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Itinéraire d'un Lyonnais passionné de musique indienne

Jacques Madjar a obtenu le diplôme d’état d’enseignant en musique hindoustanie et avec Alain Guaivarch, joueur de tabla depuis 20 ans, il a ouvert la "Lyon Indian School of Music", une école de musique indienne où il enseigne le sitar, les chants classiques indiens et les Chants de Tagore.

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Écrit par Catherine Simonnet
Publié le 7 septembre 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

Nous avons pu rencontrer Jacques Madjar à Lyon et lui poser quelques questions sur son itinéraire musical.

 

lepetitjournal.com Bombay : Comment avez-vous découvert la musique indienne ?

Jacques Madjar : Né près de Lyon dans une famille ni musicienne ni indienne, mon intérêt pour la musique indienne a débuté à l’adolescence. 

À partir de l’âge de 8 ans, j’ai commencé à étudier la guitare classique et j’aimais chanter en public, mes parents appréciant les chanteurs français des années 60, comme Brel ou Brassens. Ma mère est mexicaine et j’ai grandi dans un environnement multiculturel.

Au collège, j’ai suivi ma scolarité en classe aménagée en musique (CHAM) pour l’étude de la guitare classique au Conservatoire de Lyon, et au lycée, j’ai continué la guitare en adjoignant l‘étude du chant lyrique. C’est vers l’âge de 15-16 ans que j’ai découvert à la fois la spiritualité indienne par la lecture du best-seller Autobiographie d’un yogi et la musique indienne, au début sur internet.

À cette époque, il existait à Lyon un salon de thé appelé "Goshan" où se produisaient des artistes indiens. C’est là que j’ai entendu mon premier récital de sitar par Narendra Mishra de Bénarès. C’était en 2007 ou 2008 et ce concert m’a bouleversé : je suis resté pendant 2-3 jours dans un état émotionnel intense.

Le bac en poche, choisir une filière était difficile car beaucoup de domaines m’intéressaient : je me suis inscrit en fac de psychologie à l’université Lyon 2, en continuant bien sûr le chant lyrique et la guitare et en débutant le sitar.

 

Jacques Madjar et son sitar


Qui ont été vos enseignants de sitar ?

À Lyon, Nicolas Delaigue donnait des cours de sitar qu’il avait commencé à apprendre auprès de Patrick Moutal qui, parti à 18 ans étudier le sitar dans la très réputée Université hindoue de Bénarès, a été le premier non-Indien à obtenir un doctorat en sitar. Le ministère de la Culture l’avait alors sollicité pour créer à Paris un enseignement de musique indienne au Conservatoire national de musique (CNSMD). 

Nicolas Delaigue a été mon premier professeur de sitar, en cours privé deux fois par mois pendant deux ans environ. Actuellement, il est concertiste et professeur de musiques de l’Inde au CNSMD à Paris.

Grâce à la faculté de psychologie, j’ai eu l’opportunité d’aller faire en 2015 mon Master 1 à l’Université de Pondichéry, avec l’idée de pouvoir parallèlement continuer à apprendre le sitar.
 

L'université de Pondichéry
Université de Pondichéry @Facebook Pondicherry University

 

Le campus de l’université était magnifique avec beaucoup de verdure et d’espace. Les cours se faisaient bien sûr en anglais et les étudiants étaient des Indiens venus de toute l’Inde. L’enseignement de la psychologie était très éloigné de celui que j’avais connu à Lyon : le cours sur la psychothérapie tenait en un chapitre et l’essentiel des cours était d’inspiration anglo-saxonne, avec nécessité d’apprendre par coeur la classification DSM des troubles psychiques… (ndlr : issue du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association américaine de psychiatrie)

Mais mon centre d’intérêt était vraiment la musique et j’ai réussi à trouver un professeur de sitar qui était d’ailleurs bengali. Bon musicien, il avait l’habitude d’enseigner sur un mode "relax" aux occidentaux résidant à Auroville. De mon côté, c’étaient les alap qui m’intéressaient ainsi que l’idée d’un lien entre musique et psychologie et l’utilisation de l’aspect méditatif du sitar… (ndlr : un alap est un prélude improvisé qui introduit l'auditeur dans l'univers sonore du raga).

Puis j’ai découvert Calcutta, ville connue pour ses bons sitaristes. Un de mes voisins sur le campus m’a invité dans sa famille pour la fête de Durga Puja et ce fut un moment merveilleux : la culture bengalie très raffinée m’a profondément touché, la langue était si douce à entendre… Pour les vacances de Noël suivantes, je suis retourné à Calcutta, espérant rencontrer Indrajit Banerjee, le maître de sitar que m’avait conseillé Nicolas Delaigue. Il n’habitait plus Calcutta, mais il m’a présenté Subho Chakravorty qui est toujours mon professeur. Ce séjour fut inoubliable, avec notamment un festival de musique classique indienne à l’auditorium Rabindra Sadan. 

 

Subho Chakravorty Bengali professeur de sitar
Subho Chakravorty


De retour à Pondichéry, j’ai continué à apprendre le sitar via skype, je suis revenu à Calcutta deux semaines pour Holi et puis l’année universitaire a pris fin…

 


 

Quitter l’Inde et revenir à Lyon a été très difficile au point où j’ai "perdu ma voix" : 2017 fut une année sabbatique pour le chant lyrique mais j’ai pu continuer mes cours de sitar par skype avec mon professeur à Calcutta. Et mon idée a alors été de travailler pour financer un nouveau séjour en Inde et trouver un maître de sitar.


Quand avez-vous découvert les chants de Tagore ?

Lorsqu’en 2019 je suis revenu en Inde, je n’ai pas réussi, comme je le souhaitais, à trouver un maître de sitar auprès de qui vivre et étudier selon la tradition indienne. Mais mon professeur à Calcutta m’a conseillé d’aller à Visva Bharati à Shantiniketan, l’Université créée par Rabindranath Tagore au Bengale.  


 

Statue de Rabindranath Tagore à Shantiniketan au Bengale
Statue de Tagore @Nondini

 

Mon séjour à Shantiniketan dura trois mois, avec des allers-retours fréquents à Calcutta auprès de mon professeur de sitar et aussi de Prem Kumar Mallick pour des cours de chant dhrupad (ndlr : la forme originelle de la musique classique indienne, associant sons et état méditatif).

 

Ce fut une immersion culturelle : j’ai rencontré des Bauls, les mystiques chantants et itinérants du Bengale, et si je n’ai pas réussi à poursuivre un enseignement universitaire de sitar, j’ai été bercé par la langue bengalie que je n’ai toutefois pas fait l’effort d’apprendre. Mais ma formation en chant lyrique me permet de chanter dans une autre langue.

 

Jacques Madjar et le Baul Panu Das au Bengale
Jacques Madjar avec le Baul Panu Das

 

Ce bain sonore me touchait beaucoup et m’a rappelé l’intérêt du musicologue Alain Danielou pour les chants de Tagore. Avant mon premier voyage en Inde, j’avais lu Le chemin du labyrinthe où Alain Danielou décrit ses souvenirs et notamment sa rencontre avec Rabindranath Tagore dans les années 1930. Ce dernier lui avait dit souhaiter que ses chansons soient chantées en d’autres langues que le bengali avec des adaptations plus proches de la musique occidentale. 

Des décennies plus tard, j’ai découvert que les chants de Tagore, les Rabindra Sangeet, sont connus de tous les Bengalis. 

 

Tagore, qui avait une formation en musique classique indienne basée sur l’improvisation, a créé plus de 2000 chansons où tout est fixé : le texte et la musique. Mais ce qui est très touchant, c'est qu’une simple mélodie peut créer une ambiance émotionnelle intense qui s’harmonise avec celle de sa poésie.

 

À votre retour en France, comment avez-vous orienté vos recherches musicales ?

Mon retour en France a correspondu à la période si particulière du Covid où j’ai poursuivi bien sûr la pratique du sitar avec mon professeur à Calcutta, mon étude des chants classiques indiens et mon travail sur les chants de Tagore.


Un Rabindra Sangeet



Alain Danielou avait fait une adaptation de 18 chants de Tagore avec une traduction en français et une adaptation pour le piano. J’ai fait une sélection de 12 chants : 4 chants parmi ceux de Danielou plus 8 autres très connus, en refaisant les arrangements au piano avec Valentin Escande, un ami pianiste. Ne parlant pas bengali, j’ai adapté en français les paroles des chants à partir de traductions anglaises diffusées sur internet.

 

Bien sûr, la richesse du double ou triple sens des mots en bengali disparaît en français, mais l’idée est de montrer qu’il est possible de transposer une émotion dans une autre culture. C’est une forme d’innovation qui, je l'espère, n’aurait pas déplu à Tagore, qui souhaitait créer des liens entre l’Orient et l’Occident.

 

Pour ma formation en chants khyal (ndlr : style classique le plus couramment pratiqué dans le nord de l'Inde, auquel appartiennent le raga et l'alap), j’ai effectué un séjour de deux mois à Bénarès auprès de Sri Manoj Dubey. Et mon souhait de transmettre l’enseignement que j’ai reçu en musique indienne m’a fait postuler et être admis au concours pour la préparation du diplôme d’état d’enseignant en musique traditionnelle.


 

Des chanteurs Baul au Bengale après une fête
Des chanteurs Bauls pendant une fête à Kendruli au Bengale @ Nondini

 

Quels sont vos projets actuels ?

Avec Alain Guaivarch, joueur de tabla depuis 20 ans, nous avons ouvert la "Lyon School of Indian Music", une école de musique indienne où j’enseigne le sitar, les chants classiques indiens et les chants de Tagore.

 

Logo de la Lyon Indian School of Music

 

Et je viens d’obtenir le Diplôme d’état en Musique traditionnelle délivré par le CEFEDEM de Lyon, qui va me permettre de proposer des ateliers aux conservatoires et institutions intéressés.

 

L’Inde m’a accueilli généreusement et je vais maintenant partager ce qu’elle m’a appris dans un contexte institutionnel, où je pourrais transmettre la musique hindoustanie.
 

Pour finir, un arrangement Sitar - Tabla par Jacques Madjar et Alain Guaivarch filmé dans le Vercors : 

 

 

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