Avec la lente reprise des échanges avec la Chine, la demande chinoise en sucre est en forte hausse, constatent les courtiers de Muse et les producteurs birmans. Mais cela ne facilite pas le commerce pour autant, regrettent ces différents acteurs. En premier lieu, parce que le gouvernement chinois n’a pas encore officialisé le retour des importations de sucre depuis la Birmanie et que la marchandise passe pour l’instant par des circuits « officieux » comme le dit plaisamment un courtier de Muse. La réalité sur le terrain est en effet que 20 000 à 30 000 sacs de sucre (un sac normal pèse 50 kilogrammes) sont régulièrement acheminé en Chine sans passer officiellement par les cases « douane » et « contrôle »… Nul ne s’interrogera de trop sur comment une telle chose est possible…
En deuxième lieu, si la frontière de Muse entre Chine et Birmanie a été close durant plus d’un mois côté chinois afin de contrôler l’épidémie de coronavirus, depuis mi-février et le recul de la maladie en Chine, les échanges ont doucement repris. Et pour l’instant ce sont les stocks qui s’étaient accumulés dans les entrepôts de la ville-frontière qui s’écoulent progressivement. Les prix sont volatiles mais en gros la tonne de sucre se vend autour de 550 000 kyats (environ 350 euros), en augmentation de 20%, ce qui suscite un effet d’aubaine dont tout le monde veut profiter. Et c’est là que le bât blesse. Les prix offerts par les chinois sont nettement plus élevés que ceux du marché intérieur birman et donc tous les producteurs veulent exporter, au risque de créer une légère pénurie en Birmanie mais surtout en perturbant des chaînes de transports déjà bien mises à mal lorsque la frontière chinoise s’était refermée.
Crise de la logistique
Acheminer des tonnes et des tonnes de sucre n’est en effet pas chose simple et les producteurs de sucre désireux d’exporter se heurtent désormais aux réalités logistiques. « Nous ne trouvons pas de poids lourds à 12 roues disponibles, se lamentent un producteur, ils sont tous pris par d’autres industries ». Et notamment celles qui peuvent exporter officiellement des produits rapidement périssables et hautement demandé en Chine, comme la banane. « Les producteurs de bananes paient trop, ils cassent le marché », reprend le même, qui ne semble pas avoir compris que la loi de l’offre et de la demande ne s’applique pas uniquement au sucre en Chine… De fait, les producteurs de sucre offrent un tarif de 50 000 kyats (de l’ordre de 30 euros) par tonne transportée pour une charge de 25 tonnes lorsque les producteurs de banane proposent 75 000 kyats… le choix des transporteurs est assez vite fait…
Cette mini-crise des moyens logistiques ne va certainement pas se limiter aux producteurs de sucre ou de banane et on peut s’attendre à d’autres tensions importantes autour du transport des denrées lorsque le commerce redeviendra peu à peu normal entre la Birmanie et ses voisins. Une situation d’ailleurs généralisable à la planète au moment où tous les pays riches se ferment les uns après les autres pour faire face à l’épidémie de coronavirus. Tout fermer sera paradoxalement bien plus facile que tout réouvrir, et de fortes tensions sont à prévoir.
Pour le sucre birman, ceux des producteurs qui peuvent s’aligner sur les tarifs de la banane, s’alignent ; d’autres préfèrent essayer de stocker ; d’autres encore ont choisi de ralentir considérablement leur production et de conserver la canne brute autant que possible afin de recommencer à fabriquer le sucre une fois seulement que le marché se sera mieux régulé. En 2019, la superficie consacrée à la culture de la canne à sucre en Birmanie avoisinait les 2 000 kilomètres-carrés pour une production de quelque 500 000 tonnes.