Édition internationale

LES ECHOS DE L’ECO – Marie Pastelot, directrice de la sociéte de naming Nalian : "Un bon nom, c’est autant d’économie de communication pour l’entreprise".

Écrit par Parler Darija
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 mai 2014

Le jus de fruits Pulpéa, la cocotte-minute Clipso ou encore l'antalgique Intralgis sont des noms issus de l'imagination de Nalian. Marie Pastelot, française de 50 ans, a quasiment 30 ans d'expérience dans le naming. Sa société actuelle, créée en 2006 en France, est l'un des leaders dans le domaine de la création de noms de marque. Elle est désormais présente au Maroc. Nous avons rencontré sa directrice pour comprendre ce qu'est le naming et savoir quelle est la place accordée à cette activité au Maroc

Lepetitjournal.com : Marie Pastelot, qu'est-ce que le naming ?
Marie Pastelot : Nous travaillons dans le domaine de l'identité nominale. Il n'existe que deux ou trois agences en France et nous sommes les seuls ici au Maroc depuis notre arrivée il y a trois ans. Notre activité consiste à inventer des mots nouveaux pour nommer des produits, des services, des entreprises, ou encore des noms de territoires. Nous travaillons dans tous les secteurs d'activités. Ce travail représente 80% de notre activité et pour les 20% restant, nous réalisons du conseil en stratégie d'appellation permettant aux entreprises de mettre au point une stratégie de nommage la plus efficace.
Le naming se divise en plusieurs phases : tout d'abord, la définition marketing et stratégique des orientations de recherche : nos clients souhaitent un nom évocateur sur le plan marketing par rapport à une ou plusieurs cibles. Puis, il y a la phase de créativité avec une composante internationale afin de créer des noms qui passent les frontières sans avoir de contre-sens ou d'évocation douteuse. Ensuite, il y a tout un travail réglementaire, de préfiltrage juridique en noms de marque, en noms de domaine, etc. Enormément de noms ne sont plus disponibles ou seulement dans certaines parties géographiques et pas dans d'autres, donc cela pose des problèmes car il faut alors utiliser un autre nom : en terme d'investissement de communication et marketing, cela double ou plus le budget ! Donc la partie juridique est importante.
Enfin, nous réalisons un accompagnement de la présentation des résultats au choix final du nom.


Pourquoi avez-vous décidé de vous installer au Maroc ? Comment votre installation s'est-elle passée ? 
Dans le groupe précédent, nous nous étions développés partout en Europe, mais aussi en Chine et aux Etats-Unis. Je connaissais déjà ces zones géographiques et avais envie d'en changer. Par ailleurs, j'étais très attirée par les pays de langue arabe et le Maroc a été le premier pays à disposer d'une base de données de marques fiable, c'est-à-dire informatisée, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres pays de cette zone. Or, cette base informatisée est indispensable à notre travail. C'est d'ailleurs une orientation du Royaume de mettre en avant la promotion des marques au Maroc et à l'international. Il y a environ chaque année 5 à 10% d'évolution en matière de dépôts de marques par des sociétés installées dans le pays. Donc le marché est en plein développement. 
En tant qu'entreprise française s'installant au Maroc, nous avons été très bien reçus car le métier n'existait pas ici. Nous sommes passés dans une émission sur la chaîne 2M, avons participé à des salons, et la Chambre Française de Commerce et d'Industrie au Maroc nous a beaucoup aidés. L'important a été de former rapidement une équipe ici, avec des personnes connaissant bien l'arabe classique, le dialecte marocain et le berbère et provenant de milieux différents afin d'assurer une diversité créative. Nous avons également sélectionné des traducteurs qui nous aident à appréhender les dialectes et des sémiologues pour expliquer les évocations des noms imaginés.
Nous avons dû revisiter notre prestation pour l'adapter au Maroc, mais cela nous a donné de nouvelles idées d'intervention pour la France. Le processus reste cependant le même avec les 4 phases du naming : définition du territoire d'évocation, créativité, filtrages juridiques, linguistiques et réglementaires, et enfin présentation et choix final.

Est-ce à dire qu'il y a un fort potentiel de développement dans ce domaine d'activité au Maroc ? Avec quelles sociétés travaillez-vous ? 
Nous sommes ici comme au tout début du marché en France dans les années 1985. La différence est que le Maroc va évoluer beaucoup plus vite puisque le pays a l'exemple de ce qui s'est déjà déroulé ailleurs. Nous avons été bien reconnus par L'OMPIC, l'Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (en charge de l'enregistrement des marques), qui nous a référencés pour intervenir dans des séminaires afin de sensibiliser les Dirigeants des entreprises aux enjeux de la création de marques. L'OMPIC est très actif et dispose d'un site Internet dynamique, et organise les Morocco Awards tous les ans.
Aujourd'hui, il y a une vraie volonté au Maroc de créer un capital de marques, dans certains cas en écho avec le développement des appellations d'origine, dans le domaine agro-alimentaire par exemple. En effet, une appellation d'origine, si elle garantit bien la qualité d'un processus de fabrication et une origine géographique, quand elle est utilisée seule, ne permet pas à une entreprise de différencier ses produits de ceux des autres entreprises bénéficiant de cette même appellation d'origine. Donc pour se différencier du concurrent qui utilisera lui aussi l'appellation d'origine, il faudra ajouter le nom d'une marque. 
Nous avons déjà plusieurs Clients au Maroc : Eaux Minérales d'Oulmès, M2M Group, Lesieur Cristal, Visiativ Group, Zitoun Al Atlas, Com2Market? Toutes nos références en création de noms de marque devraient être lancées avant la fin de cette année !

Comment se construit un nom ? Et à quoi cela sert-il de nommer un produit ? 
En France aujourd'hui, un nom de marque est dans la majorité des cas inventé, sans être pour autant un nom dénué d'évocations ! Mais ce nom ne peut plus vraiment correspondre à un mot du dictionnaire français ou anglais car tous ces mots sont déjà enregistrés. 
Au Maroc, nos Clients nous demandent d'abord de leur proposer des noms issus des mots du dictionnaire. Il y a donc un premier travail de pédagogie pour leur expliquer que de nombreux mots du dictionnaire ont déjà été choisis, et qu'il est plus intéressant pour eux d'orienter leur choix vers des noms inventés et par conséquent uniques.
Idéalement, même un nom de marque exprimé en langue arabe ne devrait pas présenter de difficulté de prononciation dans d'autres langues, et surtout pas de contre-sens. Car les projets, même imaginés à l'échelle du Maroc, pourraient ensuite être exportés.

Le plus souvent, il y a création de nom de marque lorsqu'il s'agir de venir nommer une innovation ou pour différencier un produit au sein d'une gamme. On donne alors une personnalité spécifique au produit. Mais la tendance aujourd'hui est plutôt de capitaliser sur la marque-mère : Par exemple les noms de parfums chez Kenzo renvoient au nom Kenzo : Kenzoamour; Flowerbykenzo; Kenzoki... Il y a une prise de conscience du risque parfois de venir "flouter" la marque-mère en créant systématiquement des marques-prénoms (ou marques-filles) pour nommer chaque nouveaux produits. 
Lorsqu'une grande marque crée un nom pour nommer l'un de ses produits, il va falloir veiller à ce que celui-ci apporte des évocations en interaction avec la marque-mère afin, comme on le dit, de "venir nourrir le territoire de la marque". Le nom d'un produit peut aussi venir doter la marque-mère d'une nouvelle valeur d'évocation.

Qu'est-ce qu'un nom bien choisi ? Et un mauvais nom ? 
Pour un exemple de nom bien choisi, je vais prendre le mot de marque Inwi qui présente plusieurs champs d'évocations: En anglais, c'est l'addition de wi pour wifi et in ; En français, cela fait penser à inouï ; En arabe, cela fait penser à une expression qui dirait "fais un v?u". Donc l'analyse sémiologique est intéressante. Par ailleurs, le son est agréable avec la répétition du i. Idem pour le graphisme avec le n et le w qui se ressemblent et l'utilisation des minuscules pour un logo plus sympathique.
C'est un bon choix de nom de marque car il est riche d'évocations liées aux sens (significations), avec un impact à la fois visuel et sonore. 
Pour ma part, un bon nom de marque est un nom porté par un bon produit, avec une bonne mémorisation, indépendamment de la communication engagée sur le produit, ainsi qu'un logo bien reconnaissable. Investir dans le naming présente un budget qui souvent est une économie pour l'entreprise en termes de moyens de communication à développer.

Les noms peuvent parfois être mal choisis, lorsque le sens du mot ne veut pas dire la même chose d'un pays à l'autre, ou qu'il a une évocation peu flatteuse.
Par exemple, le véhicule Pajero est en fait le mot d'une insulte au Brésil ; Honda voulait commercialiser en France une voiture sous le nom de marque MR2 ; un médicament à base d'ananas a été appelé Extranase... 
Lorsque le nom est mal choisi, il faut l'assumer, autant que possible. Mais parfois, l'impact sur la commercialisation du produit est tel qu'il est nécessaire de le rebaptiser. Cela a été le cas pour le Pajero au Brésil.
A l'échelle du monde, il y a toujours un sens qui n'est pas bon ou peu flatteur dans une des langues. Tout dépend du budget que le Client consacre à la vérification linguistique du nom. Comme cela représente un certain coût, il ne demande pas forcément une validation dans toutes les langues.

Le naming est-il indispensable aujourd'hui? 
Oui, pour tous les projets, nationaux, européens et internationaux. Nous pouvons intervenir sur les quatre phases (Stratégie, Création, Préfiltrage, Accompagnement) ou seulement sur les deux premières, ou simplement en aide à la créativité. Les budgets sont alors variables.
Le Maroc est d'accord pour investir dans le naming car les Dirigeants réalisent que si le succès de leur entreprise est effectif au niveau national, les marques locales ne peuvent pas toujours s'exporter à l'international faute d'avoir vérifié leur disponibilité dans d'autres pays. Car il faut savoir que le droit des marques est territorial et si la marque n'est pas protégée dans un pays, elle peut être déposée par une autre société.
Dans certains cas, la difficulté peut naître d'une trop grande ressemblance entre une marque nationale et une autre marque, protégée et présente ailleurs qu'au Maroc. Chez Nalian, déontologiquement, nous nous devons de proposer à nos Clients des noms nouveaux et différenciateurs.

Lorraine Pincemail (http://www.lepetitjournal.com/casablanca) Jeudi 08 mai 2014 

Site Nalian

parler darija
Publié le 7 mai 2014, mis à jour le 8 mai 2014
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