Le 20 juin dernier, U Win Htein, figure historique et extrêmement influente de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) – le parti au pouvoir-, a souhaité couper court aux rumeurs sur Facebook accusant son gendre d’être intervenu pour favoriser l’obtention de l’une licence minière en faveur de l’entreprise australienne PanAust. « Certains opposants politiques nous surveillent de près », a-t-il déclaré. « Certains autres, soutenus par certaines organisations, nous observent de près. Et puis mon gendre vient d’Australie, et ces gens déduisent par une logique toute simple qu’il doit appartenir à cette entreprise ».
Une internaute a déclaré soupçonner l’entreprise d’exploiter des Terres Rares, ces minéraux précieux et fondamentaux pour plusieurs industries de pointe, comme la téléphonie ou les énergies renouvelables, sous couvert d’une licence d’exploitation de cuivre et d’or. « Cette accusation est fausse », a répondu PanAust. « Nous effectuerons une exploration de cuivre et de minéraux associés, en accord avec les termes de notre licence d’exploration ».
Un lobbying de longue date
Si PanAust soulève méfiance et suspicion, c’est que derrière la façade australienne, le véritable propriétaire est l’État chinois, à travers la holding Guangdong Rising Assets Management. Alors, lorsque PanAust obtient très rapidement un permis d’explorer une zone de la taille de Singapour, soit plus de 750 kilomètres carrés, dans le nord de la région de Sagaing, les rumeurs de corruption vont bon train, à ce jour sans éléments concrets pour les alimenter.
PanAust, basée en Australie, et l’entreprise birmane Myanmar Energy Resources Group International forment une joint-venture avec, respectivement, 90% et 10% des parts. Cette joint-venture est enregistrée auprès de la Commission birmane des investissements (Myanmar Investment Commission - MIC) sous le nom de « Wuntho Resources », avec comme objectif de mener des activités d’exploration minière dans la région de Wuntho, dans le Sagaing.
Wuntho Resources cherche à s’implanter dans cette partie du pays depuis 2013, principalement pour l’exploitation de cuivre et de l’or. En 2015, l’entreprise a donné près de 20 000 dollars étasuniens à la Croix Rouge Birmane afin de soutenir les populations affectées par les inondations d’alors, d’après Richard Taylor, président de Wuntho Resources à l’époque. Obtenir le soutien du gouvernement local de Sagaing est un objectif que « Wuntho entend reproduire pendant sa quête d’opportunités dans d’autres zones de Birmanie », avait-t’il déclaré. Wuntho Resources a obtenu ses premières licences d’exploration en 2016.
Sept licences d’exploration pour une superficie de 1 500 km2
En Birmanie, le processus des licences dans l’industrie minière fonctionne par étapes, chacune correspondant à une partie du projet minier : prospection, exploration, étude de faisabilité, production (des licences différentes sont à demander en fonction de la taille de la zone exploitée), traitement des minéraux et commerce des minéraux. Le MRNCE doit approuver chaque licence, et les licences demandées par des entreprises étrangères doivent être validées en plus par le gouvernement birman. En juillet 2016, peu après l’arrivée de la LND au pouvoir, l’attribution de licences a été suspendue, dans l’attente d’une nouvelle législation, qui a été actée en février 2018 sous la forme du Myanmar Mining Rules. La nouvelle loi autorise, entre autres, les entreprises étrangères à exploiter uniquement des parcelles de grande taille (jusqu’à 2 000 km2) et requiert un plan de protection de l’environnement pour chaque projet. Dès l’annonce de la reprise de l’attribution des licences, en juillet 2018, le MRNCE a déclaré que PanAust avait obtenu une licence d’exploration dans la zone de Wuntho, alors que sept autres entreprises étrangères attendaient aussi le feu vert pour étudier cette même zone. Aujourd’hui, plus de 3 000 entreprises, locales et étrangères, ont déposé une demande de licence à travers tout le pays.
Wuntho Resources possède désormais sept licences d’exploration sur une zone couvrant les circonscriptions de Banmauk, Pinlebu et Wuntho, dans le Sagaing, ce qui représente environ 1 500 km2. Lorsque l’entreprise aura trouvé les minéraux qu’elle recherche, elle devra candidater pour l’obtention d’une licence d’exploitation. En cas d’échec, elle pourrait revendre ses études à l’entreprise ayant obtenu la licence.
Le passif chinois en matière de mines en Birmanie
Les multiples projets miniers de cette région, pour la plupart chinois, sont sujets à controverses. L’année dernière, les habitants ont manifesté contre l’étude de faisabilité de l’entreprise Myanmar Yang Tse, dans le cadre de son projet minier Sabetaung & Kyisintaung (S&K). L’étude, finalement suspendue par crainte des conséquences sociales et environnementales locales, devait porter sur 460 km2 de terrain, comprenant près de 120 villages sur trois circonscriptions. La problématique mine de cuivre de Letpadaung a également fait la Une des médias ces dernières années. En cause, les violentes manifestations de la population contre l’entreprise, manifestations qui ont reçu un soutien dans tout le pays, et deux rapports d’Amnesty International sur les conséquences sociales et environnementales négatives du projet. La mine demeure aujourd’hui en activité.
PanAust, elle, est accusée de déloger les mineurs indépendants et travaillant pour de petites structures. « La décision [d’autoriser le projet d’exploration] est venue du gouvernement national mais beaucoup de locaux ici s’inquiètent de savoir ce qu’ils vont faire comme travail, parce que presque tous les projets miniers majeurs sont aux mains d’entreprises soutenues par des investisseurs étrangers », explique le député régional U Zaw Linn Oo, de la circonscription de Wuntho.
La polémique autour de PanAust, un risque politique pour la LND
« PanAust a apporté des améliorations significatives en termes d’infrastructures de santé, d’éducation et de transport dans les zones où elle opère », a cependant déclaré Qun Yang, présidente exécutive de l’entreprise. « En continuant ses activités d’exploration en Birmanie, PanAust utilisera ses pratiques durables récompensées afin d’assurer que les activités de l’entreprise contribuent à la croissance économique à long terme et à la prospérité du pays, y compris en créant de l’emploi ».
D’après plusieurs experts, l’expansion des activités de PanAust pourrait nuire à la LND aux prochaines élections. « Le gouvernement en place doit faire attention et gérer cela subtilement », avertit Dr. Than Lwin Oo, conférencier au Département des Relations Internationales de l’Université de Yangon. « Autrement, ce problème pourrait être politisé pendant les élections parlementaires prochaines ».
Outre la Birmanie, PanAust opère aussi au Chili, au Laos et en Papouasie Nouvelle Guinée. Dans ce dernier pays, sa filiale Frieda River a fait l’objet d’un rapport du centre de recherche Jubilee Australia, un rapport qui dénonce les activités de l’entreprise comme risquant de menacer l’écosystème d’une rivière majeure, d’empoisonner les réserves de poissons et de causer de violentes protestations.