroïne en robe verte un moment érotique. Le vert élégant de la robe de soirée de l’affiche de Phantom thread devient le vert bouteille du pull que porte l’héroïne au moment où, décidant de ne pas qu’être une muse vouée à disparaître au profit d’une prochaine conquête, elle trouve le moyen d’empoisonner son mari pour mettre un peu de piment dans leur vie conjugale et le mettre à sa merci.

 

Mais il serait temps de renverser le vert associé au pouvoir, subi ou imposé, de l’arracher à toute assignation, quelle quelle soit. Heureusement notre petit échantillon ne saurait être complètement représentatif. Tout en restant dans le domaine artistique, prenons donc la tangente.

 

 

Green violin Henning Chrsitiansen SMK
Green Violin de Henning Christiansen, SMK

 

 

Au SMK est exposé un violon tout vert du compositeur Henning Christiansen (1932-2008), qui tenta de promouvoir un autre type de musique et participa au Flexus, mouvement d’art international et transdisciplinaire qui émergea dans les années 1960 à New York. Cette utopie voulait désacraliser l’art, le mettre à la portée de tous, interrogeant la notion de frontière, incorporant entre autres les performances dans la pratique artistique ou pratiquant le « mail » art (par la correspondance), permettant d’affranchir l’art des lieux et institutions traditionnels. H.Christiansen, lui, peignait ses oreilles en vert, portait des vêtements verts et jouait avec des instruments verts, signes qu’il faut écouter la nature plutôt que faire le jeu d’une guerre froide (l’artiste se méfia tout autant de l’Union soviétique que des USA tout aussi prompts à étouffer les libertés selon lui). Arrêtons de jouer du violon en nous lamentant sur l’état du monde qui va mal. Ne décrétons pas d’emblée que les dés sont pipés, que tout est joué et ne nous mettons pas au vert en nous résignant à la carte de l’abstention…. en tout cas pas dans les jours qui viennent, qu’il faut rendre à notre mesure  déterminants - notre marge de manœuvre fût-elle très petite. Allons donc voter ; pesons le pour et le contre de la couleur pour laquelle nous opterons et n’oublions pas que selon les mots de Scarlett:

 tomorrow is another day

 

 

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