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Le phénomène des « hikikomori » gagne l’Allemagne et la France

Hikikomori france allemagneHikikomori france allemagne
© Pixabay
Écrit par Juliana Bitton
Publié le 17 novembre 2020, mis à jour le 18 novembre 2020

Le phénomène des hikikomori a connu sa première définition au Japon dans les années 90. Ce dernier semble s’être diffusé en Europe où la frontière entre les diverses pathologies et le syndrome hikikomori est assez mince. Qu’en est-il en France et en Allemagne ? Retour sur l’origine des hikikomori et leur présence en Europe qui semble s’étendre avec le temps.

 

Hikikomori, un phénomène à l’origine japonais

En japonais hikikomori signifie « se cloîtrer ». Défini pour la première fois par le psychologue japonais Tamaki Saitō, il s’agit d’une personne retranchée chez elle depuis plus de six mois ne présentant aucune pathologie mentale. Souvent des hommes âgés de 15 à 35 ans, ces derniers préfèrent vivre dans leur chambre plutôt que de se confronter au monde réel, dans lequel ils ne parviennent pas à s’intégrer et à évoluer. Il ne s’agit pas d’une pathologie – on ne naît pas hikikomori – mais d’un mode de vie pour certains ou d’un état psychosocial, c’est-à-dire comment l’individu se développe psychologiquement à travers son interaction avec l’environnement social. Le phénomène est apparu en particulier dans les années 90 au Japon et les causes à grande échelle pourraient être liées à la crise économique et à la pression scolaire, cette dernière étant très forte au Japon.

 

Hikikomori Japon
© Capture d'écran YouTube

 

S’il est complexe d’obtenir des statistiques exactes sur les hikikomori au Japon, c’est parce que de nombreux hikikomori ont honte de leur condition, la honte étant un mal enraciné dans la culture japonaise. Pour avoir une idée, une étude réalisée par la BMC Psychiatry en 2012 affirme qu’il y avait 230 000 cas de hikikomori en 2012, soit 0,2 % de la population japonaise et aujourd’hui on en compterait entre 500 000 et un million. Toutefois, il ne s’agit pas forcément d’une fatalité, certains hikikomori pouvant vivre une vie assez agréable tout en restant chez eux. Au Japon, 20 millions d’euros ont été débloqués afin d’aider les hikikomori et des entreprises spécialisées en télétravail ont vu le jour pour n’embaucher uniquement que ces derniers. Le phénomène est donc inscrit dans la culture japonaise et beaucoup de combats sont menés pour les défendre et les protéger.

 

Zoom sur l’Europe

On pourrait penser à première vue qu’il s’agit d’un phénomène intrinsèquement lié à la culture japonaise. Toutefois, il existe des milliers de hikikomori en Europe. A l’instar du Japon, une association a été créée en Italie où d’anciens hikikomori deviennent des « intermédiaires », c’est-à-dire rendent visite aux hikikomori afin de discuter avec eux et leur apporter une aide psychologique. Selon l’anthropologiste Carla Ricci qui a écrit l’ouvrage Hikikomori, des adolescents en détention volontaire en 2008, les mesures pour combattre ce phénomène n'existent pas vraiment puisque celui-ci est lié à un système social ne pouvant être changé. Ce système social s’applique aussi bien au Japon qu’en Europe bien que les sociétés soient très différentes.

 

Hikikomori allemagne france
© Unsplash

 

Un groupe de psychiatres espagnols a réalisé une enquête à grande échelle afin de savoir si le phénomène existait également dans leur pays. Ils ont analysé les comptes rendus des équipes psychiatriques qui consultent leurs patients à domicile. Ainsi, 190 cas de personnes ne quittant presque jamais leur domicile et n’ayant quasiment aucun contact avec les autres ont été recensés entre 2008 et 2014. Mais la plupart avait des maladies mentales. S’ils en sont arrivés à ce résultat c’est avant tout parce que les hikikomori ne se déclarent souvent pas auprès des psychiatres et n’en ressentent pas le besoin car ils ne sont pas toujours mécontents de leur situation. Concernant les études sur les hikikomori, la France et l’Allemagne ont 20 ans de retard sur le Japon et l’Italie, où l’on trouve au contraire de nombreuses recherches et articles sur le sujet.

 

Un phénomène décrit comme phobie sociale en Allemagne

Sur son blog, un hikikomori explique ne pas savoir comment aborder le fait qu’il soit hikikomori à son entourage, « d'autant plus qu'un hikikomori est rejeté comme étant sociophobe ici en Allemagne, il n'y a pas de véritable aide pour les hikikomori. » Ses propos soulignent bien le problème que rencontre la communauté hikikomori allemande : peu de gens en parlent comme d’un phénomène à part entière. En effet, le syndrome n’a pas été officiellement reconnu comme une maladie mentale, bien qu’il s'accompagne souvent d’une dépression, de panique et de troubles de la personnalité et la frontière entre ces maladies mentales, l’agoraphobie et la phobie sociale est mince selon les psychiatres.

Si les hikikomori japonais commencent à être connus à travers le monde, les hikikomori allemands ne sont pas toujours considérés en tant que tel. Pourtant, le phénomène existe bel et bien en Allemagne. Certains psychiatres tentent de dresser une liste de critères définissant les hikikomori en vain car les spécialistes sont souvent en désaccord. Certains pensent que ce sont des personnes atteintes de phobie sociale. A partir de ce constat, il serait possible selon eux de les guérir car cette maladie est « facilement traitable » comme le constate le Professeur Peter Zwanzger, médecin en chef de la psychiatrie générale et de la psychosomatique à la kbo-Inn-Salzach-Klinikum de Wasserburg am Inn. Selon lui, la famille de la personne concernée peut être d’une grande aide en l’accompagnant dans toutes ses actions au sein du monde extérieur. Mais la situation n’est pas toujours aussi simple pour les parents des hikikomori, d’où le besoin pour leur enfant de passer par une thérapie.

 

Hikikomori allemagne france
© Unsplash

 

Parfois le phénomène est expliqué par les psychiatres comme une deuxième crise d’adolescence et le refus de quitter l’enfance et de devenir adulte. D’autres analyses soulèvent le fait que certains hikikomori refusent de vivre dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, en particulier concernant le marché du travail, la difficulté de trouver un emploi et la dureté des conditions de travail. Enfin, et il est très important de retenir cela, chaque hikikomori est différent et leurs parcours ne se ressemblent pas tous.

Le confinement (ou semi-confinement) imposé par les autorités sanitaires en période de crise liée à la Covid-19 peut avoir entrainé une recrudescence du phénomène en France et en Allemagne, la période obligeant les Français et les Allemands à rester chez eux. Pour certains, l’isolement contraint, le manque de contacts avec l’extérieur, la peur du lendemain, sont autant de facteurs pouvant les plonger dans la dépression ou bien, au contraire, le retour vers le monde extérieur, à la vie « normale » d’avant parait compliqué voire insurmontable. Mais qu’il y ait eu une augmentation des hikikomori en Europe ou non, la crise sanitaire et le confinement ont permis de mettre en avant ce phénomène qui touche de plus en plus notre continent.

Je me développe en étant seul dans ma bulle

 

Du côté de l’Hexagone

En France, il y a très peu de recensements de hikikomori car ils sont souvent mis sous les étiquettes « décrochage scolaire » pour les plus jeunes, « retrait social » pour les plus âgés ou au « chômage depuis trop longtemps » pour d’autres. Ils seraient des dizaines de milliers en France, mais les chiffres manquent de précision. Et les données, pour la plupart, mentionnent des hommes parce qu’il est souvent considéré plus habituel pour une femme de rester chez elle. Bien que ce ne soit qu’un stéréotype, celui-ci influence grandement la vie des jeunes garçons.

« Je me développe en étant seul dans ma bulle mais du coup tout le monde pense que je suis fou de rester ici et c’est peut-être vrai d’ailleurs » affirme un hikikomori dans le documentaire France 5 « Hikikomori, les reclus volontaires ? » de Michaëlle Gagnet. S’il est très mal vu d’être oisif dans la société occidentale, c’est encore pire pour les hikikomori. En effet, ces derniers peuvent être considérés comme étant incapables, faignants, faibles voire même idiots par de nombreux journaux ou émissions de télévision. Se sentant alors coupables et manquant d’estime d’eux-mêmes suite à ces réactions, les hikikomori peuvent encore plus se refermer sur eux-mêmes.

 

Hikikomori france allemagne
© Unsplash

 

Mais ces derniers ne sont pas juste d’anciens chômeurs ou étudiants insatisfaits du monde réel, ils sont parfois de véritables victimes ayant besoin de guérir leurs blessures psychologiques. Beaucoup continuent toutefois de s’informer sur le monde grâce à internet et certains jouent à des jeux vidéo et sont autodidactes dans quelques domaines. Mais selon Marie-Jeanne Guedj Bourdiau, psychiatre française, internet n’est pas la cause de leur état, plutôt une conséquence. Si on ne peut connaître le chiffre exact des hikikomori français, c’est parce qu’ils sont souvent sous-estimés par les études réalisées en France. Ils sont également peu reconnus dans la sphère politique.

 

En définitive, les hikikomori sont-ils l’expression physique d’un mal-être contemporain atteignant son paroxysme que la crise sanitaire a révélé au grand jour ?

 

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