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Myrtille Tibayrenc : “le rôle des galeries est devenu obsolète”

Myrtille TibayrencMyrtille Tibayrenc
Alex Deblonay - Après trois ans d'existence à Chiang Mai, la galerie Toot Yung s'apprête à fermer ses portes. Myrtille Tibayrenc, la directrice de la galerie prévoit de se consacrer beaucoup plus à son activité d'artiste.
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 10 février 2021, mis à jour le 20 avril 2021

Ouverte depuis 2018 à Mae Rim, la galerie Toot Yung va fermer ses portes à la fin du mois de février. Une page se tourne, mais ce n'est pas pour autant la fin de Toot Yung, plutôt un changement de cap pour sa fondatrice Myrtille Tibayrenc.

Au fil des années, Myrtille Tibayrenc s’est imposée comme l’une des personnalités clés pour la promotion et le développement de l’art en Thaïlande, de par son rôle de curatrice et directrice de la galerie Toot Yung, et désormais en tant qu’artiste. 

L’aventure de la galerie Toot Yung a démarré à Bangkok en 2010 avec un espace de 30m2 environ au-dessus d’un bar littéraire non loin de Democracy Monument, avant de fermer en 2012 et de revenir la même année avec le projet de Toot Yung Art Center, un petit centre d’art qui comprenait une galerie, un atelier d’artiste avec presse à graver, une résidence d’artiste, un café et un espace boutique. Si l’espace a fermé en 2014, Myrtille a cependant continué en version nomade en continuant à organiser sous l’enseigne éphémère Toot Yung des expositions et événements culturels. 

En 2018, Myrtille et son mari Haritorn Akarapat, sculpteur thaïlandais, s’installent à une trentaine de kilomètres au nord de Chiang Mai, à Mae Rim pour y ouvrir de nouveau le Toot Yung Art Center. Trois ans plus tard, la galerie s’apprête encore une fois à fermer ses portes sans pour autant totalement disparaître.

Lepetitjournal.com a rencontré Myrtille pour faire le bilan de sa galerie, évoquer ses projets futurs et l’impact de la crise liée aux mesures mises en place pour lutter contre le coronavirus sur les galeries. 

Avant de fermer définitivement la galerie Toot Yung, Myrtille organise une dernière soirée le 13 février ainsi qu’une vente des stocks de la galerie à prix cassé le week-end du 27 et 28 février. 

Après trois ans à Chiang Mai à faire tourner votre centre d’art, quel est ton bilan?

Mon bilan est hyperpositif! Ces trois dernières années m’ont permis de découvrir le champ culturel de Chiang Mai, un milieu très vivant. Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’amateurs d’art, d’étrangers qui collectionnent, d’artistes locaux. Il y a beaucoup d’artistes célèbres qui ont des ateliers dans le coin, c’est un gros atout pour la région. 

J’ai réalisé que les amateurs d’art aimaient beaucoup ma galerie parce qu’elle a un fonctionnement différent, loin de la voie commerciale traditionnelle que l’on trouve dans le centre-ville et qui a pignon sur rue. En fait, j’ai fait complètement l’inverse en m’installant au milieu des rizières dans une très belle demeure en dehors du centre de Chiang Mai. Les gens ont envie de quelque chose de plus humain pour accueillir les oeuvres d’art, pour les imaginer chez eux. J’ai à peu près accompli ma mission de galerie rêvée. 

Pourtant, tu t’apprêtes à fermer cette galerie idéale ?

En mars dernier, au plus il y avait une menace d’épidémie du coronavirus, au plus j’étais heureuse dans le sens où il n’y avait plus personne pour venir visiter la galerie! Et là, je me suis dit qu’il y avait un problème. J’aime beaucoup la solitude, je suis artiste aussi, je fais partie de ces introverties qui aiment passer la majorité de leur temps tout seul et de temps en temps voir quelques personnes. Et là d’avoir une galerie sur les bras pendant 10 ans, ça m’a empêché de vivre pleinement cette solitude dont j’ai vraiment besoin. 


Ouvrir le matin, fermer le soir, faire des visites guidées, ce n’est pas mon truc. Par contre, ça m’amuse beaucoup de créer un lieu, de démarrer un projet, de mettre en place une exposition et de disparaître juste après!

Myrtille Tibayrenc
Myrtille Tibayrenc prévoit d'ouvrir son atelier au public d'ici le début de l'année 2022 (Photo : Alex Deblonay)

En trois ans, est-ce que ta galerie a pu être rentable ou viable?

Oui, premièrement parce que je n’ai jamais fait cela pour l’argent et deuxièmement parce que je n’avais pas de loyer, mais je pense que si je l’avais fait pour l’argent et si j’avais eu un loyer à payer, cela n’aurait pas été viable. Je suis plus dans le caritatif, pour faire plaisir à la communauté, soutenir les artistes, j’ai plutôt vivoté. 

Je pense qu’un vrai galeriste est quelqu’un qui veut se faire de l’argent et que les artistes en gagnent aussi, ce qui n’est pas mon cas et c’est aussi pour cette raison que je ferme. J’ai plus cette tendance à vouloir faire la promotion de l’art et de la culture sans penser au but lucratif qu’il y a derrière, cela vient au second plan et ce n’est pas juste vis-à-vis des artistes. En fait, il vaudrait mieux que je travaille pour une institution, mais je n’aime pas travailler pour qui que ce soit, j’aime faire mes expositions toute seule sauf que je ne suis pas millionnaire donc le mieux est de fermer et de faire les choses autrement avec des projets tels que le festival d’arts urbains Bukruk que j’avais organisé à Bangkok et qui était subventionné par des sponsors privés et des institutions culturelles comme les ambassades. Dans ces projets, je peux tirer mon épingle du jeu, me payer et payer les artistes et ne pas me sentir mal parce que je suis une mauvaise vendeuse. 

Quels sont tes projets futurs?

Ces dix dernières années, j’ai réussi à mettre assez d’argent de côté pour construire mon propre atelier et qui se situera également à Mae Rim, juste à côté de la galerie actuelle. Dans un premier temps, j’aimerais bien me concentrer sur mon propre travail d’artiste et tourner la page de tous les artistes dont je me suis occupée ces dix dernières années. Ensuite, j’aimerais revenir vers mon métier de commissaire d’exposition pour des projets coup de poing tel que des festivals. J’aimerais aussi essayer d’exporter des artistes thaïlandais à l’étranger. Ce qui me permettrait de continuer d’organiser des événements qui seraient toujours estampillés Toot Yung. 

Myrtille Tibayrenc Haritorn Akarapat
Myrtille Tibayrenc et son mari Haritorn Akarapat, sculpteur thaïlandais

En tant qu’artiste, j’ai commencé à m’y remettre en 2017 donc c’est vraiment récent. Comme j’ai fait beaucoup de choses au niveau culturel à Bangkok, j’ai eu la chance d’avoir un réseau de collectionneur qui m’a énormément soutenu et j’ai réalisé que je pouvais vivre de ma peinture, c’est ce que je m’apprête à essayer là, maintenant. 

Je vais participer prochainement en tant qu’artiste à l’exposition de groupe Art for Air à Chiang Mai. Cela me fait super plaisir en tant qu’étrangère de me faire inviter, d’être incluse dans un projet local. 

J’ai aussi rencontré la nouvelle directrice de l’Alliance française de Chiang Mai, Elsa Calley, et nous avons discuté de la possibilité que j’anime l’espace galerie de l’Alliance.

Peux-tu décrire ta démarche artistique?

J’ai fait des études aux beaux-arts au tout début des années 2000, c’était la grande époque de l’art conceptuel, le retour à la figuration dans la peinture ne s’est produit que plus tard, c’est quelque chose de relativement récent, mais que je pressentais déjà à l’époque. Donc j’ai pris le contrepied total de ce que j’ai appris aux beaux-arts, j’ai décidé de laisser complètement libre cours à mon intuition, à mes envies premières. Je suis très attachée à l’image, à la figuration, j’adore l’art religieux. 

Pour l’exposition Art for Air, je réalise un triptyque moyenâgeux inspiré de l’apocalypse avec une apparition de la Vierge au milieu et la chute d’Adam et Ève. J’aime beaucoup les images bibliques parce qu’en général elles touchent énormément de monde, elles ont des origines animistes, elles ont été faites et refaites jusqu’à ce qu’on ne comprenne plus ce que signifient les symboles. 

Est-ce que tu prévois d’ouvrir ton atelier au public?

Oui ! C’est quelque chose que j’adore à Chiang Mai, nous avons accès à de nombreux ateliers d’artistes. La galerie Toot Yung comprenait une galerie principale, une boutique, des résidences et mon atelier. J’ai réalisé qu’à chaque fois, le clou de la visite, c’était mon atelier. Très souvent, je ne vendais rien dans la galerie, mais je vendais mes pièces parce que les gens étaient charmés de voir l’envers du rideau, de s’immerger dans mon monde. Donc oui, je compte bien ouvrir mon atelier, qui sera aussi celui de mon mari, au public à partir de l’année prochaine. 

Selon toi, est-ce que la crise liée à l’épidémie de coronavirus va bousculer la place des galeries d’art?

La place des galeries d’art a déjà été bousculée avec l’apparition des réseaux sociaux. Avec eux, de plus en plus d’artistes pouvaient accéder directement aux collectionneurs. Notre rôle de curateurs a été mis un peu de côté à ce moment-là parce que les artistes ne comprenaient pas pourquoi on se prenait 40 ou 50% du prix de leurs oeuvres alors qu’ils pouvaient vendre en direct avec un message sur Facebook. 

J’avais déjà senti cette tendance quand j’ai ouvert ma galerie il y a 10 ans et que ce serait compliqué. Pour autant, pour mettre en contact le spectateur avec une oeuvre, il faut un lieu, quelqu’un qui organise des expositions, faire le lien avec les acheteurs. Donc pendant longtemps mon rôle a quand même été importants pour pas mal d’artistes, mais j’ai l’impression qu’il l’est de moins en moins. D’une part parce que cela me passionne moi et d’autre part, parce que les artistes peuvent se débrouiller tout seuls. 

Avec l’épidémie, nous avons pu constater que la physicalité n’existait même plus, nous sommes dans une dimension plus virtuelle où il suffit d’avoir une bonne plateforme sur Internet, et là je me suis dit qu’on ne servait vraiment plus à rien. On voit aussi se développer un art spectaculaire tel que l’installation d’une patinoire artistique au MOCA à Bangkok ou encore les expositions numériques qui invitent à s’immerger dans le monde de Van Gogh ou de Klimt. Nous sommes vraiment dans le summum de la société du spectacle où l’art est complètement vidé de son sens qui est quand même cette physicalité, quelque chose qui peut durer, une trace qu’on laisse derrière nous. 

Ce qui a également pris le relais des galeries, ce sont les foires et les plateformes en ligne comme Artsy. Cela rend le rôle des galeries obsolète. Les seules galeries qui arrivent à s’en sortir, ce sont les très grandes galeries qui peuvent participer à des foires. Mais pour cela, il faut du budget et ne soutenir que des artistes connus ou dénicher le nouveau prodige du moment. Une petite galerie comme la mienne qui essaye de sortir son épingle du jeu, c’est mort. Je ne suis pas la seule à avoir fermé depuis le début de l’épidémie. Après, une fois que tu as ton réseau de collectionneurs, d’artistes, il n’y a plus besoin de galerie, tu peux faire des visites d’atelier, tu te prends un pourcentage sur ce que tu vends et cela revient au même, il n’y a plus besoin de louer des murs, de faire des expositions grandioses avec des vernissages qui coûtent chers! 

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