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Le gouvernement communique mal sur la Covid-19

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Des contestataires réclament leurs aides financières

Après avoir mis en exergue la « spécificité birmane » lors du début de la pandémie de Covid-19 puis évoqué les questions de santé publique lorsque la maladie a commencé à se répandre rapidement et enfin appelé à « la responsabilité des citoyens » quand il en a perdu le contrôle, le gouvernement met désormais en avant le coût direct des malades afin d’essayer d’obtenir un comportement adapté de la part d’une population indisciplinée et manifestement fatiguée des mesures incompréhensibles et surtout absolument pas expliquées qui lui tombent dessus sans aucune considération réelle pour leurs impacts sur la vie, voire la survie, de la plupart.

C’est Daw Aung San Suu Kyi qui s’est chargée du message, dans ce style paternaliste/culpabilisant qui sert de communication au gouvernement actuel, non sans le soutien de la majorité de la population comme les récentes élections générales l’ont prouvé. Dans son allocution télévisée du 4 décembre dernier, la conseillère d’état a insisté sur le coût du traitement des malades, « entre 1,5 (environ 1 000 euros) et 5 millions (environ 3 300 euros) de kyats selon la gravité du cas, coûts directs et indirects inclus », a-t-elle expliqué. Ajoutant qu’avec « près de 100 000 personnes infectées, chacun peut imaginer les montants dépensés, qui ne pourront bien sûr plus servir pour d’autres investissements importants. Par exemple, le traitement d’un malade équivaut au prix de 300 doses de vaccin contre la Covid-19 ». Voilà pour le « maternalisme » de bon aloi.

Laxisme dans la mise en œuvre des règles édictées

Le pan « culpabilisation » vient juste après… La dirigeante explique ainsi « qu’elle comprend bien la lassitude des gens avec toutes ces mesures qui durent encore et encore. Mais la population doit quand même suivre les mesures qui lui sont dictées, surtout en cette fin d’année où le nombre de cas explose ». De fait, les courbes d’infections montrent de plus en plus de cas, les premiers pics arrivant une semaine après les élections générales et les festivités, spontanées ou pas, qui ont suivi la victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie. Rassemblements illégaux qui n’ont absolument pas donné lieu à des sanctions. 

Depuis, il y a eu les images de la célébration des 100 ans de l’Université de Yangon par de nombreux étudiants – mais pas que… - sans aucun respect de la distance physique de sécurité (certains ne portaient même pas de masque…) puis les milliers de personnes dans la rue, dans les parcs ou autour du lac Inya à Yangon au moment du week-end prolongé de Tazaung Daing, sans compter les nombreux commerces censés être fermés et de fait ouvert. Il est un fait que le gouvernement a pour l’instant perdu le contrôle des mesures qu’il a lui-même créé pour lutter contre la pandémie. La conseillère d’état a donc recommandé à la population d’éviter les rassemblements, surtout en cette fin décembre de Noël et de 1er de l’an. Pas certain que ces quelques mots suffisent puisqu’au même moment le ministère du Tourisme annonce son intention de rouvrir et de relancer des activités et donc d’encourager les gens à la mobilité… mais « dans le respect des règles émises par le ministère de la Santé et des Sports ».

Le manque fatal de données sociales fiables

Cette cacophonie gouvernementale est symptomatique du gouvernement échu : dire tout et son contraire dans le même temps, sans claires explications. Il est à espérer que le prochain gouvernement comprendra enfin l’importance d’une communication claire et univoque, à la fois en direction de la population et entre les divers ministères, qui s’ignorent complètement la plupart du temps. Lorsque la machine à rumeurs Facebook prend le relais, cela donne une totale incompréhension tant de la part de la population… que de l’administration ! La récente crise « des 40 000 kyats » en est l’expression évidente.

Dans l’intention somme toute très respectable d’aider les plus fragiles, le gouvernement a lancé un plan d’aide qui consistait dans un premier temps à remettre une somme de 20 000 kyats (environ 13 euros) à tous les foyers « en difficulté ». Puis une deuxième tranche a suivi quand la crise économique et sociale s’est imposée, et une troisième tranche et finalement en novembre dernier une quatrième tranche. Dans son ensemble, cette première étape a coûté 72 milliards de kyats (de l’ordre de 50 millions d’euros) et devait bénéficier à quelque 5,4 million de foyers. La deuxième étape s’est chiffrée à près de 220 milliards de kyats (de l’ordre de 150 millions d’euros), la troisième à environ 115 milliards de kyats (de l’ordre de 80 millions d’euros) et la quatrième pour 164 milliards (environ 110 millions d’euros) pour un peu plus de six millions de foyers « nécessiteux ». Problème : la notion de foyer « nécessiteux » n’a jamais été clairement définie, et pour cause dans un pays dont l’appareil statistique est totalement défectueux (par exemple, le taux officiel de chômage en Birmanie est inférieur à 2%, une donnée difficile à prendre au sérieux pour toute personne ayant un peu déambulé et voyagé dans le pays).

Les riches veulent une part des aides

Faute de critère numérique standardisé au niveau national, il a été demandé aux administrateurs locaux, chacun responsable d’un « ward », un quartier, de recenser ces foyers. « Pour certains qui ne couvrent que 300 ou 400 foyers, c’est possible ; mais pour d’autres, qui doivent superviser parfois 1 500 foyers, c’est juste impossible de savoir précisément cela », explique un de ces fonctionnaires. En outre, reconnaît un autre administrateur, « les règles de paiement étaient vraiment floues au début. Par exemple, pour le deuxième paiement, il s’est fait en nature – œufs, oignons, riz… - et pas en liquide. C’était vraiment compliqué à organiser ». Sans compter qu’il y a eu des abus manifestes, certains réclamant l’argent en menaçant alors qu’ils ne rentraient pas dans les critères. « J’ai eu une femme qui est venue me voir personnellement, dans une voiture avec un chauffeur. Elle portait un collier et un bracelet en or… et elle voulait absolument que je lui donne les 20 000 kyats ‘auxquels elle avait droit’ », raconte choqué un administrateur local. Ensuite, la remontée des données a été laborieuse : un administrateur de district, le supérieur hiérarchique des administrateurs de quartier, se félicitait ainsi de ce que « tout s’est tout le temps bien passé dans son district » alors même que plusieurs de ses subordonnés locaux reconnaissait des problèmes dans leur quartier !

Les accusations de fraude pleuvent

Au final, le quatrième versement a donné lieu à de très nombreuses protestations et même quelques émeutes dans certains quartiers, comme Hlaing Tha Yar dans le nord de Yangon. Et la confusion des critères a permis une totale opacité dans la distribution des viatiques. Ainsi plusieurs personnes racontent : « Des officiels m’ont fait signer un papier disant que j’avais reçu 20 000 kyats, mais en fait il n’y en avait que 18 000 dans l’enveloppe » ; « Moi je n’ai reçu que 12 700 kyats » ; « Mes voisins ont une voiture et une maison et ils ont reçu 40 000 kyats. Et moi je n’ai rien perçu car je vis chez ma mère depuis quelque temps, ne pouvant pas payer un loyer. C’est très injuste ». Des cas possibles de fraudes sont répertoriés un peu partout dans le pays.

Bien sûr, les dirigeants regrettent cette situation, encouragent les victimes à les dénoncer et promettent des sanctions exemplaires. « Mais les gens ont peur car les administrateurs locaux peuvent créer beaucoup d’ennuis à ceux qui les dénoncent. C’est difficile à prouver ces fraudes », explique une victime. Et même si Daw Aung San Suu Kyi elle-même a promis que « personne ne sera laissé sur le chemin s’il a besoin de cette aide », au final les rares contestations se font en groupe, massivement afin d’éviter des représailles. En outre, les nombreuses erreurs ne sont pas toutes obligatoirement des détournements, des disparités existent à cause de règles floues laissant une grande marge à l’interprétation. Au final, une Birmane s'attriste : « Cela ne sert à rien de porter plainte car cette petite corruption n’est jamais sanctionnée chez nous. Les gens trouvent normal de donner des pots-de-vin dans la plupart des cas ».

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