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R. Nadal : “les valeurs de notre devise sont intensément vécues par nos deux pays”

Ambassadeur de France en Argentine, Romain Nadal a pris ses fonctions en août 2023 après six ans passés à la tête de l’ambassade de France au Vénézuela. Près d’un an après son arrivée, il nous raconte lors d’un entretien sa vision du rôle d’ambassadeur et les différentes missions qui lui sont attribuées. “Je vis chacune de ces expériences comme un apprentissage, comme la découverte d’un nouveau monde et d’un nouvel univers” nous a-t-il confié.

Écrit par Daphnée Quentin
Publié le 13 juillet 2024, mis à jour le 16 juillet 2024

Racontez-nous votre parcours. 

Comme la grande majorité des diplomates français, j'ai intégré le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères par concours en 1995 et j'ai eu depuis lors une carrière très variée. J’ai d’abord été rédacteur chargé du droit international et européen de l'environnement, ce qui est un travail de rédaction de notes, d'avis juridiques sur des projets d'accords internationaux et de rédaction de mémoires contentieux à la Cour de justice de l'Union européenne. J'ai ensuite rejoint le cabinet du président de l'Assemblée nationale en tant que conseiller diplomatique et de défense pendant trois ans, puis j’ai été chef du service de presse et chef de cabinet de l'ambassadeur de France à Madrid de 2002 à 2005. À l’époque, nous étions accusés de défendre une politique arabe devenue obsolète et de représenter la vieille Europe qui devait être remplacée par une Europe atlantiste et pro OTAN. C'était passionnant de voir comment nous pouvions essayer de contrer le narratif du gouvernement espagnol d’alors, tout en évitant une situation de conflit ouvert. 

Après cette expérience, je suis revenu au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pendant trois ans, à la direction générale de l'administration, en tant que responsable de la mission de la modernisation. Je me suis occupé de l'évolution de la carte diplomatique et consulaire, de la réduction d'effectifs dans certaines parties du monde et du redéploiement d'effectifs dans d'autres parties. De 2007 à 2017, j’ai effectué dix ans dans des fonctions liées à la presse. Finalement, je suis arrivé en Amérique latine en 2017, d’abord en tant qu’ambassadeur à Caracas. Je n’aurais jamais cru y rester six ans. J’y ai fait l'expérience de la diplomatie de crise : nous avons essayé de contribuer à l’élaboration d’une solution politique dans un pays connaissant une dérive autoritaire, et nous nous sommes efforcés de soutenir la société vénézuélienne dans toutes ses dimensions sociales et humanitaires. Désormais en Argentine, j’ai vécu une campagne électorale inédite dans l’histoire du pays, avec l’élection du candidat anti-système Javier Milei, et la mise en place de nouvelles coopérations avec un gouvernement nouvellement élu. Je vis chacune de ces expériences comme un apprentissage, comme la découverte d’un nouveau monde et d’un nouvel univers. 

 

Quel est l’état des relations diplomatiques entre la France et l’Argentine ? 

Depuis le retour de la démocratie en Argentine, nos deux pays convergent sur toute une série d'initiatives diplomatiques que nous avons pu prendre ou soutenir. Avec le nouveau gouvernement argentin, nous avons, dès sa prise de fonction, engagé un dialogue intense. La ministre des Affaires étrangères argentine est venue à Paris dès sa première semaine à la tête de la diplomatie du pays afin de rendre visite à son homologue français Stéphane Séjourné. En février, ce dernier est également venu à Buenos Aires avant de se rendre au G20, au Brésil. En parallèle de ces échanges gouvernementaux, des délégations de collectivités locales argentines sont également venues en France. Par exemple, une délégation de Santa Fé s’est rendue début juillet à Paris pour une visite à l'OCDE, mais aussi pour des contacts politiques avec nos autorités. Je dirais donc qu'il existe aujourd’hui une dynamique d'ensemble entre nos deux pays, au niveau du gouvernement, mais aussi des acteurs non gouvernementaux et de la société civile. 

 

Dans votre message d’arrivée, vous disiez vouloir “approfondir les relations bilatérales” avec l’Argentine. Comment souhaitez-vous renforcer les liens établis ? 

Les quatre grands axes de notre politique étrangère sont les suivants : maintien de la paix, protection de la planète, économie au service du développement et culture. Sur ces sujets, nous avons avec l'Argentine de nombreuses convergences, malgré quelques nuances à certains moments de la vie internationale, ce qui est naturel. 

Aujourd’hui la diplomatie se diversifie de plus en plus et les sociétés civiles apportent une contribution croissante au dialogue bilatéral.

Nous observons une grande intensité des échanges, qui ne sont pas le monopole du gouvernement, mais plutôt des mouvements d'ensemble de nos deux sociétés. Aujourd’hui la diplomatie se diversifie de plus en plus et les sociétés civiles apportent une contribution croissante au dialogue bilatéral. Il est essentiel que la diplomatie d'État soit capable de se connecter à cette dynamique et qu'elle en soit un facteur d'accélération. Toute la stratégie de notre ambassade repose sur ce principe : nous développons de nouvelles coopérations gouvernementales dans des secteurs en plein développement tels que l'intelligence artificielle, les biotechnologies et la transition énergétique, mais favorisons aussi les échanges de sociétés à sociétés. Nous avons beaucoup d'échanges entre nos intellectuels. Nous avons fait la Nuit des idées en mai, avec des personnalités telles que Giuliano Da Empoli, venu faire des conférences pour présenter à la fois son roman et son essai sur les ingénieurs du Chaos, Cynthia Fleury ou encore Eric Sadin sur l’intelligence artificielle. 

Nous accordons également une grande importance au devoir de mémoire, qui revêt  plusieurs aspects dans notre diplomatie. En Argentine, la mémoire de la dictature et des atrocités qui ont été commises est absolument fondamentale. Nous apportons notamment un accompagnement sur le travail d’enregistrement audiovisuel des procès qui ont été effectués, dans sa diffusion et conservation, en collaboration avec le CELS, et entretenons des contacts réguliers avec les familles des victimes françaises. Nous soutenons constamment les institutions mémorielles argentines, et avons soutenu le classement de l’ESMA au patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO. Avec l’Argentine, nous co-présidons un processus international visant à convaincre les autres États de signer et ratifier la Convention sur l’élimination des disparitions forcées.

Je pourrais élargir ce travail de mémoire à celui de la Shoah, qui est un travail que nous faisons partout dans le monde. À Caracas, par exemple, j'ai été le premier ambassadeur de France choisi comme orateur par le comité Yad Vashem vénézuélien au moment de la commémoration annuelle de la Shoah. Ici en Argentine, nous avons un travail de coopération avec le Musée de l’Holocauste et avec tous les acteurs en Argentine qui sont concernés. Il est fondamental de savoir que la mémoire n'est pas simplement commémorer un passé, mais également de faire en sorte qu'il ne puisse pas se reproduire, en mettant en place des instruments qui empêchent des États totalitaires ou autoritaires de reproduire les crimes qui se sont produits par le passé. 


 

L’Argentine, et plus largement l’Amérique latine, a-t-elle un rôle à jouer aux côtés de la France face au contexte actuel en Ukraine et au Moyen-Orient ? 

La France, dans sa politique étrangère, est une puissance d'équilibre. Cela signifie que nous parlons à tous les acteurs internationaux qui sont susceptibles d'influer dans la résolution pacifique des crises, et que nous travaillons toujours en équipe. Aucun État ne peut résoudre seul ni la crise vénézuélienne, ni la crise à Gaza, ni l’invasion de l’Ukraine, qui sont toutes de natures différentes, alors que des coalitions de bonnes volontés le peuvent. 

Sur la crise ukrainienne, nous avons salué les prises de position de l'actuel gouvernement argentin qui a apporté son soutien à l'Ukraine, envahie par la Russie. Dans le cadre d’un geste politique fort, le président Javier Milei a invité le président Zelenski à sa cérémonie de prise de fonction le 10 décembre à Buenos Aires. C'était le premier déplacement en Amérique latine depuis l'invasion russe de son territoire en 2022. Plus généralement, nous sommes en contact avec tous les pays latino-américains qui peuvent nous aider à faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son invasion et qu'elle entre dans un processus de négociation. Tel est l’objectif de la conférence sur la paix en Ukraine qui s'est tenue en Suisse, et à laquelle ont participé plusieurs pays latino américains. Avec eux, nous souhaitons contribuer à une solution négociée de la crise ukrainienne, à un retrait des troupes russes et au respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. 

Concernant la crise à Gaza, nous travaillons sur la condamnation du terrorisme du Hamas que nous considérons comme une organisation terroriste, sur le droit d'Israël à se défendre dans le respect du droit international, et sur la recherche d'une solution négociée. Une solution politique avec la perspective de deux Etats a toujours été au cœur de la diplomatie française pour la paix au Proche-Orient. Il faut créer une dynamique régionale de paix non seulement entre Israël et la Palestine, mais aussi avec les pays de la région, pour que celle-ci soit durable.

 

évènement sur les JO Paris 2024


 

Diplomatie sportive : comment la France fait-elle rayonner les valeurs des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en Argentine ?

Dans moins d’un mois, la France aura l’honneur d’accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Ce seront des Jeux historiques pour plusieurs raisons. D’abord parce que leur empreinte carbone est deux fois plus faible que l’édition précédente, qu’ils sont paritaires, inclusifs et engagés, mais également parce qu’ils marquent le centenaire de la participation olympique de l’Argentine, qui a concouru pour la première fois lors des Jeux de Paris 1924. 

 

Ces jeux seront ceux de tout un pays, et nous sommes ravis de pouvoir fédérer nos deux communautés autour des valeurs qu’ils promeuvent.

Ces jeux seront ceux de tout un pays, et nous sommes ravis de pouvoir fédérer nos deux communautés autour des valeurs qu’ils promeuvent. Dans ce cadre, nous avons organisé de nombreux événements : la course du 5 mai avec la délégation de l'Union européenne en Argentine, qui a rassemblé plus de 12.000 personnes dans les bois de Palermo, l’inauguration de l'exposition de photos sur les grilles de l'ambassade, durant laquelle nous avons accueilli des membres des comités olympiques et paralympiques argentins, ainsi que des athlètes, ou encore par le biais de multiples manifestations culturelles. Nous sommes aussi très fiers de pouvoir compter sur le grand David Trezeguet, footballeur franco-argentin, champion du monde en 1998, parmi nos ambassadeurs pour ces Jeux !

 

Que représente le 14 juillet en tant qu’ambassadeur de France ? 

Être ambassadeur est tellement rare dans une carrière diplomatique que je ressens chaque jour une émotion très sincère. Même si le 14 juillet est un jour à part entière, aucune journée ici n'est normale dès lors que les Argentins comme nos compatriotes s'adressent à moi comme à un représentant de la France. 

 

Cette journée est fondamentale car les valeurs et les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, sont vécus intensément par notre communauté française, mais aussi par les Argentins.

En Amérique latine, nous retrouvons une forte empreinte de la Révolution française et de la dimension révolutionnaire de l'Histoire de France. Nous aurons donc deux réceptions, une première avec les autorités argentines, et une seconde avec la communauté française. Cette journée est fondamentale car les valeurs et les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, sont vécus intensément par notre communauté française, mais aussi par les Argentins. La Révolution française est considérée comme un événement fondateur aussi pour l'Amérique latine. Historiquement, les indépendances latino-américaines sont arrivées dans la foulée de la Révolution française. De grandes figures latino-américaines ont aussi joué des rôles important dans la Révolution française : Francisco de Miranda, vénézuélien, a son nom inscrit sur l'Arc de Triomphe à Paris, le grand Simon Bolivar  s’est réclamé de la Révolution française, et le Libertador argentin San Martin est mort dans notre pays. Le 14 juillet, en Amérique latine, est donc un événement qui revêt toujours pour nous une intense émotion.

 

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