Édition internationale

Sortie de l’OMS : le système de santé en Argentine est-il en train de tomber malade ?

Le 27 mai dernier, le Ministre de la Santé argentin, Mario Lugones, réaffirme son projet de sortir l’Argentine de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ce choix, justifié par une volonté de souveraineté du gouvernement après la pandémie du COVID-19, alerte de nombreux professionnels médicaux.

OMS Milei sortie médecinsOMS Milei sortie médecins
Écrit par Clara Monteiro
Publié le 13 juin 2025, mis à jour le 16 juin 2025

 

 

Tout commence le 5 février 2025. Javier Milei, président ultralibéral argentin, publie un communiqué officiel. “La Présidence de la République annonce que le président Javier Milei a décidé de retirer l'Argentine de l'Organisation mondiale de la Santé. L'OMS [...] a échoué à son plus grand défi : elle a encouragé des quarantaines interminables sans fondement scientifique pour lutter contre la pandémie de COVID-19.” Cette décision, qui s’aligne sur la position américaine de la présidence Trump, s’annonce lourde de conséquences pour la santé publique argentine.

 

Un contexte de méfiance post-COVID

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre. “L’Argentine a pris la décision souveraine de se retirer de l’OMS parce que nous ne permettrons pas à une organisation internationale d’imposer son agenda à notre santé.” Le gouvernement d’ultra droite, en quête de pouvoir sur la scène internationale, affirme vouloir retrouver sa souveraineté sur le terrain sanitaire. Il qualifie notamment dans un communiqué, publié le 5 février sur le site officiel du gouvernement, de “crime contre l’humanité” le modèle de quarantaine imposé par l’OMS pendant la pandémie. ”Dans notre pays, l'OMS a soutenu un gouvernement qui a privé des enfants d'école, laissé des centaines de milliers de travailleurs sans revenus, ruiné des entreprises et des PME, et qui a pourtant coûté la vie à 130 000 personnes.” déclare-t-il. L’Argentine a de fait été touchée de plein fouet par la pandémie, entrant dans sa récession la plus importante des 120 dernières années. Cependant, la décision s’inscrit dans un projet de réforme de la santé publique par un Milei ultralibéral, peu préoccupé par la question sociale dans son mandat et anti vaccin notoire. Au programme, des contrôles plus stricts pour les vaccins, une révision des organismes de santé et ce fameux retrait de l’OMS, accusée d’imposer un agenda politique dans la gestion de la santé. Le projet a rencontré un fort backlash : il intervient dans un contexte d’hostilité envers l’hôpital public. Milei, armé de sa fameuse motosierra [tronçonneuse], s’est attaqué cette fois à l’hôpital pour enfants Garrahan. Les soignants de l’hôpital sont dans le viseur du gouvernement, après avoir réclamé une hausse des salaires pour s’aligner sur l’inflation. Si l’Argentine se sépare de l’OMS, elle continuera selon le Ministre de la Santé Mario Lugones à collaborer avec l’Organisation Panaméricaine de la Santé, aux côtés des 34 autres pays américains membres. Il garantit également que le retrait n’affectera pas l’achat de vaccins et autres importations de matériel médical. “Depuis que j’ai pris l’engagement de soutenir le président Javier Milei à la tête du ministère de la Santé, je suis convaincu que, pour réorganiser le système de santé, nous devons rattraper plus de 70 ans d’échecs.” a déclaré le Ministre sur son compte X. "Nous demandons aux provinces d'être protagonistes dans leur gestion de la Santé Publique, comme l'établit la Constitution". Mario Lugones a annoncé officiellement cette mesure après une réunion avec son confrère étasunien, Robert F. Kennedy, qui milite également pour un retrait de son pays de l’OMS. Cette sortie argentine sera mise en place au cours de l’année prochaine. 

 

Une décision lourde de conséquence pour la santé publique 

Nicolas Kreplak, le Ministre de la Santé de la province de Buenos Aires dénonce cette décision le jour même de son annonce. “C’est un pas en arrière pour la santé argentine. Cela nous laisse seuls et impuissants à améliorer nos stratégies de santé et à gérer les complications futures. Cette mesure aurait au moins dû être discutée au Conseil Fédéral de la Santé argentine, puisqu’elle nous impacte directement”, écrit-il sur X. En effet, sortir de l’Organisation mondiale de la Santé a pour conséquence le retrait d’une collaboration scientifique et médicale à échelle mondiale. Soledad Deza est présidente et fondatrice de la Fundación Mujeres X Mujeres. Elle lutte depuis 2012 pour garantir l’accès à la santé des femmes et de la diversité à Tucumán. “La possible sortie de l’OMS me préoccupe car cette organisation fixe les grands principes en matière de santé et encadre les standards des soins qui doivent être administrés.” explique-t-elle. “Sortir de l’OMS ne signifie pas que l’Argentine ne garantira plus l’accès à la santé, mais elle pourrait se désengager des standards d’accessibilité, sur critères sociaux, sur l’avortement ou sur les soins autour du VIH.”  En 2024, Milei a en effet coupé de 76% le budget attribué l’année suivante au Bureau de lutte contre VIH, IST, hépatites virales et tuberculose. Cette décision intervient 6 mois après qu'il ait dissout le Ministère de la Femme, des Genres et de la Diversité. “C’est préoccupant dans cette conjoncture politique où les décisions du gouvernement ont été de démanteler tous les systèmes d’accès à la santé. Il n’y a plus de moyens contraceptifs dans les hôpitaux, plus de traitements pharmaceutiques pour l’interruption de grossesse, la syphilis est un problème grandissant chez les jeunes...” Pour Soledad, les femmes et les minorités seront les plus touchées par cette mesure. Susan Lopez, sociologue et professeure, est la coordinatrice argentine de l’Association latinoaméricaine de médecine sociale (ALAMES). Comme une quinzaine de fondations à visée sanitaire, l’ALAMES a signé un communiqué rejetant la mesure des libertariens. "A l’OMS, on reçoit bien plus que ce que cela nous coûte. On ne perd pas en souveraineté à être dans l’OMS, au contraire, on gagne des recommandations, un soutien financier et des programmes de santé spécifiques aux maladies endémiques de l’Amérique latine.” L’Argentine est touchée à grande échelle par la dengue, la maladie de Chagas ainsi que la tuberculose. “Les plus touchés seront sans doute les porteurs du VIH. Depuis l’année dernière les traitements sont interrompus, faute de moyens. Et en général, nous sommes tous devenus plus pauvres du fait de la situation économique. Sans financement adapté des traitements, c’est la population entière qui se verra restreindre son droit fondamental d’accès aux soins”. Susan met en avant la globalisation du problème :

La visite de Robert Kennedy et le scepticisme ambiant en est la preuve : nous sommes en train de reculer en terme de santé publique.

 

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.