Le chef de la junte thaïlandaise a donné sept jours à Chiang Mai, touchée par un smog saisonnier exponentiel, pour résoudre le problème, alors que la très touristique Rose du Nord étouffe depuis des semaines sous des taux parmi les plus élevés au monde.
Le nord de la Thaïlande et notamment Chiang Mai, deuxième ville du royaume, subissent un épisode de pollution inégalé depuis plusieurs semaines, causé par l'agriculture sur brûlis mais aussi par l'explosion du trafic routier et les centrales à charbon.
La ville a largement éclipsé les points habituels les plus pollués du globe comme New Delhi ou encore Pékin sur le classement Air Visual depuis dimanche, avec un indice de qualité de l'air (AQI) de 480. Tout niveau supérieur à 300 est classé "dangereux".
Et les niveaux de particules fines PM 2,5, les plus nocives car elles pénètrent en profondeur dans les poumons, flirtent depuis trois semaines autour de 250-350 microgrammes (µg) par mètre cube d'air par endroits dans la région. Un taux plus de 10 fois supérieur aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui recommande un niveau d'exposition maximum quotidien de 25 µg par m3 d’air.
"Ces seuils n'ont jamais été égalés dans le nord du pays. A part peut-être en 2007, mais il n'existait pas à l'époque de capteurs indépendants", a déclaré à l'AFP Olivier Evrard, spécialiste de la Thaïlande à l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Neuf provinces du nord du royaume sont concernées.
Dans les rues de Chiang Mai, surnommée "La rose du nord", de nombreux habitants, marchands ambulants et moines portaient des masques. Les autorités ont conseillé à la population d'éviter au maximum les activités extérieures.
Elles expliquent cette pollution par les feux de forêts des agriculteurs qui brûlent des parcelles dans les zones montagneuses afin de pouvoir les cultiver par la suite. Un phénomène qui se pratique à grande échelle tant en Thaïlande qu'en Birmanie ou au Laos.
Comme chaque année depuis 2014, ces feux sont interdits de mi-février à fin avril pour tenter d'endiguer la pollution, mais la pratique se poursuit.
En visite mardi dans la région pour constater les dégâts, Prayuth Chan-O-Cha a demandé une répression accru de l’écobuage.
"Je tiens à répéter que le problème des points chauds (zones de brûlage des cultures) doit être résolu sous sept jours", a déclaré le chef de la junte, qui ambitionne de rester Premier ministre à l’issue des élections du 24 mars dernier, les premières depuis son coup d’Etat de 2014. Il n’a pas donné de précision quant aux mesures envisagées.
"Personne ne doit allumer de feux en forêt", a-t-il insisté.
"Des centaines de personnes ont été arrêtées, mais les incendies continuent", a-t-il déploré.
Les paysans, bouc-émissaires faciles
Le brûlage des cultures est normalement limité à deux mois durant la saison sèche pour limiter la pollution, il est d’ailleurs en principe interdit du 1ers mars au 30 avril, mais des centaines de foyers sont visibles sur les photos satellites.
Au total, neuf provinces du nord sont touchées par le smog alors que la ville de Chiang Rai, dans le nord du pays, se prépare à accueillir une réunion des ministres des finances de l’ASEAN.
Outre la culture sur brûlis, les experts pointent aussi du doigt l'agriculture intensive plébiscitée par les autorités et qui produit toujours plus de déchets agricoles. Ces derniers sont brûlés, produisant des émanations supplémentaires.
Pour Olivier Evrard, "il est injuste de cibler uniquement les agriculteurs". "Le nombre de voitures a explosé à Chiang Mai, le gouvernement ayant incité la population à acheter davantage de véhicules et les centrales à charbon tournent toujours à plein régime", a-t-il relevé, dénonçant les politiques menées par les partis de tout bord depuis plusieurs années.
La durée de la "saison des fumées", qui durait environ trois mois, a maintenant été portée à six mois, selon Chaicharn Pothirat spécialiste des poumons à la faculté de médecine de Chiang Mai.
Le fait que Chiang Mai soit recouverte par un nuage de pollution n'est pas nouveau, soulignent les experts, mais ce dernier est de plus en plus toxique et s'installe de plus en plus longtemps.
Avec comme conséquence "une augmentation des maladies respiratoires et cardiovasculaires", a souligné Chaicharn Pothirat, qui se dit sceptique quant au fait que le gouvernement ait un "plan à long terme" suffisant pour vraiment s'attaquer au problème.
"Ils montrent aux journalistes qu'ils se rendent à Chiang Mai... mais... cela n'améliore pas clairement la situation", a déclaré Chaicharn à l'AFP.
"On met 220 milliards de bahts (6,2 milliards d’euros) dans le budget militaire pour acheter des chars et des sous-marins alors que nous n’avons pas la moindre menace armée mais on laisse toute une partie du pays se faire envahir par le même fléau mortel chaque année. Un problème causé par nous-mêmes, c’est un comble", s’indigne Narumon, une habitante de Lampang, parmi les neuf provinces touchées.
Bien que les problèmes de pollution atmosphérique aient dominé une partie de l’actualité thaïlandaise ces derniers mois, le sujet était curieusement absent de la campagne électorale qui a précédé les élections législatives du 24 mars, les premières depuis le coup d’Etat de 2014.
Fin janvier, Bangkok avait connu un sévère épisode de pollution avec un indice AQI flirtant avec les 200 et les autorités avaient ordonné la fermeture des écoles pendant trois jours. La ville de Khon Kaen, dnas le Nord-est, a egalement connu des pics de pollution en février.