Dès son enfance, Maître Z passait son temps à tricher pour gagner les jouets des autres enfants au jeu. Tout le monde l’appela donc Maître Z le véreux. Et les choses empirèrent en grandissant. Jeune homme, il était si audacieux qu’il décida d’arnaquer ses propres parents quand l’opportunité se présenterait. Un jour, son père lui dit : « Z, accompagne-moi jusqu’au village et prends ce paquet de riz et de viande pour la route ». Z suivit son père sur la route à une certaine distance et mangea tranquillement toutes les provisions. Au bout de plusieurs kilomètres, son père s’assit sur le côté de la route et demanda à Z d’ouvrir le paquet. « Mais, je l’ai jeté sur la route il y a un bon moment », répondit Z. « Pourquoi as-tu fait cela ? », demanda son père avec stupeur. « Tu as dit que le repas était pour la route. Je l’ai donc donné à la route », expliqua Z. Le père était furieux et demanda avec mépris à son fils de retourner à la maison.
Maître Z le véreux s’en retourna chez lui, satisfait de son stratagème. Une fois arrivé, il cria à sa mère en pleurant : « Maman, mon pauvre père est mort. Il s’est fait piquer par un serpent sur la route. Des villageois serviables sont en train de ramener son corps ». La pauvre mère s’effondra de chagrin. Z continua en disant : « Maman, ne penses-tu pas que nous devrions donner quelque chose à ces gentils villageois pour les remercier de ramener la dépouille de papa ? Dois-je tuer notre cochon et le faire rôtir pour eux ? » La pauvre mère accepta en pleurs. Maître Z tua le cochon, le fit rôtir et en mangea la moitié. Au bout d’un moment, le père revint et la tricherie de Maître Z fut découverte. Après l’avoir battu sévèrement, le père dit à Z : « Prends ton cochon avec toi et ne revient plus jamais ! ». Mettant la broche sur son épaule, Z s’en alla tout joyeux.
Z passa devant la maison la plus pauvre du village et il en vit le misérable propriétaire en train de creuser dans son jardin : « Monsieur », dit Z, « puis-je vous donner un peu de mon cochon grillé ? ». Le vieux monsieur accepta avec joie cette proposition et invita Z à rentrer dans sa maison. « Monsieur », déclara Z, « je n’en prendrai que de quoi remplir un petit pot et je vous laisserai le reste. Pourriez-vous me prêter un petit récipient ? » Le pauvre homme se leva pour aller chercher un pot. « Ne vous dérangez pas. Je vais aller demander à votre femme », continua Z. Il alla donc dans la cuisine et dit à l’épouse du pauvre homme : « Madame, voici mon cochon rôti que votre époux a accepté d’échanger contre votre paquet de pièce d’or ». La vieille femme ne le crut pas, bien évidemment, et le regarda avec méfiance. « Madame », s’impatienta Z, « donnez-moi vitre votre or car j’ai une longue route à faire aujourd’hui ». Puis il cria au pauvre homme : « Monsieur, elle ne veut pas me le donner ! ». « Espèce d’idiote, donne-le au petit tout de suite », cria le vieil homme qui pensait que Z voulait simplement un petit pot. La pauvre femme donna donc les pièces d’or à Z qui s’enfuit par la porte de derrière.
Quand il arriva à un carrefour, Maître Z prit quelques pièces d’or et les enterra à quatre ou cinq endroits différents de la route. Puis il se fabriqua une petite baguette de sourcier à partir d’une branche et attendit. Quand il entendit le bruit des sabots d’un cheval qui approchait, il marcha de long en large, frappant le sol avec son bâton et criant : « Allez, venez petites pièces d’or. Venez petites pièces d’or ! ». Un cavalier sur une superbe monture apparut et, voyant le comportement étrange de Z, arrêta son cheval : « Qu’essayes-tu de faire ? », demanda-t-il. « J’utilise juste ma baguette magique », répondit Z de manière nonchalante. « A quoi sert cette baguette ? », demanda l’étranger. « Oh, arrête de poser des questions », rétorqua Z faussement excédé. « Si tu veux savoir, creuse donc là, là et là, aux endroits où ma baguette a touché le sol », continua-t-il en indiquant les emplacements où il avait caché les pièces d’or. Le cavalier creusa et, à sa grande surprise, trouva les pièces d’or. « Quelle baguette merveilleuse ! », déclara-t-il avec enthousiasme, « Me l’échangerais-tu contre mon cheval ? ». « Certainement pas ! », répliqua Z en faisant mine de s’éloigner. Le cavalier le suivit et pria Z d’accepter de faire cet échange. Ce dernier finit par accepter. Il donna la baguette au cavalier, sauta sur le cheval et s’enfuit au galop.
Maître Z arriva devant une riche demeure et demanda la permission de laisser son cheval se reposer dans l’une des nombreuses étables du riche propriétaire. On lui donna la permission, et Z alla mettre son cheval à l’étable et s’endormit dans un coin de celle-ci. Peu avant l’aube, Z se réveilla et cacha quelques pièces d’or dans le crottin de son cheval. Quand le jour arriva, Z alla trouver le riche propriétaire pour lui emprunter un tamis. Ce dernier trouva qu’il était curieux qu’un voyageur veuille un tamis si tôt dans la journée et ordonna à l’un de ses servants d’aller espionner Z secrètement. Comme Z avait fermé la porte et la fenêtre de l’étable, le domestique regarda à travers un petit trou dans la paroi et vit Z cribler le crottin avec le tamis. Puis il alla chercher son maître en courant. Ce dernier arriva précipitamment et décida lui-aussi d’observer discrètement Z à travers le petit trou dans la paroi. C’est alors qu’il vit Z passer le crottin au tamis et en sortir plusieurs pièces d’or. Le riche propriétaire alla vite frapper à la porte. Quand Z l’ouvrit, il proposa à ce dernier mille pièces d’or en échange de son cheval. Z refusa, jusqu’à ce que l’homme riche lui rappelle la faveur qu’il lui avait accordée en acceptant que son cheval et lui se reposent dans son étable. Z lui était donc redevable. Il accepta donc cette offre et s’en alla avec mille pièces d’or.
Sur la route, Z dépassa un vieil homme et sa femme qui semblaient toujours s’aimer tendrement malgré leur grand âge, car ils se comportaient de la même manière qu’un couple de jeunes mariés. Z continua sa route jusqu’à un village où il acheta des rideaux et un pilon. Il engagea également une jeune-fille et sa mère pour être ses assistantes, en échange de quelques pièces d’or. Puis, ils revinrent tous trois de quelques kilomètres sur la route, de manière à se trouver à distance du village. Il suspendit les rideaux, plaça la jeune-fille derrière eux et expliqua aux deux femmes ce qu’elles devaient faire en présence du vieux couple romantique. Au bout d’un moment, les deux amoureux finirent par arriver à leur hauteur et Z commença à toucher la mère avec le pilon. Encore et encore. « Qu’essaies-tu de faire ? », demanda le vieil homme, surpris par le comportement de Z. « Oh, juste de rendre sa jeunesse à cette vieille sorcière », répondit Z avec nonchalance. Z demanda alors à la mère d’aller derrière les rideaux. Un instant plus tard, la jeune-fille en ressortit. « Merci beaucoup, jeune magicien », déclara la jeune fille, « je suis de nouveau jeune et belle ». Le vieux couple pensa bien entendu que la fille était en fait la vieille femme redevenue jeune, et ils prièrent Z de leur rendre également leur jeunesse. « Non, non », répondit Z, « je ne soigne généralement qu’un seul patient par jour ». Le vieux couple le supplia, implora, si bien que Z finit par accepter. « Mais mon tarif est de mille pièces d’or ». « C’est tout ? », répliqua le vieil homme, « mais nous devons d’abord retourner au village pour y chercher nos économies, si tu veux bien attendre un peu ici ». Ils s’empressèrent donc de retourner au village et Z s’empressa de chasser ses assistantes sitôt qu’ils furent hors de vue.
Finalement, le vieux couple revint avec les mille pièces d’or. Z déclara qu’il soignerait d’abord le vieil homme et commença à la toucher partout avec son pilon. Encore et encore. « Maintenant, va derrière le rideau et attend avec patiemment », ordonna Z. Le vieil homme attendit un bon moment, mais rien ne se passe. Il cria donc : « Jeune magicien, je suis toujours vieux ! ». Z alla derrière le rideau comme pour aller voir quel était le problème et assomma le vieil homme avec le pilon. Puis, il ressortit et dit à la vieille femme : « Votre mari a un corps robuste, il va falloir attendre encore une ou deux heures avant qu’il ne sorte rajeuni. Malheureusement, je dois absolument me rendre à un rendez-vous important. Si cela ne vous dérange pas, je préférerais que nous repoussions votre traitement à demain ». La vieille femme implora : « Jeune magicien, si mon époux sort rajeuni de derrière les rideaux et me trouve toujours vieille, il me quittera et ira trouver une fille plus jeune. Soigne-moi aujourd’hui, je t’en supplie ». Finalement, Z concéda : « D’accord, je vais te soigner maintenant pour gagner du temps, mais j’ai besoin de rideaux pour que mon traitement soit efficace. Aussi, attends un moment ici le temps que je me rende dans le prochain village pour y acheter des rideaux ». La vieille femme était reconnaissante et accepta. Une fois hors de vue, Z s’enfuit en courant.
Z possédait maintenant deux mille pièces d’or et il décida de devenir honnête. Il continua à voyager avec l’intention de s’installer dans un plaisant petit village. Cependant, ses méfaits avaient été rapportés au roi, qui envoya des soldats sa recherche. Maître Z finit par être capturé et emmené au palais royal pour y être jugé. Le Roi ordonna que Z fût enfermé dans un sac puis jeté dans le fleuve. Z fut donc enfermé dans un cas et emmené jusqu’au fleuve. Cependant, il restait encore plusieurs heures avant le coucher de soleil, heure à laquelle avaient traditionnellement lieu les exécutions. Les soldats décidèrent donc de laisser le sac où étaient enfermé Z attaché à un arbre, pour aller boire un verre au village. Au bout d’un moment, Z entendit les pas pesant d’un éléphant et la voix de son cornac qui passaient par là. Z se mit alors à crier à tue-tête : « Je refuse de devenir prince ! Je refuse de devenir prince ! ». « Quel est le problème, mon ami ? », demanda le cornac. « Le roi n’a pas d’enfant et veut adopter un héritier », expliqua Z, « Je faisais tranquillement une sieste sous cet arbre quand les soldats du roi m’ont trouvé et m’ont demandé de les suivre jusqu’au palais pour que je devienne l’héritier du roi. Comme je refusais, ils m’ont enfermé dans ce sac pour me forcer à accepter. En attendant que je ne change d’avis, ils ont décidé d’aller boire un verre au village ». « Echangerais-tu de place avec moi ? », demanda le cornac. « N’oublie pas les responsabilités qu’implique la conduite d’un Etat », l’avertit Z. « Je n’ai pas peur de les porter sur mes seules épaules », répondit l’autre. Ils échangèrent donc de place. Z prit soin de bien refermer le sac avant de partir sur le dos de l’éléphant. Le cornac, lui, se mit à hurler : « Je veux être prince ! Je veux être prince ! ».
Maître Z tua finalement l’éléphant avec une lance et élargit la plaie du ventre jusqu’à ce qu’elle soit assez large pour accueillir un vautour. Il alla ensuite dormir dans les fourrés. Le matin suivant, il vit un groupe de vautours qui entraient dans la carcasse de l’éléphant un par un. Quand il pensa qu’ils étaient suffisamment nombreux, il courut refermer la plaie avec des vieux haillons, faisant ainsi les vautours prisonniers. Il remonta ensuite sur l’éléphant qu’il frappa plusieurs fois avec un bâton. Les vautours, affolés, essayèrent de s’envoler, soulevant l’éléphant avec Maître Z dessus. Quand il arrêtait de battre la carcasse, les vautours cessaient graduellement de voler et l’éléphant atterrissait doucement. Il vola ainsi jusqu’au palais. Les officiers et le roi se précipitèrent à sa rencontre dès qu’ils eurent vent de la rumeur concernant un éléphant volant. Le roi fut frappé de stupeur quand il reconnut Z : « Ne t’a-t-on pas jeté dans le fleuve hier ? », demanda-t-il. « Bien sûr que si », rétorqua Z, « mais le roi Naga, qui vit au fond du fleuve m’a renvoyé avec un éléphant volant en cadeau ». « Me donneras-tu l’éléphant volant ? », demanda le roi. « Seulement si tu me nomme prince héritier », rétorqua Z. Le roi accepta et grimpa sur l’éléphant et le frappa avec le bâton, comme le lui avait expliqué Z. L’éléphant s’envola pour le plus grand plaisir du roi. Malheureusement, il remarqua les haillons et tira dessus par curiosité. La plaie de nouveau ouverte, les vautours s’enfuirent rapidement de la carcasse de l’éléphant, si bien que celle-ci s’écrasa lourdement sur le sol, tuant le roi sur le coup. Z devint donc roi à sa place. A partir de ce jour, il ne fut plus jamais véreux, ne tricha plus jamais et devint un roi si honnête que le son peuple l’appela « le Roi juste ».